Durée de lecture : 21 minutes 12 mai 2020 / Hortense Chauvin et Lorène Lavocat (Reporterre)
La pandémie, en révélant les failles du fonctionnement néolibéral de notre société, a ouvert la voie aux appels et propositions pour un «monde d’après» différent. Les initiatives, issues des associations, des syndicats ou des partis politiques, se multiplient. Mobilité, agriculture, urgence sociale, éducation, santé, financement, Reporterre a recensé une partie des propositions récentes.
Le 16 mars dernier, Emmanuel Macron affirmait solennellement que «le jour d’après ne [serait] pas un retour au jour d’avant». Le président s’en mordrait-il les doigts? Car si le gouvernement semble bien décidé à privilégier le sauvetage des entreprises, associations, syndicats et partis l’ont pris au mot. Depuis quelques temps déjà se multiplient les appels et les propositions pour le «monde d’après».
Rien que la semaine du 4 mai, pas moins de six initiatives ont vu le jour, portées par des ONG, des laboratoires d’idée (think tanks) ou des organisations politiques. Sans oublier l’offensive médiatique de Nicolas Hulot, le 6 mai, qui a déployé ses «100 principes pour créer un élan collectif». Dernier en date, un recueil illustré intitulé Et si…?, porté par Alternatiba, esquisse «ce à quoi pourrait ressembler le monde de demain si était mise en œuvre la métamorphose écologique et sociale de nos territoires».
Un foisonnement d’initiatives tous azimuts… au risque de noyer le message? «Cette ébullition montre que nous sommes à un moment charnière, à un carrefour historique, assure Véronique Andrieux, directrice du WWF. La société française est prête, elle veut peser et faire entendre sa voix.» Même son de cloche à France Nature Environnement : «Loin d’être dilué, notre message est de plus en plus présent, et repris, c’est le signe d’un changement qui s’opère», estime Arnaud Schwartz, président de la fédération. Côté politique, Alain Coulombel, porte-parole d’EELV, constate également une «accélération des convergences de propositions» : «Cette crise sanitaire met les organisations politiques et les ONG face à leur responsabilité, dit-il. Il nous revient de dessiner un arc de propositions pour l’après.»
La pandémie a mis un pied dans la porte du néolibéralisme, il s’agit désormais de l’ouvrir en grand. «Cette crise rend recevables des propositions qui semblaient totalement inatteignables jusqu’à présent», analysait Nicolas Hulot dans l’entretien donné au Monde. D’où l’offensive apparemment désordonnée de la société civile, qui espère enfin faire passer ses mesures écologiques et sociales. Et ce d’autant plus que les forces conservatrices se sont aussi mises en ordre de bataille et que nombre d’acteurs associatifs redoutent le «spectre de 2008» : «Il ne s’agit pas de retomber dans le soutien aux activités les plus émettrices en gaz à effet de serre, qui ne fera qu’exacerber le risque climatique en figeant le système économique sur le long terme», précisait le Réseau Action Climat dans une note parue mi-avril. Ainsi, pour le chercheur François Gemenne, «il est très important que les associations environnementales fassent entendre leurs voix actuellement, pour faire du contre-lobbying. On observe une offensive des lobbies en ce moment, pour sauver l’économie d’avant. Le moment que nous vivons est au contraire l’occasion d’investir afin de faire advenir une économie décarbonée».
Mais quel «monde d’après» nous dessine-t-on au juste? Reporterre présente quelques-unes des mesures annoncées dans le «bouillonnement» de la semaine dernière.
Mobilité
Agriculture et alimentation
Urgence sociale
Éducation
Santé
Financement
«On est là et ça ne se fera pas sans nous»
Jour après jour, la société civile organisée esquisse donc un ambitieux programme de transformation écologique et sociale. La liste des propositions s’allonge, sans pourtant que les classes dirigeantes ne montrent d’empressement à se les approprier. Pour Rémi Rousselet, de Démocratie ouverte, le «monde d’après» n’adviendra pas par la seule volonté — minime — des dirigeants : «Il faut que les citoyens se mobilisent massivement.» Mais comment agir dans une société régie par un nouveau paradigme de mise à distance physique? Rassemblements, manifestations, désobéissance civile… le répertoire d’actions des mouvements sociaux est actuellement réduit à peau de chagrin. «On peut construire une mobilisation forte en ligne, un peu sur le modèle de l’Affaire du siècle [Lancée fin 2018, la pétition contre «l’inaction climatique de l’État» avait recueilli plus de deux millions de signatures], pense M. Rousselet. Cette communauté de signataires peut ensuite solliciter, interpeller les élus et décideurs. Il faut montrer qu’on est là et que ça ne se fera pas sans nous.»
«Le gouvernement ne bouge que sous la pression, affirme aussi Eva Sas, porte-parole d’EELV. Multiplier les propositions, montrer que l’on peut faire autrement, c’est notre manière de mettre la pression, de pousser à une prise de conscience.» Julien Bayou se montre moins optimiste, arguant qu’«il existe peu de raison d’imaginer que le gouvernement prenne la mesure des changements», tout en défendant la démarche : «Ce n’est pas parce qu’on n’est pas entendus qu’il faut s’arrêter de hurler, dit-il. Il y a une attente phénoménale, un besoin énorme de justice sociale et d’écologie.» La sénatrice Esther Benbassa observe aussi un «bouillonnement souterrain qui peut éclater à nouveau à tout moment» : «On sort de plusieurs mois de mobilisation sociale inédite, avec les Gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites… Tout ne s’est pas arrêté avec le confinement, dit-elle. Quoique fasse le gouvernement, ça ne passera pas comme une lettre à la poste.»
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