Une proposition écologique
paru dans lundimatin#241, le 4 mai 2020 Appel à dons Cette crise du Covid aura provoqué beaucoup de conclusions hâtives. On crut par exemple le capitalisme à l’arrêt – avant de constater que l’on continuait un peu partout de travailler. Alors on imagina la chaîne de production asiatique au repos et prochainement démantelée – pendant qu’Apple annonçait un nouvel iPhone, vite disponible au magasin du coin. Et puis on déclara, vidéos de baleines à l’appui que c’était la pollution qui s’était soudainement arrêtée… Selon certaines prévisions on pourrait en effet assister à la plus importante baisse des émissions (mondiales et annuelles) de CO2 de l’Histoire. Cette baisse pourrait être quatre fois supérieure à celle engendrée par la crise de 2008, et le double de 1944. On parle ici de 2000 million de tonnes de CO2 en moins, soit une baisse de … attention…. 5,5%. D’autres estimations évoquent une baisse (vertigineuse) de 8%. Heureux hasard, ces deux chiffres correspondent à peu près aux bornes fixées par l’Accord de Paris (vers une hausse des températures située entre 1.5 et 2%). La situation n’est pas toujours aussi disruptive que l’on veut bien le croire. Surtout il n’a y rien d’affreusement radical dans la proposition de poursuivre l’arrêt de l’appareil de production. Il s’agit de bon sens. C’est justement ce à quoi nous invite ce texte de Philippe Huguenin (membre de Moins !, journal romand d’écologie politique) en tentant d’identifier par où commencer.
Empêcher le redémarrage des secteurs économiques les plus toxiques
Les militants antinucléaires les plus chevronnés vous le diront. Il est bien plus facile de mobiliser la population contre la construction d’une nouvelle centrale que contre la fermeture d’une usine en marche, fut-elle vétuste comme celle de Fessenheim. Aujourd’hui, des pans entiers parmi les plus nuisibles de l’économie sont à l’arrêt. Nous nous mordrions les doigts s’ils redémarraient sans contestation, alors que l’occasion est certainement unique pour mettre un frein définitif à leurs activités. Lesquelles direz-vous ? Voici une sélection volontairement subjective qui peut être revue, élargie et discutée dans tous les groupes éco-activistes prêts à se mobiliser.
S’il y a un secteur qui fera l’unanimité, c’est sans doute celui de l’aviation. Celui-ci n’a perdu aucune occasion pour montrer son arrogance et sa désinvolture sur la question du dérèglement climatique. C’est le seul domaine qui n’est soumis ni au protocole de Kyoto, ni à l’accord de Paris. Il bénéficie d’avantages fiscaux indécents notamment en étant exempté de toutes taxes sur les carburants. Il détient également la palme du greenwashing avec son programme CORSIA qui prétend s’engager dans une croissance neutre en carbone à grands coups de d’agrocarburants et de mesures de compensation. C’est aussi le secteur responsable non seulement du tourisme de masse néocolonialiste dans les pays du Sud, mais aussi de la gentrification forcenée des villes desservies par des lignes low-cost comme Barcelone, Lisbonne, Florence, Prague ou encore Madrid. Et cerise sur le gâteau, ce sont les transports aériens qui portent une lourde responsabilité sur la propagation particulièrement rapide du coronavirus à travers le monde. Peut-être ce secteur serait-il essentiel et vital pour une partie de la population ? Même pas ! Les raisons pour laquelle la plupart des passagers prennent l’avion correspondent à des besoins très superflus, pour ne pas dire futiles. Avec toutes ces tares, les chances semblent bien minces pour que le secteur aérien puisse repartir, mais il faut compter sur le soutien indéfectible de la classe dirigeante mondialisée qui utilise l’aviation comme moyen pour asseoir sa domination- la si bien nommée jet set.
OGM et continent de plastique
L’autre secteur d’activités qu’il faudra à tout prix empêcher de redémarrer est sans doute moins connu du grand public. Pourtant, il est classé deuxième en terme de quantité de gaz à effet de serre émis, juste après l’industrie pétrolière. Vous l’aurez deviné ? C’est l’industrie textile. Celle-ci ne se contente pas d’être toxique pour le climat puisque la culture du coton recourt massivement aux pesticides, à l’irrigation et au semences OGM. Les fibres synthétiques ne font pas mieux, elles qui, à cause du frottement des lavages répétés, se retrouvent dans les rivières et les océans et alimentent les nouveaux continents de plastique qui asphyxient la faune marine. Depuis l’effondrement en 2013 de l’usine Rana Plaza au Bangladesh, écrasant dans sa chute plus de mille ouvriers, le monde entier est au courant que le travail de confection du prêt à porter dans des usines à sueur de nombreux pays du Sud n’a rien à envier aux méthodes esclavagistes. Et au bout du compte, moins de la moitié des habits produits ne serait pas même portés une seule fois ! Toujours pas motivé pour empêcher le redémarrage de ce secteur d’activité ? Il manque un argument « local » ? Cette industrie est nuisible ici aussi, avec ses boutiques franchisées qui monopolisent une bonne partie des surfaces commerciales des centres historiques provoquant la gentrification, la spéculation immobilière et chassant des quartiers de centre-ville les petits commerçants et les classes populaires. Bien sûr, s’habiller est un besoin de première nécessité, mais avec des habits solides, confortables, sains, produits avec des matières locales comme le lin, la laine ou le chanvre.
Le dernier secteur qui mérite d’être bloqué est celui des produits agro-industriels à base de sucre raffiné et de graisse ajoutée. Ce secteur est moins identifiable et il est sans doute plus difficile d’empêcher de le redémarrer. Il est pourtant particulièrement sournois et nocif, puisqu’il permet de rendre dépendant une large frange de la population, en particulier la plus défavorisée ; plusieurs études ont montré, par exemple, que la consommation de sucre raffiné créait une dépendance aussi forte que celle de la cocaïne. Il est également bien connu que la consommation excessive de tels aliments favorise de nombreux problèmes de santé qui sont par ailleurs souvent associés aux causes de mortalité du coronavirus (diabète, surpoids, hypertension). La charge écologique et sociale de ces produits est particulièrement lourde, que ce soit en terme d’emballages, de transport et de conditionnement ou de pollution liée aux pratiques agricoles. La limitation stricte de la diffusion de tels produits, notamment aux enfants, tombe donc sous le coup du bon sens et l’on peut s’attendre, à moyenne échéance, à ce que les autorités prennent des mesures adéquates. Cependant, il n’est pas inutile de mener des actions citoyennes qui accélèrent ce processus. Un première étape serait de s’attaquer aux distributeurs automatiques de snacks et boissons sucrées qui envahissent gares, écoles professionnelles ou hôpitaux.
Besoins essentiels contre superficialité toxique
Vous l’aurez compris, il existe de nombreux secteurs économiques qui non seulement sont particulièrement toxiques en termes écologiques et sociaux, mais qui ne répondent d’aucune manière à des besoins de première nécessité. Ils sont au contraire extravagants et s’ils n’étaient plus fournis, ne dérangeraient que les plus opulents ! Y renoncer permettrait de concentrer les activités de la société sur les besoins essentiels, afin d’assurer à toutes et tous des conditions de vie digne. Si les trois secteurs mentionnés plus haut ne redémarraient pas, cela pourrait servir d’exemple et en entraînerait d’autres dans leur chute, notamment toutes les activités néo-colonialistes dans les pays du Sud (extractivisme en tout genre, esclavagisme ouvrier, délocalisation des industries les plus polluantes).
Voici un an, des dizaines de milliers de personnes se mobilisaient à travers le monde pour dénoncer l’inaction des dirigeants face à l’urgence climatique. Si aujourd’hui cette urgence semble passer au second plan des impératifs médiatiques, elle n’a pas pour autant disparu. Parmi toutes ces personnes, nous pouvons penser qu’une minorité agissante et déterminée s’engage pour bloquer et manifester devant les aéroports, pour afficher et se rassembler devant les boutiques de mode et les entrepôts de stockage d’habits, pour dénoncer et boycotter les produits industriels saturés en sucre et graisse ajoutées. D’autres actions subversives sont à encourager et à multiplier. Profitons du déconfinement qui s’annonce pour reprendre la lutte et donner sens à nos engagements !
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