Refuser le compteur Linky

La toile bien tissée de Cédric Villani

Le député En Marche de l’Essonne a organisé ou participé à des audiences parlementaires sur les questions de l’électrosensibilité et des compteurs communicants. Problème : ses relations professionnelles avec des entreprises du secteur.

[Un article du dernier numéro de L’âge de faire]

Cédric Villani était-il en mesure de mener sereinement des débats sur l’électrosensibilité ou les compteurs communicants, comme il l’a fait en tant que vice-président de l’Opecst (Office parlementaire des choix scientifiques) ? Que les choses soient claires : les compétences du monsieur, mathématicien mondialement reconnu, ne sont pas remises en cause ici. Sa situation personnelle, en revanche, a de quoi nous interroger sur son impartialité, voire sur de possibles conflits d’intérêts.

Ainsi, le 31 mai 2018, l’Opecst a organisé une audition publique sur le thème de l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Cédric Villani a pris part aux échanges et présidé la partie consacrée aux « limites d’exposition aux ondes électromagnétiques, leur définition, leur contrôle et leur évolution ». Or, le député de l’Essonne a été, pendant deux ans, membre du Conseil scientifique de l’opérateur de téléphonie mobile Orange, et a même présidé ce conseil. Il a, certes, démissionné de cette activité suite à son élection. Est-il pour autant en mesure de mordre la main de l’opérateur qui lui a donné 15 000 euros par année d’activité ?

« Une proposition farfelue »

La question se pose avec encore un peu plus d’acuité concernant les débats sur le compteur Linky. C’était en décembre 2017. Face au tumulte déclenché par le déploiement de ces compteurs, l’Opecst avait eu la bonne idée d’organiser ces échanges. À l’époque, Cédric Villani avait apparemment eu du mal à trouver des opposant·es prêt·es à venir s’expliquer. Le Canard Enchaîné du 13 décembre raconte ainsi que, contacté par un de ses journalistes à ce sujet, celui qui se verrait bien maire de Paris lui avait fait une « proposition farfelue » : « Je vais peut-être dire une bêtise, mais est-ce que cela vous intéresserait de venir parler au nom des collectifs anti-Linky ? Parce que, pour l’heure, on n’a toujours personne. » Il existe pourtant des centaines de collectifs un peu partout sur le territoire ! Au final, une seule représentante d’un collectif aura participé à l’audition parlementaire. Est-ce vraiment un hasard ?

Car Cédric Villani a également été membre du Conseil scientifique d’EDF, de 2015 à 2017. Il a pour cela touché 6 500 euros. Là encore, il a quitté ses fonctions suite à son élection. Tout de même : est-il vraiment en mesure de s’opposer au déploiement de ce compteur ? Pour rappel, EDF détient toujours 100 % d’Enedis, la filiale qui mène le programme Linky.

TOUJOURS AU CONSEIL SCIENTIFIQUE D’ATOS

À propos, à qui a été confiée la conception de ce compteur communicant ? À la société Atos. Et qui trouve-t-on au sein du conseil scientifique d’Atos ? Si, si, vous avez bien deviné : Cédric Villani en fait partie depuis 2016 et touche, à ce titre, 5 000 euros par an de cette entreprise. Or, contrairement à ses autres activités, le député En Marche n’a pas démissionné de celle-ci et poursuit donc sa collaboration avec Atos.

Peut- être ne souhaite-t-il pas insulter l’avenir : cette boîte française fait partie des dix plus grandes entreprises de service du numérique (ESN) du monde, et affiche un chiffre d’affaires de 13 milliards d’euros. Elle évolue dans le domaine de la cybersécurité, du supercalcul, mais aussi du Big Data et de l’intelligence artificielle, un domaine qui passionne tout particulièrement Cédric Villani. L’homme à la lavallière a d’ailleurs rédigé un rapport proposant une « stratégie nationale et européenne » sur l’intelligence artificielle, rapport remis en 2018 au Premier ministre. Alors, il serait sans doute dommage de se fâcher pour une vulgaire histoire de compteur…

Surtout qu’Atos a déjà montré qu’elle savait prendre soin des anciens responsables politiques. À la direction de ce groupe, on trouve Thierry Breton, qui a été ministre de l’Économie de février 2005 à mai 2007, au moment de la promulgation de la loi Pope qui a acté le projet de généralisation des compteurs Linky.

Contacté par L’âge de faire, Cédric Villani n’a pas répondu à nos questions en raison d’un « agenda chargé »

Nicolas Bérard

Cet article est directement extrait du n° 140 du journal L’âge de faire. Monté en Scop (société coopérative), ce mensuel appartient à ses seul-e-s sept salarié-e-s (pas de Xavier Niel ni de Matthieu Pigasse parmi eux…), refuse la publicité et n’est affilié à aucun parti politique ou autres organisations. C’est cette indépendance qui lui permet de traiter aussi librement le sujet de l’électrohypersensibilité que celui des OGM ou du nucléaire. Pour permettre à cette presse libre et indépendante d’exister, un seul réflexe :

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