10 mai 2020 par Floréal
« Plus rien ne sera comme avant », « Il n’est plus possible de continuer comme ça », lit-on à foison ici et là. Et tout le monde d’y aller avec force, et à juste titre, sur la condamnation du système libéral, la mondialisation, le profit à tout prix, et toutes les saloperies qui vont avec. Mais le « comme avant », ce n’est pas seulement ça. C’est aussi dans une large mesure ce qui prétend s’opposer à cela, ou qui fait semblant.
Après cette période désastreuse, ça va recommencer les manifs et les grèves d’un jour qui ne servent à rien, les « ténors » de la politique et leurs « petites phrases », les campagnes électorales et leurs promesses qui n’engagent que ceux qui y croient ? Bref, le même cirque, le même spectacle désolant, ces batailles de chiffonniers pour le pouvoir, qui ne changent jamais rien de fondamental pour toute cette masse de gens qui, comme disait Prévert, « travaillent dans la mine, ceux qui écaillent le poisson, ceux qui mangent de la mauvaise viande, ceux qui fabriquent des épingles à cheveux, ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines, ceux qui coupent le pain avec leur couteau, ceux qui passent leurs vacances dans les usines, ceux qui ne savent pas ce qu’il faut dire, ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait, ceux qu’on n’endort pas chez le dentiste, ceux qui crachent leurs poumons dans le métro, ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux, ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire, ceux qui ont du travail, ceux qui n’en ont pas, ceux qui en cherchent, ceux qui n’en cherchent pas, ceux qui donnent à boire aux chevaux, ceux qui regardent leur chien mourir, ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire, ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises, ceux que le suisse envoie se chauffer dehors, ceux qui croupissent, ceux qui voudraient manger pour vivre, ceux qui voyagent sous les roues, ceux qui regardent la Seine couler, ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente, qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on fouille, qu’on assomme, ceux dont on prend les empreintes, ceux qu’on fait sortir des rangs au hasard et qu’on fusille, ceux qu’on fait défiler devant l’Arc, ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier, ceux qui n’ont jamais vu la mer, ceux qui sentent le lin parce qu’ils travaillent le lin, ceux qui n’ont pas l’eau courante, ceux qui sont voués au bleu horizon, ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire, ceux qui vieillissent plus vite que les autres, ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l’épingle, ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi parce qu’ils voient venir le lundi, et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi et le samedi et le dimanche après-midi ».
Oui, le « comme avant », c’est tout cela, toute cette vie confisquée par un ordre social absurde et mortifère que seule régule la sacro-sainte Economie, toute cette clique qui règne sur des foules d’éternels sans-parole, mais aussi tous ceux qui prétendent représenter très officiellement ces derniers et qui en vivent plutôt bien. Si plus rien ne doit être comme avant, il faut que ce soit non seulement sans eux, mais contre eux, tous !
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