Publié le 16 mars 2015 |
Entretien avec Stéphane, militant syndical et élu CHSCT, autour du projet de loi sur le dialogue social et de la volonté du patronat de voir disparaître cette instance en charge de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise.
Suite à l’échec des négociations sur le dialogue social entre le patronat et les confédérations syndicales de salariés, le gouvernement Valls a décidé de reprendre le dossier, et a annoncé un projet de loi sur le sujet. Sous prétexte d’ « adapter les règles de la représentation au nombre de salariés de l’entreprise », il est notamment question de fusionner les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les comités d’entreprise (CE) [1]. Échange sur le sujet avec Stéphane, militant à la CGT, secrétaire d’un des CHSCT de l’entreprise Schindler.
Quelle analyse fais-tu des propositions du gouvernement ?
L’idée principale, c’est que le patronat veut détruire les CHSCT. Parce que le CHSCT dispose de compétences étendues pour s’occuper de l’organisation du travail, et peut notamment mettre en place des enquêtes et des expertises sur différents sujets. Les patrons ont donc le sentiment qu’on touche à leurs prérogatives.
Repère
Constitué dans tous les établissements occupant au moins 50 salariés, le CHSCT a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail.
Ce que je comprends du projet du gouvernement, c’est qu’il s’agit de donner des garanties à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), en leur assurant qu’il n’y aura pas de CHSCT dans leurs entreprises. Le gouvernement envisage la création d’une instance unique qui regrouperait les compétences du CE, des délégués du personnel (DP) et du CHSCT. C’est un retour de quarante ans en arrière, avant les lois Auroux !
Il n’y aurait plus d’instance spécifique en charge des questions de conditions de travail ?
Exactement. Le gouvernement garantit uniquement le maintien d’une commission compétente pour les questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail pour les entreprises où il y aurait une délégation unique du personnel (DUP), délégation dont le champ serait élargi aux entreprises ayant jusqu’à 300 salariés [2]. A ce stade, on n’a aucune information sur la survie du CHSCT dans les autres boîtes. De plus, rien n’empêchera une grosse entreprise de mettre ses établissements en DUP.
Pour les boîtes de plus de 300 salariés, le gouvernement évoque la possibilité de passer par un accord d’entreprise pour fusionner en une seule et même instance les compétences des délégués du personnel, du Comité d’entreprise et du CHSCT.
Vouloir passer par des accords, c’est s’assurer que le projet de la direction passe, sauf révolution dans l’entreprise. Avec la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, les projets d’entreprise sont désormais pliés en 4 mois maximum. Et il sera difficile de mobiliser les salariés d’une entreprise autour de la survie et des prérogatives du CHSCT : il est déjà difficile de mobiliser sur ce qui les concerne au quotidien. Le gouvernement en profite pour poursuivre le détricotage du code du Travail entamé sous l’ère Sarkozy.
Ce qui est assez incroyable, c’est qu’il n’y a que 22 000 CHSCT en France, un chiffre faible au regard du nombre d’entreprises. Cette instance n’existe que dans les entreprises de plus de 50 salariés, et il y a une volonté du MEDEF de la détruire. A l’époque où Ernest-Antoine Sellière était président du MEDEF, Denis Kessler, son commissaire politique, avait expliqué dans une tribune qu’il fallait revenir sur toutes les réformes mises en place par le Conseil National de la Résistance (CNR, qui avait notamment institué les comités d’entreprise). Aujourd’hui, le gouvernement est en train de donner satisfaction au patronat. Le MEDEF donne le « la », Macron et Rebsamen mettent ça en musique.
Pourquoi le CHSCT est-il une instance importante ?
Le CHSCT est le dernier espace où les salariés ont encore une forme de contre-pouvoir face à la direction. En l’état actuel du code du Travail, les élus du CHSCT sont encore en capacité de démontrer la mauvaise organisation du travail dans l’entreprise. Cela a été le cas à la FNAC, où les enquêtes et expertises des CHSCT ont permis de casser un nouveau plan de réorganisation qui aurait entraîné une dégradation des conditions de travail [3].
Quand un salarié se blesse, le CHSCT est l’espace où l’on peut batailler sur les questions d’équipement et de protection collective. Mais c’est aussi l’espace où l’on peut aborder la question des troubles psychosociaux ; la blessure invisible, c’est-à-dire la blessure morale, psychologique, entre aussi dans le champ de compétence des CHSCT. Le CHSCT peut interpeller la direction, l’inspection du travail, le médecin du travail, les contrôleurs CARSAT [4] quand l’organisation du travail est susceptible d’engendrer des troubles psychosociaux. Or, c’est un sujet dont les entreprises ne veulent absolument pas parler.
Derrière le projet du gouvernement, c’est surtout la possibilité pour le CHSCT de recourir à un expert extérieur qui est en ligne de mire, pour des questions financières et judiciaires. Alors que la parole syndicale est suspecte (elle serait « idéologique », « politique », « déconnectée des réalités économiques »), le rapport de l’expert permet de la soutenir et de l’accréditer, surtout face aux juges. Ce qui est déterminant compte-tenu de la judiciarisation actuelles des relations sociales. Aujourd’hui, dans mon entreprise, à chaque fois que le CHSCT lance une procédure de droit d’alerte pour dénoncer un danger grave et imminent, il est contesté au tribunal par la direction. Pareillement, les expertises que nous votons sont systématiquement contestées devant les tribunaux.
Le patronat se moque de l’échange, du « dialogue social ». Avec la mise en place d’un délai préfix de quatre mois pour la consultation des instances de représentation du personnel, instaurée par la loi du 14 juin 2013, il ne sert plus à rien de discuter avec la direction : ils attendent tranquillement l’écoulement des délais pour passer leurs projets, sans en changer une virgule. Auparavant, lorsque la direction présentait un projet, l’intervention des organisations syndicales combatives permettait de modifier les projets, en prenant en compte la réalité du travail dans l’entreprise. Aujourd’hui, les projets présentés ne tiennent pas la route, mais il n’est plus possible de les faire évoluer : la direction n’a plus besoin de modifier ses plans pour obtenir un avis des élus. Et avec la création d’une « instance temporaire de coordination » [5], les CHSCT ont perdu un élément du rapport de forces, qui tenait dans la possibilité de multiplier les expertises. C’était à la fois une pression financière vis-à-vis de l’employeur (l’expertise étant à sa charge), et une pression juridique. C’est justement cette multiplication des expertises qui avait permis aux syndicats de gagner face à la FNAC.
On a donc des directions qui méprisent les instances représentatives du personnel et qui refusent de s’appuyer sur l’expérience du travail qu’ont les salariés.
C’est ça. Quand, au sein de notre entreprise, les instances de coordination des CHSCT ont demandé des expertises, comme la loi l’autorise, on a été qualifiés de « fous furieux », et on a entendu la DRH nier les difficultés soulevées par les experts. Même les interventions des médecins du travail ou du contrôleur CRAMIF [6] ont été mises en cause. Et il n’y a même plus d’institution pour rappeler les employeurs à l’ordre : avec la réorganisation par Michel Sapin de leur administration, les inspecteurs du travail ont perdu 20 % de leurs effectifs.
Aujourd’hui, le patronat a l’oreille attentive du gouvernement. C’était déjà le cas lorsque Nicolas Sarkozy était président, mais à l’époque les gens descendaient dans la rue. Le 9 avril 2015 doit devenir un jour de référence dans la lutte contre ce gouvernement qui applique les recettes du MEDEF.
Notes
[1] Cf cette page du site du gouvernement, encart « De quoi s’agit-il ? ».
[2] La délégation unique du personnel est le fruit, dans les entreprises de moins de 200 salariés, de la fusion des élections des délégués du personnel et des élus du CE. Les salarié-es élu-e-s cumulent ainsi les deux fonctions.
[3] Sur cette affaire, voir l’article de la revue Santé et travail.
[4] Caisse Nationale de l’Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés.
[5] A propos de cette instance, lire l’analyse de Stéphane sur le site Terrains de luttes.
[6] Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France.
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