Commentaires (cosmo) anarchistes

Un lundisoir avec Josep Rafanell i Orra

lundisoir – paru dans lundimatin#405, le 27 novembre 2023

Pour ce lundisoir, nous avons convié Josep Rafanell i Orra qui vient de publier un excellent petit traité de cosmo anarchie (Divergences). Plutôt que de bavarder, nous lui avons demandé d’éclaircir certains des points clefs du livre : pourquoi nous faut-il tout destituer à commencer par cette drôle d’idée qu’est le sujet ? En quoi une nouvelle idée du communisme s’oppose radicalement à cette autre drôle d’idée : la société ? Comment la fin du monde pourrait aussi receler la resurgissement des mondes ? Que peut-être une fuite de la politique qui ne renonce en rien à la lutte partisane ?

Dans les temps à venir, il nous faudra beaucoup détruire pour que des transitions de l’expérience, des passages, puissent tracer leurs chemins au travers un archipel de mondes.

Landauer proclamait en 1901 quelques années avant le coup de massue porté à la modernité par sa propre entreprise mondiale de mort mécanisée :

« L’anarchie n’appartient pas à l’avenir, mais au présent ; elle n’est pas affaire de revendications, mais affaire de vie. Il ne s’agit pas de nationalisation des conquêtes du passé, il s’agit de la naissance d’un peuple nouveau qui, venant des petits commencements, se forme de tous les côtés par colonisation intérieure, au milieu d’autres peuples, dans des nouvelles communautés. Il ne s’agit point de lutte des classes des non-possédants contre des possédants, mais il s’agit du fait que des êtres libres, moralement forts et maîtres d’eux-mêmes, se séparent des masses pour s’unir dans de nouveaux liens. »

Depuis, d’autres cataclysmes sont passés par là. Il est redevenu impossible à l’être de s’arranger avec ce qu’il est. Nous ne serons plus jamais « ni forts ni maîtres de nous-mêmes ». Nous sommes forts seulement de l’attention que nous pouvons porter à la vulnérabilité de ce qui relie les êtres qui entraîne des transfigurations. Car notre force réside dans la lutte acharnée contre les puissances qui négligent les manières d’exister, qui anéantissent les passages qui rendent possibles les rencontres.

Il suffit du naufrage d’un rafiot avec sept cents migrants engloutis par la mer sous les yeux des polices de Frontex pour qu’on puisse les oublier. C’est là le peuple qui manque. L’âge de l’émancipation du peuple est révolu si nous n’envisageons pas les passages vers sa fragmentation. Je garderai des mots de Landauer leur visée vers la sécession, sa passion éperdue pour la communauté par le retrait. Et je n’oubliai plus que la révolution ne peut être que la dissolution de la société où se rassemblent des sujets esseulés. Que y avait-il avant le Sujet ? La force des liens entre les êtres. Que retrouverons-nous après lui ? La magie à nouveau ; des forces et des puissances qui relient.

C’est en vérité à la fin définitive de l’Homme à laquelle nous assistons. Michel Foucault dans Les Mots et les Choses disait : « L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine. »

Peut-être qu’en fin de compte ce n’est pas Dieu qui est mort mais l’Homme qui en avait fait le nom terrible de l’Absolu. « Dieu existe, disait Fritz Zorn. Je considère même cette phrase comme la possibilité d’un fait. Mais même si cette phrase devait être juste, elle n’est juste que si on la précise de la manière suivante : Dieu n’existe qu’en partie, pour le reste il est liquidé ». Peut-être que Dieu n’est pas mort car il n’a jamais été rien d’autre qu’une pure transition. D’un monde à un autre, des Dieux adviennent et puis deviennent. Nous pouvons à notre tour devenir des fidèles passagers dans les régions de l’anarchie du cosmos. Si nous voulons une vie bonne il nous reste à fabriquer à l’Homme une bonne mort. Sortir enfin de la modernité et de ses désastres se résume peut-être à cela : en finir avec l’autonomie du sujet comme fondement. Mais pour cela il faut entendre les appels du monde.

Bonjour. Peut-être pourra-t-il apaiser
Le vent obscur, et que plus lentes,
Suaves, accompagnées,
Viennent les heures nouvelles
Aujourd’hui.

Salvador Espriu. Mrs. Death

À bon entendeur, salut.”

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