22 janvier 2019Stéphane Ortega
Eric Drouet, une des personnalités influentes du mouvement des gilets jaunes, a annoncé une grève illimitée à partir du 5 février. Ce jour-là, la CGT appelle à des grèves et manifestations dans tous les secteurs professionnels pour 24 h. Les gilets jaunes pourront-ils se mettre en grève le 5 février et la poursuivre le lendemain ?
C’est le sujet qui monte chez les gilets jaunes depuis quelques semaines : bloquer le pays par la grève. Déjà, le 10 janvier, dans une dizaine de villes, des délégations de gilets jaunes sont allées à la rencontre des organisations syndicales pour les impliquer dans leur mobilisation. Un début de changement de cap pour un mouvement d’abord franchement hostile aux syndicats, malgré des rapprochements ici, ou là, comme à Toulouse dès le mois de décembre. Autre signe d’une évolution de stratégie : des distributions de tracts sur certains ronds-points depuis la mi-janvier, appelant pour certains à la grève générale au début du mois de février.
Depuis, la CGT a fixé seule une nouvelle date de mobilisation interprofessionnelle pour la journée du 5 février. C’est aussi la date qu’a choisie Eric Drouet pour annoncer sur Facebook dans la nuit une grève générale illimitée. Le message avec son affiche appelant au blocage total a été partagé plus de 9000 fois sur le seul groupe de la France en colère, en une dizaine d’heures. Pour autant, le passage des manifestations de rues les samedis aux journées de grève dans les entreprises risque de se heurter aux mêmes difficultés que celles rencontrées par les syndicats pour mobiliser massivement les salariés. En attendant, les gilets jaunes sont nombreux à se poser des questions sur leurs droits dans les entreprises.
La grève : mode d’emploi
Contrairement au idées reçues, il est plus facile, en droit en tout cas, pour un salarié du privé de se mettre en grève que pour un travailleur de la fonction publique. Pas besoin d’un syndicat, d’un préavis ou d’un délai de prévenance pour arrêter le travail. Le droit de grève, c’est-à-dire « la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles » est garanti par la Constitution. Concrètement, il suffit que deux salariés, même non syndiqués, se mettent d’accord, formulent des revendications, et les portent à la connaissance de leur employeur. De plus, les grévistes choisissent librement la durée de l’arrêt de travail. Par contre, évidemment, les salariés en grève ne sont pas payés le temps de leur débrayage sauf en cas d’accord de fin de conflit le prévoyant.
Techniquement, il n’y a pas de frein réglementaire à ce que des gilets jaunes travaillant dans le secteur privé se mettent en grève le 5 février et les jours suivants. Pour ce qui est de ceux qui sont fonctionnaires ou salariés du secteur public, c’est un peu plus compliqué. Là, un préavis, un délai de cinq jours francs, et une durée sont nécessaires, avec des disparités selon les services publics concernés. Toujours avec des règles différentes d’une fonction publique à l’autre, la majorité des travailleurs du secteur public ne peuvent pas fractionner une journée de grève. Leurs salaires sont donc le plus souvent ponctionnés d’un trentième de la rémunération mensuelle. Cependant, les restrictions du droit de grève y sont compensées par une présence syndicale plus forte.
Pour le 5 février, les préavis de grève de la CGT couvriront la plupart des entreprises du secteur public et des services de l’État. Ainsi, l’appel à la grève générale du 5 février ne souffrira pas de limites. Il n’en est pas de même, le lendemain, pour poursuivre la grève. Malgré tout, dans plusieurs secteurs de la fonction publique, des préavis d’anticipation existent. L’idée pour les organisations syndicales qui les déposent, souvent SUD et parfois la CGT, est de permettre aux agents qui voudraient se mettre en grève, de le faire sans attendre le délai légal d’un préavis. Il n’est pas exclu que plusieurs préavis de ce type soient déposés d’ici le 5 février.
Techniquement, que cela soit dans le public ou le privé, la grève est à la portée des gilets jaunes. Dans les faits, prendre le virage de la mobilisation dans les entreprises n’est pas si simple. La perte du salaire, les risques de mesures de rétorsion des employeurs, notamment pour les salariés en CDD ou en mission intérim, sont des freins auxquels les syndicalistes se heurtent très souvent pour mobiliser massivement les salariés. Des questions qui reviennent d’ailleurs fréquemment, parmi le millier de commentaires accompagnant la publication Facebook d’Eric Drouet, aux côtés d’avis contrastés sur la pertinence de cette forme d’action. Les enthousiastes côtoient les sceptiques et ceux pour qui la défiance envers les formes d’actions syndicales persiste. Difficile donc d’imaginer la portée de ces appels à la grève à presque 15 jours du 5 février. https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/postiers-du-92-au-300e-jour-de-lutte-les-grevistes-sont-plus-que-jamais-determines-01202931
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