La catastrophe environnementale, l’autre menace pour Gaza

La catastrophe environnementale, l'autre menace pour Gaza

Selon une étude publiée le mois dernier, les deux premiers mois de guerre dans la bande de Gaza ont généré des émissions de gaz à effet de serre plus importantes que les émissions annuelles individuelles de 20 pays. La vaste majorité de cette pollution est imputable à Israël. Avec cette étude, première du genre à évaluer le coût environnemental de ce conflit, les chercheurs espèrent combler les lacunes dans le recueil de données sur le coût climatique des guerres.

Le conflit mené par Israël dans la bande de Gaza, en représailles à l’attaque terroriste perpétrée sur son sol par le Hamas le 7 octobre, est une tragédie humaine et une catastrophe humanitaire : près de 30 000 personnes ont été tuées, 70 000 autres ont été blessées. 70 % des victimes sont des femmes et des enfants. La population meurt de faim. Ce conflit pèse aussi lourdement sur une autre bataille : celle pour la préservation d’une planète habitable.

Les habitants de Gaza subissent les bombardements incessants de l’armée israélienne depuis le massacre du 7 octobre 2023.
Image AFP

Les deux premiers mois du conflit ont généré plus de 280 000 tonnes de dioxyde de carbone, selon une étude (initialement relayée par The Guardian) menée par des chercheurs britanniques et américains et publiée dans le Social Science Research Network, un journal scientifique. Ces émissions sont supérieures à l’empreinte carbone annuelle de plus de vingt pays en voie de développement. Plus de 99% de ces émissions sont attribuables aux frappes aériennes israéliennes et à l’invasion terrestre de la bande de Gaza, selon l’étude.

C’est un problème mondial qui est concentré à Gaza

Les chercheurs ont évalué l’empreinte carbone des missions aériennes, de la fabrication et de l’explosion de bombes, roquettes et autres types d’artillerie, et de l’utilisation de véhicules militaires, mais ont exclu de leurs calculs d’autres gaz, comme le méthane, qui participe également au réchauffement climatique. Les chercheurs ont aussi calculé l’empreinte carbone des infrastructures en béton liées à la guerre, comme les tunnels sous la bande de Gaza ou la barrière entre la bande de Gaza et Israël, construites par les deux parties depuis 2007. Selon les auteurs, les chiffres de l’étude sont largement sous-estimés. “Ils pourraient être cinq à huit fois plus importants”, explique à Blast Patrick Bigger, co-auteur de l’étude et directeur de recherche du groupe de réflexion Climate and Community Project.

Il y a, dans un contexte de guerre, trois stades d’émissions : la fabrication du matériel de guerre, qui comprend les armes, les munitions et les véhicules, les actes de guerre comme les bombardements, et enfin, la reconstruction, explique à Blast David Boyd, rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme et l’environnement. Plus de la moitié des bâtiments de la bande de Gaza, qu’ils soient des magasins, des habitations ou des hôpitaux, ont été endommagés ou détruits, selon une étude menée en début d’année et s’appuyant sur des données satellite. La reconstruction de Gaza générerait l’équivalent des émissions annuelles individuelles de plus de 130 pays, ou autant que la Nouvelle-Zélande.

Les milliers de bâtiments rasés par l’armée israélienne, du fait de l’amiante qu’ils dégagent dans l’air, vont provoquer de nombreuses maladies pour la population gazaouie.
Image AFP

Alors que les conséquences du changement climatique, qui incluent la montée du niveau des eaux ou encore des épisodes de fortes chaleur et sécheresse, menacent déjà la bande de Gaza, une grande partie des terres agricoles et des infrastructures d’eau et d’énergies ont été détruites ou polluées depuis l’invasion d’Israël. “Il y a de l’amiante dans l’air, que la population respire et qui engendrera le développement de maladies dans 20 ou 25 ans”, explique David Boyd. “Nous nous concentrons sur les conséquences quotidiennes de la guerre, mais les conséquences environnementales continueront de nuire à la santé de la population pendant des décennies”, ajoute-t-il. “C’est un problème que l’on voit sur les lieux d’opérations militaires américaines et sur les bases américaines à travers le monde : contamination de l’eau aux PFAS, les polluants éternels, les détritus des bombardements… C’est un problème mondial qui est concentré à Gaza”, explique Patrick Bigger.

Le rôle des États-Unis

Le rôle des États-Unis ne peut pas être sous-estimé, affirme le chercheur “Les seules émissions directes des États-Unis que nous avons comptabilisées sont les vols d’approvisionnement”, qui pèsent pour près de la moitié des émissions comptées pour Israël. “Mais tout l’argent envoyé à Tsahal au cours des 20 ou 30 dernières années, tout le matériel ayant permis la construction du Dôme de fer, la mur de séparation entre la bande de Gaza et Israël, toutes ces façons dont les États-Unis contribuent à l’apartheid et au génocide en Palestine, ont également un impact significatif sur le climat. Nous n’avons qu’un très petit aperçu, nous espérons pouvoir faire plus de recherche pour mieux comprendre le rôle des États-Unis à l’intersection du génocide et de la crise climatique”, ajoute-t-il.

The Guardian rappelle qu’en 2022, l’armée américaine a déclaré avoir généré environ 48 millions de tonnes métriques de CO2, selon une étude menée par Neta Crawford, auteur de The Pentagon, Climate Change and War. Cette empreinte carbone de référence, qui exclut les émissions générées par les attaques contre les infrastructures pétrolières de l’État islamique menées cette année-là, était supérieure aux émissions annuelles individuelles de 150 pays, dont la Norvège et l’Islande. Selon le chercheur, environ 20 % des émissions opérationnelles annuelles de l’armée américaine servent à protéger les intérêts liés aux combustibles fossiles dans la région du Golfe.

Bilan carbone militaire : à quand des données transparentes ?

On estime que les émissions militaires représentent 5 à 6 % des émissions totales à l’échelle de la planète, explique David Boyd. Cela fait de l’empreinte carbone des armées dans le monde, sans tenir compte des pics d’émissions liés aux conflits, la quatrième plus importante après les États-Unis, la Chine et l’Inde. Cependant, et ce en grande partie à cause de la pression exercée par les États-Unis, la déclaration des émissions militaires reste volontaire. En 2023, seulement quatre pays ont rapporté des données, avec des “lacunes importantes” voire “très importantes”, à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Les auteurs de l’étude appellent à “rendre obligatoire ces déclarations, tant en temps de guerre qu’en temps de paix, dans le cadre de la CCNUCC”.

Entassés à Rafah et sans cesse bombardés, les Palestiniens font face à la mort. Les Etats-Unis n’arrêtent pas pour autant leurs exportations d’armement vers Israël.
Image Mohamed El Saife / Blast

“Il s’agit d’une décision politique. Les militaires avancent l’argument douteux selon lequel le fait de déclarer leurs émissions permettrait à leurs adversaires d’obtenir des informations stratégiques, ce qui est tout simplement faux”, affirme David Boyd. “Nous nous éloignons de la résolution de cette crise climatique en continuant à nous préparer à la guerre. Un plus grand effort doit être fait pour relancer les processus de paix dans ces conflits régionaux, pour essayer de parvenir à une planète où la paix est la norme et où les nations n’ont pas à dépenser des milliers de milliards de dollars, causant tous ces problèmes environnementaux pour des guerres qui sapent les droits de l’homme et qui sapent nos efforts pour parvenir à un avenir durable”, ajoute-t-il.

Patrick Bigger se réjouit de voir que, depuis le mois d’octobre, des liens plus étroits se forment entre “la libération palestinienne, le militarisme et les mouvements pour la justice climatique”. Rappel indiscutable, le chercheur souhaite réaffirmer à la fin de notre échange que les émissions de carbone ne constituent pas la raison la plus importante pour laquelle on doit exiger un cessez-le-feu : chaque vie vulnérable en est la raison. “Mais si on apporte à la table une donnée additionnelle qui permet aux gens de se rallier à cette position et de voir l’asymétrie entre Palestiniens et Israéliens, alors c’est bien”, conclut-il.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Diane Lataste

https://www.blast-info.fr/articles/2024/la-catastrophe-environnementale-lautre-menace-pour-gaza-YIvhNtfWR6SZPOgDFO6BDw

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