Les dernières projections en sièges pronostiquent au parti d’extrême droite Vox une trentaine de députés aux Cortes, lors des élections générales prévues le 28 avril. Un choc dans un pays dont l’histoire récente a été marquée par 40 ans de dictature nationaliste et catholique. Depuis, l’Espagne faisait figure d’exception en Europe : aucun parti d’extrême droite n’y avait réalisé de percée électorale.
Un sondage n’est pas une élection, mais celui du très institutionnel Centre de recherches sociologiques (CIS) fait tout de même office de baromètre politique, à moins de 15 jours des élections générales en Espagne. Réalisé auprès de plus de 16 000 personnes, il donne à Vox, le parti d’extrême droite, près de 11,9 % des voix. Lors de ce scrutin proportionnel à un tour, 29 à 37 députés de cette petite formation nationaliste fondée en 2013 pourraient faire leur entrée aux Cortes, selon l’étude du CIS.
À droite, le Parti populaire (PP) s’effondrerait à 17,2 % des suffrages, perdant 16 points par rapport à son score de 2016. L’autre parti de droite Ciudadanos raterait son pari de remplacer la droite traditionnelle. Il plafonne à 13,6 %, soit plus de trois points derrière le PP. À gauche, le parti socialiste (PSOE) deviendrait de loin la première formation politique avec 30,2 % des voix et plus d’un tiers des sièges. Podemos fait les frais de cette percée des socialistes en passant de 21,3 % des voix en 2016 à seulement 12,9 % le 28 avril prochain.
Revival fasciste en Espagne ?
« Nous ne prenons pas le ciel d’assaut, nous le conquérons », lançait Santiago Abascal, le leader de Vox, le 7 octobre dernier à Madrid lors d’un meeting réunissant près de 10 000 sympathisants. La référence aux propos du chef de file de Podemos dans la même salle quatre ans plus tôt était évidente. Pablo Iglesias s’appuyant alors sur le mouvement populaire du 15 M espérait « prendre le ciel d’assaut » et arriver aux commandes de l’Espagne en deux ans. Le succès de ce meeting madrilène pour Vox sonne comme une première alerte d’un retour de l’extrême droite sur la scène politique, et ce de façon autonome. Jusque-là, les nostalgiques du passé franquiste de l’Espagne étaient intégrés dans le PP, le grand parti regroupant toutes les familles idéologiques des droites.
Créé en décembre 2013 par d’anciens cadres du Parti populaire, Vox stagne pendant plusieurs années, n’obtenant que 0,2 % des voix lors des dernières élections générales en Espagne. Son coup de barre à droite et son héritage assumé et décomplexé du franquisme ne trouve alors pas d’écho dans la société espagnole. Mais il n’en est pas de même aujourd’hui après la crise catalane. Les aspirations unionistes ont grandi. Petit fils de franquiste, Santiago Abascal veut réduire les autonomies et pourquoi pas supprimer les parlements régionaux, comme Franco avait supprimé les autonomies en Catalogne et au Pays basque en 1939. Il souhaite également supprimer la loi sur la mémoire historique qui reconnaît les victimes de la guerre civile.
Autre thème central du programme de Vox « 100 mesures pour une Espagne vive », la haine des féministes, traitées de « féminazis » ou de « féministes suprémacistes », alors que le mouvement des femmes porte le mouvement social ibérique. Là aussi, le parti d’extrême droite est à l’offensive : remise en question des lois sur les violences machistes, l’avortement et le mariage homosexuel. Enfin, Vox propose de construire un mur entre les enclaves de Ceuta et Melilla, et le reste de l’Espagne. Fort d’un succès remarqué lors des élections régionales en Andalousie en décembre 2018, l’extrême droite s’apprête à généraliser sa percée électorale fin avril. Si le parti reste faible en Catalogne ou au Pays basque, il pourrait atteindre des scores proches de 20 % dans les provinces de Madrid, de Valence ou de Murcie en Andalousie.
Un cordon sanitaire déjà brisé
Malgré le choc que représente ce retour électoral de l’extrême droite, aucun cordon sanitaire politique ne semble être réellement envisagé par la droite espagnole. Le 2 décembre, Vox obtient 10,97 % et 12 sièges au parlement andalou tenu par la gauche depuis 36 ans. La région compte 22,6 % de chômage, huit points au-dessus de la moyenne officielle nationale. Le 16 janvier, le candidat du Parti populaire a été nommé à la tête de la région la plus peuplée du pays dans le cadre d’une coalition avec les libéraux de Ciudadanos, et d’un pacte signé avec Vox une semaine plus tôt. Une aubaine pour l’extrême droite qui gagne d’un coup le statut de formation politique légitime et fréquentable.
Les mêmes jeux d’alliances risquent de se reproduire aux Cortes après le 28 avril. Avec cinq partis dépassant les 10 %, la composition d’une majorité stable relèvera probablement du casse-tête. Le PSOE avec plus de 30 % des voix pronostiquées aura la main pour proposer des alliances, mais signer un programme de gouvernement avec Podemos ne l’enthousiasme pas totalement, alors qu’une union avec Ciudadanos n’atteindrait pas les 50 % nécessaire lors du premier vote des parlementaires. En cas d’échec, un nouveau scrutin devra regrouper plus de votes favorables que défavorables pour former un gouvernement.
Dans ce cas de figure, tous les scénarios sont envisageables, d’autant que les nationalistes catalans et basques, crédités de plus de 5 %, pourraient jouer les forces d’appoints dans certaines coalitions. Du côté des droites, selon les projections en sièges du CIS, elles pourraient en s’alliant représenter une alternative au Parti socialiste. Une option séduisante pour le Parti populaire dont le nouveau leader a droitisé son discours, et qui voit en Vox un parti populiste et non d’extrême droite. Selon les résultats finaux du 28 avril, la nomination d’un nouveau gouvernement pourrait traîner en longueur jusqu’aux scrutins du 26 mai.
Ce jour-là, les Espagnols voteront à la fois pour les Européennes, les municipales, et pour l’élection de nombreux parlements régionaux. Là, une alliance avec Vox pourrait permettre à la droite de ravir Madrid à la coalition de gauche au pouvoir. L’extrême droite n’a pas fini de faire parler d’elle en Espagne.
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