Antoine Chao, reporter et membre de longue date de l’équipe de « Là-bas si j’y suis », a envoyé ce texte à Rue89 après la publication d’un article sur les remous provoqués, sur le Web et à Radio France, par la parution d’une enquête du journal Article11 décrivant les conditions de travail dans cette émission et reprenant les accusations de harcèlement moral portées contre son animateur Daniel Mermet. Y.G.
« L’avantage de la radio sur le cinéma, c’est qu’à la radio l’écran est plus large », disait Orson Welles. Réduire l’histoire de « Là-bas si j’y suis » à un psychodrame écrit à travers la lentille déformante de la rancœur me semble un peu étroit.
Elargissons le champ de vision et de réflexion sur l’histoire de « Là-bas si j’y suis » sans se focaliser sur le récit de quelques-uns d’entre nous dont l’expérience a été malheureuse, douloureuse, voire destructrice.
Je vais essayer d’y contribuer avec quelques lignes qui témoignent de mon expérience différente à « Là-bas si j’y suis ». Beaucoup de membres de l’équipe de Mermet ne vivent pas ou n’ont n’a pas vécu cette expérience professionnelle de façon dramatique. C’est mon cas, et j’y travaille depuis bientôt douze ans.
De cinq émissions par semaine à quatre
Non, ce n’est pas un scoop : participer à l’élaboration de « Là-bas si j’y suis » n’est pas un boulot paisible et confortable, Daniel Mermet n’est pas toujours tendre avec ses collaborateurs. Mais son exigence voire son intransigeance ne sont peut-être pas sans rapport avec la qualité et la longévité de cette émission.
Des moments de tension dans notre bureau exigu ? Oui, cela arrive. Mais quel média s’affranchit du moment de tension et de stress qu’est le bouclage ? « Mickey Parade » ? Même pas sûr !
D’autant plus qu’à « Là-bas si j’y suis », le bouclage est quotidien. Enfin, il l’était, puisque la direction de France Inter nous a annoncé, le 28 juin, son intention de supprimer l’émission du vendredi et 20% du budget par la même occasion. Les conditions de production de l’émission et de rémunération de l’équipe risquent d’en prendre un coup à la rentrée.
Pas rare de récuser les décisions de Mermet
Oui, les coups de gueule de Mermet sont une réalité et sont même devenus légendaires dans le monde de la radio. Mais ils ne sont pas pour autant le quotidien d’une équipe qui devrait les subir ou les éluder sans moufter.
Oui, il existe un esprit d’équipe à « Là-bas si j’y suis », qui peut varier en d’intensité, c’est vrai, selon le contexte et la composition de cette équipe. Il n’est pas rare que nous prenions des décisions communes ou que nous en récusions d’autres prises unilatéralement par Daniel Mermet et qui nous semblent malvenues.
« Là-bas si j’y suis » est aujourd’hui le fruit d’un long travail de construction et d’entêtement de Daniel Mermet dans une Maison ronde pas toujours bienveillante, tout particulièrement la direction de France Inter ces dernières années, mais aussi de ses équipes et de ses collaborateurs successifs.
Savoir pourquoi on y est et on y reste
Oui, il y a du « turn over » à « Là-bas si j’y suis ». D’abord parce que la direction de France Inter ne propose aucun CDI : on enchaîne les CDD de quelques jours ou de dix mois au mieux. L’année prochaine, l’émission sera-t-elle reconduite, et dans quelles conditions ? Nous le savons fin juin, c’est précaire, c’est usant.
Oui, la plupart des pigistes, « cachetiers » ou producteurs de France Inter qui travaillent aux programmes sont intermittents du spectacle, situation surprenante et navrante qui devrait évoluer, espérons pour le meilleur. La renégociation du protocole d’accord relatif à l’assurance chômage des annexes 8 et 10 dites « du spectacle » doit en effet se tenir d’ici la fin de l’année 2013.
Et ensuite parce que, oui, chez Mermet, c’est vrai, on bosse beaucoup, plus que dans d’autres émissions peut-être, et c’est usant aussi : il y a de l’urgence, de l’urgence quotidienne. Il faut savoir pourquoi on y est et pourquoi on y reste, pourquoi on s’entête, pourquoi on est prêt à passer des nuits blanches pour finir un montage à temps pour l’émission du lendemain.
Pour l’amour de la radio ? Pour défendre des convictions ? En ce qui me concerne, c’est pour les deux à la fois, et c’est souvent comme ça, pour faire du son qui a du sens.
Rentrer dans le moule de cette écriture radio
Pour gagner sa vie aussi, c« est indispensable. Mais pour y arriver, il n’y pas d’école “ agréée ” et malheureusement pas de budget de formation à “ Là-bas si j’y suis ”.
Pour apprendre, ce n’est pas dans les livres, c’est sur le tas, et c’est dur. Il est indispensable, dans un premier temps, de rentrer dans le moule de cette écriture radiophonique particulière et élaborée. Oui, Il faut une certaine dose d’abnégation, il faut être capable d’apprendre encore même quand on croit savoir déjà, c’est ingrat.
L’égo, pour certains, ou la confiance, pour d’autres, peuvent en prendre un coup. Mais au bout du compte, et si l’humeur du postulant est compatible avec celle de Daniel, “ Là-bas si j’y suis ” devient un fabuleux espace de travail, de création et de revendication.
Et il n’en reste que trop peu sur les ondes. Et que la fin soit dans les moyens, je le souhaite et j’essaye aussi d’y apporter ma contribution quotidiennement, de l’intérieur.
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