- Réfugiés au coll dels Belitres (Cerbère) début février 1939. Photographie Manuel Moros. Fonds Jean Peneff.
Publié le 27/01/2019 à 13:25 / Modifié le 27/01/2019 à 13:25 S’abonner 17 PerpignanLa retirada
L’Indépendant poursuit son dossier spécial Retirada à l’occasion des 80 ans de l’exil des républicains espagnols en janvier 1939. Ce dimanche, la première partie du journal d’un exode.
Après l’enfoncement du front de l’Ebre et le retrait
des brigades internationales, Franco débute fin 1938 son irrésistible
offensive en Catalogne. Les troupes nationalistes, appuyées par
l’aviation italienne et allemande, avancent. Le 26 janvier 1939, alors
qu’à l’Assemblée nationale, Georges Bonnet, ministre des Affaires
étrangères, obtient ainsi une nouvelle fois un vote de confiance sur la
non-intervention en Espagne, Barcelone est sur le point de tomber.
Personne ne lui viendra en aide. L’arrivée des réfugiés, évoquée depuis
des mois dans les différents cabinets ministériels, n’est plus qu’une
question d’heures.
Le même jour, un plan de barrage est déclenché le
long de la frontière de l’Andorre à la mer Méditerranée. Ce plan,
approuvé par le ministre de la Défense en avril 1938, prévoit
l’installation de trois zones de barrage : une première le long de la
frontière divisée en quatre sous-secteurs, une seconde positionnée dans
la vallée du Vallespir et une troisième située plus en amont dans la
plaine du Roussillon. La ville de Perpignan, sert quant à elle de
réserve opérationnelle avec des troupes mobiles déployées dans tout le
département. Au rejet par Franco de la proposition d’une zone neutre aux
portes des Pyrénées, répond l’impérieuse question de l’accueil des
réfugiés dont l’arrivée va se concentrer dans les Pyrénées-Orientales.
L’urgence de la situation militaire qui se dégrade en Catalogne
s’accompagne d’une gestion de crise centrée sur des opérations de tri et
de contrôle. L’essentiel des 470 000 réfugiés entrés en France entre le
28 janvier et le 13 février 1939 ne sont pas ainsi identifiés à la
frontière. L’opération de triage va alors se dérouler en deux temps.
D’abord par le passage des femmes, des enfants, des vieillards et des
blessés dès la nuit du 27 janvier 1939 puis celui, à compter du 5
février 1939, des militaires et des hommes en âge de se battre qui sont
toujours accompagnés de femmes et d’enfants.
Journal d’un exode, première partie
27 janvier : Les premiers réfugiés se pressent vers la frontière. Seuls ceux munis de passeports, essentiellement des personnalités, peuvent entrer en France. Les autorités laissent aussi passer des convois de colonies d’enfants ainsi que quelques blessés. Au Perthus, au fur et à mesure que la journée avance, les files d’attente de réfugiés s’allongent. La frontière sera finalement ouverte dans la nuit aux civils à l’exception des hommes valides. La veille, Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, a fait savoir aux préfets qu’il est décidé d’accueillir provisoirement femmes, vieillards, enfants qui réclameront » asile et protection » et leur demande de trouver et de recenser tous les locaux publics ou privés vacants « qui pourraient être utilisés pour le logement des réfugiés « .
28 janvier : L’exode par les Pyrénées vient réellement de commencer. Les journalistes français et étrangers se pressent à la frontière du Perthus qui constitue alors le principal point de passage des réfugiés. Sur les routes catalanes, la situation vire au cauchemar. L’aviation italienne mitraille les convois. Afin d’endiguer le flux migratoire, quatre centres de tri vont voir le jour suivant les instructions militaires afin de catégoriser, trier et évacuer les réfugiés. Les soigner, les épouiller et les vacciner pour certains. Les nourrir aussi. C’est ainsi que naissent le centre de La Tour de Carol pour le secteur de la Cerdagne, le centre d’Arles-sur-Tech pour le secteur du Vallespir, le centre du Boulou directement relié à la frontière du Perthus et celui de Port-Vendres à celle de Cerbère. À Perpignan, le centre des Haras complète ce dispositif.
29 janvier : Les premiers convois de réfugiés civils quittent les Pyrénées-Orientales. À La Tour de Carol, trois trains emportent 1 660 réfugiés en direction de La Roche sur Yon, La Rochelle et Limoges. Ils sont les premiers d’une longue série. 23 500 femmes, enfants et vieillards seront évacués depuis La Tour de Carol vers les départements de l’intérieur en seulement quelques jours. Les gares de Narbonne et Toulouse deviennent les centres de triage de ces nombreux convois. 37 sont formés entre le 28 janvier et le 1er février à destination de toute la France. À la frontière, sous la pluie, les réfugiés continuent d’affluer. Dans les Pyrénées-Orientales, les centres d’accueil se multiplient. Un centre de vacances à Prats-de-Mollo, le comité des fêtes à Perpignan, une école au Boulou… Les premiers camps, sur les contreforts des Pyrénées, apparaissent alors.
30 janvier : Environ 35 000 réfugiés sont déjà entrés en France. Sur les 150 kilomètres de frontière, les autorités ont du mal à endiguer le flux d’arrivants qui débordent les postes des douanes où les hommes sont toujours officiellement refoulés. Certains réfugiés viennent par la mer. D’autres passent par des chemins de contrebande notamment en Vallespir. Des renforts de garde-mobiles, de gendarmes, de douaniers et de soldats d’infanterie arrivent en masse. Toutes les routes du département sont contrôlées. Le général Falgade, en charge du plan de barrage, acte alors la création des camps. Il précise dans une note à l’État-Major que ces derniers seront installés » loin des villes et au plus près de la frontière « .
31 janvier : Face à un nombre croissant de réfugiés, le plan de barrage craque. Le commissaire spécial en poste à Cerbère décrit ces journées dans un rapport : « Dès le 27 février, premier jour de l’exode, des notices individuelles ont été établies pour chaque réfugié, femmes, vieillards, enfants ; mais par la suite, débordés par le nombre sans cesse croissant des personnes à identifier, des instructions émanant de la préfecture des Pyrénées-Orientales ont prescrit de remplacer les notices par des listes nominatives, ce qui a été fait les 28, 29, 30 et 31 janvier. À ce moment, devant les entrées de plus en plus massives, aucun contrôle n’a plus été possible « .
1er février : Marc Rucart, ministre de la santé et Albert Sarraut ministre de l’Intérieur se rendent au camp d’Argelès-sur-Mer après avoir visité les » structures d’accueil » des réfugiés espagnols au Perthus, au Boulou et du Vallespir. Sur la plage d’Argelès-sur-Mer, le ministre de l’Intérieur affiche sa fermeté en déclarant à la presse : « c’est bien simple, les femmes et les enfants, on les reçoit ; les blessés, on les soigne ; les valides, on les renvoie « . Et d’annoncer publiquement la création des » camps de concentration » en précisant : « Le camp d’Argelès-sur-Mer ne sera pas un lieu pénitentiaire, mais un camp de concentration. Ce n’est pas la même chose « . Selon les rapports de l’armée, 114 000 réfugiés ont alors déjà passé la frontière.
2 février : Alors que le chef du gouvernement de la Seconde République espagnole, Juan Negrin, appelle à la résistance devant les Cortès réunis à Figueres, les troupes nationalistes avancent inexorablement entraînant un flot de plus en plus important de réfugiés. Les hôpitaux militaires sont évacués et les blessés sont regroupés dans les structures de soin qui débordent du côté français. Les hôpitaux de Perpignan sont déjà complets. Un second réseau de soins, en retrait des Pyrénées-Orientales, s’est mis en place. L’évacuation des civils se poursuit alors que plusieurs milliers de soldats sont concentrés dans les camps de Prats-de-Mollo et Saint-Laurent-de-Cerdans. Quelques centaines se trouvent déjà sur la plage d’Argelès-sur-Mer. Dans une semaine, ils seront plusieurs dizaines de milliers.
3 février : Face à l’arrivée imminente des troupes républicaines, le général Falgade renforce le plan de barrage afin de pouvoir désarmer les soldats. 50 000 hommes de troupe et de maintien de l’ordre seront en tout déployés dans le département au cours du mois de février 1939. Redoutée par les autorités françaises, la retraite des troupes républicaines n’est qu’une question de jours alors qu’en Catalogne l’armée se replie en tentant de contenir les offensives franquistes notamment sur Gerone et Puigcerdà. Alors que Figueres subit des bombardements, un accord y est signé par le gouvernement espagnol afin de sauver les œuvres d’art, dont celles du musée du Prado, en les remettant à la Société des Nations à Genève. Le lendemain un premier camion se met en route vers la frontière.
4 février : Gerone vient de tomber ouvrant le dernier verrou vers la frontière. Dans la soirée, les troupes nationalistes sont à 35 kilomètres du Perthus. Le trafic vers la France devient de plus en dense. Les bombardements et les mitraillages de convois aussi. Si les chiffres de l’exode varient, ils donnent déjà le tournis. Selon différents rapport, le 4 février 1939 ce sont un peu plus de 200 000 réfugiés qui ont été comptabilisés dans le département des Pyrénées-Orientales depuis l’ouverture partielle de la frontière. Il s’agit en majorité de civils mais aussi de blessés et d’hommes valides qui ont pu échapper au plan de barrage. Les organisations humanitaires présentes en Espagne ont suivi les réfugiés. L’aide internationale s’organise alors que la situation sanitaire devient de plus en plus critique. Vers la frontière, l’armée républicaine arrive en nombre.
Grégory Tuban Sur le même sujet
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