Vandana Shiva 14 août 2013
La privatisation des ressources de la terre entraîne la pénurie et la désertification des terres, la violence contre les femmes, la faim et, comme cela se passe en Inde, le suicide des paysans. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, l’eau et la biodiversité étaient en Inde des biens communs utilisés par les femmes. C’est ce système qui est menacé aujourd’hui par la privatisation.
La préservation du sol pendant des générations fait partie d’une culture selon laquelle les êtres humains ont pour tâche de la protéger et la reconnaissent comme une mère qui nourrit l’humanité. Un bon usage agricole améliore la qualité du sol et fabrique l’humus, qui est une condition première de la fertilité de la terre. Lorsque la terre est transformée en marchandise, la terre peut disparaître dans l’imaginaire et dans la réalité.
Marchandisation de la terre
Un placard publicitaire de l’entreprise de construction immobilière EMAAR-MDG, dont le siège est à Dubaï et qui se propose de « Faire une nouvelle Inde », proclame : « Là où il y a maintenant des champs il y aura des maisons, des centres commerciaux, des clubs de golf ». Ce qu’on oublie c’est que là où il y a des champs, il y a un sol, des cultures, des populations et des paysans, et particulièrement des femmes agricultrices qui, en Inde, composent la majeure partie de la paysannerie.
Quand on cède le sol pour le béton et que les hameaux se transforment en jungles de ciment, les communautés sont remplacées par les entreprises et les consommateurs et les femmes passent du statut de productrices à celles de femmes comme objets sexuels disponibles.
La transformation de la terre en marchandise va de pair avec l’utilisation et l’abus de la chimie dans l’agriculture. L’Inde dépense annuellement quelques 2 milliards de dollars en subsides pour les fertilisants chimiques. On introduit dans le sol vivant des intrants externes tels que les fertilisants synthétiques qui, avec le temps, détruisent les processus avec lesquels se crée la fertilité de la terre.
Les femmes sont expertes dans l’emploi d’intrants internes dans l’agriculture vu qu’elles travaillent avec les propres produits de la terre pour fertiliser le sol. Il n’y a pas besoin d’intrants externes. Les matériaux organiques sont recyclés et transformés en compost, autrement dit, en fertilisants organiques, tandis que les cultures de légumineux fixent le nitrogène dans la terre.
Mortelles semences
L’autre intrant externe dans l’agriculture est constitué par les semences achetées. Dans la mesure où les semences deviennent la propriété des multinationales, ces dernières créent des semences « non renouvelables », de sorte que les agriculteurs se voient forcés de les acheter chaque année. Les dettes qui s’accumulent pour acheter ces dernières et d’autres intrants externes constituent la principale raison qui explique l’épidémie de suicide de paysans qui laissent à leur tour des veuves endettées et sans terre.
Les agrochimiques contaminent la terre et nos corps tandis que les semences « non renouvelables » des multinationales alimentaires mettent à mal la biodiversité et la liberté des paysans.
L’accès aux semences est en train d’être obstrué par des lois qui rendent illégale l’utilisation par les pays des semences en tant que bien commun et qui concèdent à l’Etat le pouvoir d’octroyer des licences sur les variétés de semences, ce qui oblige les paysans à chercher l’approbation de l’Etat au travers du registre des brevets. Le prétexte est le contrôle de la qualité, mais les critères utilisés pour octroyer les licences nient en réalité le droit des paysans à utiliser leurs propres semences traditionnelles, en les forçant à acquérir les semences des multinationales agro-industrielles.
Le gouvernement indien a tenté d’introduire une telle loi sous forme du « Seed Act 2004 ». Mais nous avons mené à bien une large et victorieuse campagne de désobéissance civile et nous avons déclaré que mettre de côté et partager les semences était un devoir et non un crime, et que nous continuerions à stocker et partager nos semences et à défendre la biodiversité.
Droits collectifs
Dans le cas de la biodiversité, l’appropriation des biens communs biologiques se fait par le brevetage. Les brevets sur la biodiversité constituent le cœur de l’article 27.3 (b) de l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en Rapport avec le Commerce de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Un problème lié aux brevets est celui de la bio-piraterie pratiquée par les multinationales, le piratage et le brevetage de la sagesse indigène et de la biodiversité, comme dans les cas des brevets sur le blé, le riz basmati et d’autres espèces végétales en Inde. A partir du moment où un brevet octroi un droit exclusif pour l’usage, la production et la vente des produits brevetés, les brevets sur la biodiversité et les semences empêchent de facto l’utilisation et l’accès aux semences en tant que biens communs.
Une agriculture stable ne peut reposer que sur la protection des droits collectifs, fondamentalement des droits des paysans et du peuple et non des multinationales privées.
Vandana Shiva est biologiste, environnementaliste et écrivaine indienne.
Source :
Traduction française et intertitres pour Avanti4.be : G. Cluseret
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