Extrême droite
Alors que le festival international de photojournalisme Visa pour l’image draine des milliers de visiteurs dans les rues de Perpignan, son maire RN organise une contre-expo sur les massacres du 7-Octobre en Israël, sur fond d’instrumentalisation politique et journalistique.
1 septembre 2025 à 13h12
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1 septembre 2025 à 13h12
PerpignanPerpignan (Pyrénées-Orientales).– Entre Louis Aliot et le festival Visa pour l’image, le désamour perdure. Un an après avoir refusé de remettre le Visa d’or au photojournaliste gazaoui Loay Ayyoub, en raison d’une ambiguïté présumée vis-à-vis du Hamas, le maire Rassemblement national (RN) de Perpignan a décidé d’organiser cette année sa propre exposition sur les massacres du 7 octobre 2023 perpétrés en Israël.
Une contre-exposition donc, mais annoncée en pleine conférence de presse du festival, alors qu’elle ne fait partie ni de la programmation officielle, ni du off… L’édile d’extrême droite n’a même pas pris soin d’en informer le directeur Jean-François Leroy en amont. « Depuis que je dirige le festival, c’est la première fois que ça arrive », confirme le fondateur de l’événement, créé en 1989.

Le maire de Perpignan, Louis Aliot, lors de l’inauguration de l’exposition du photojournaliste israélien Maël Benoliel sur les massacres du 7-Octobre à la mairie de Perpignan, le 29 août 2025. © Photo Jc Milhet / Hans Lucas via AFP
« J’avais pris position l’année dernière, parce qu’il n’y avait rien sur le 7-Octobre,se justifie Louis Aliot. Il y a eu une projection, mais pas d’exposition. J’ai attendu de voir le programme de cette année, et je me suis dit que j’allais faire quelque chose pour que les gens puissent se faire une idée. » Et aussi pour tenter d’instrumentaliser une fois de plus le conflit israélo-palestinien à des fins politiques, le RN se présentant depuis près de deux ans – tant en France qu’en Israël – comme le « meilleur bouclier » contre l’antisémitisme.
S’il entend lui-même la dissonance entre son discours et l’histoire du Front national – devenu Rassemblement national –, Louis Aliot la balaie d’un revers de main. Après avoir été l’artisan de la dédiabolisation du parti aux yeux du grand public, il se décrit désormais comme celui de l’épuration présumée de ses effectifs antisémites. « Depuis 2002, j’œuvre à ça », se gargarise sans cesse le maire. En 2015, il s’était pourtant opposé à l’exclusion du parti de Jean-Marie Le Pen, condamné à plusieurs reprises pour des propos racistes, antisémites et négationnistes, mais qu’importe: « L’essentiel, c’est ce qu’on vit aujourd’hui », insiste-t-il auprès de Mediapart
« On ne veut pas ressasser le passé constamment »
Dans le patio de l’hôtel de ville de Perpignan, le vernissage fut bref – une heure montre en main – mais intense. Encadrés par la police, les visiteurs, venus en nombre, sont entrés sous les huées d’une vingtaine de manifestant·es, panneaux « Stop génocide » en mains pour dénoncer les massacres en cours à Gaza. Un comité d’accueil qui n’a pas empêché beaucoup de spectateurs de reprendre les arguments du maire à leur propre compte, sous couvert de « neutralité ». « Un maire a pour fonction de s’occuper de sa cité et de ses citoyens, c’est le plus important », explique le président local de l’association communautaire B’nai B’rith, convaincu que l’antisémitisme vient désormais « de l’extrême gauche ».
« On parle beaucoup de Gaza, et on le comprend… Mais on a l’impression que ce qui s’est passé le 7-Octobre n’est pas grave. On a tué 1 200 Israéliens et personne n’en parle », lâche de son côté Corinne, membre de la communauté juive de Perpignan. « Moi, je m’attache aux faits, pas à l’historique des partis ; on ne veut pas ressasser le passé constamment », dit Chmouel Bensoussan, responsable local du Beth Habad, un réseau associatif loubavitch et proche de l’extrême droite israélienne. « À Perpignan, Louis Aliot nous aide et nous soutient. Je pense que c’est le meilleur maire pour nous », développe celui à qui Louis Aliot vient de céder une demeure historique – la maison Combes-Jacomet – pour y créer une école juive.

L’invitation et une vue de l’exposition à la mairie de Perpignan. © Mediapart
Depuis son élection à l’Hôtel de ville, Louis Aliot multiplie les gages donnés à la communauté juive. En 2020, lorsqu’il a tenté de récupérer le projet de réouverture du centre d’art Walter-Benjamin, il a suscité l’indignation de ses descendants et d’une quarantaine d’intellectuels, scandalisés par le culot municipal et l’instrumentalisation de la mémoire du philosophe juif allemand, suicidé en 1940 dans le village catalan de Port-Bou car désespéré face à l’arrivée de l’occupant nazi, ancêtre politique de l’extrême droite française actuelle. Idem en 2022, lorsqu’il a attribué la médaille de la ville à Serge et Beate Klarsfeld, célèbres chasseurs de nazis.
En tant que juif non pratiquant, je pense que le RN cache clairement son antisémitisme. Quand le “problème” des musulmans sera réglé, ils s’occuperont à nouveau des juifs.
Claude Lévy, habitant de Perpignan
« Soyons clairs, je ne m’appelle pas Klarsfeld et je n’ai pas oublié les exactions de ce parti. Mais Aliot est le seul qui a le courage de prendre la défense de la communauté juive de France », estime Daniel Halimi, ancien responsable de la communauté juive de Perpignan, avoisinant ici les 700 familles. « Quand un seul mouvement nous tend la main, on la prend. Mais il ne devient pas notre meilleur ami pour autant »,poursuit l’homme, qui se refuse à parler d’une quelconque instrumentalisation.
Dans certains foyers de la communauté juive de gauche, la critique est plus tranchée. « En tant que juif non pratiquant, je pense que le RN cache clairement son antisémitisme. Quand le “problème” des musulmans sera réglé, ils s’occuperont à nouveau des juifs », prophétise Claude Lévy. Une crainte partagée par sa compagne, qui déplore aussi la vaine tentative de Louis Aliot d’interdire une conférence sur l’islamophobie en juin dernier, et la façon dont « il essaie de mettre les communautés juives et musulmanes dos à dos »,résume la militante locale Tiziri Kandi, par ailleurs ex-attachée parlementaire de la députée insoumise Rachel Keke.
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Ruse de l’histoire, alors que l’un des panneaux de la contre-exposition du maire pointe la « désinformation médiatique » autour du 7-Octobre, le photographe franco-israélien auteur des clichés avoue avoir lui-même été « berné » par la mairie.
Joint par téléphone, Maël Benoliel – qui est journaliste reporter d’images indépendant, travaillant aussi bien pour France Télévisions que pour la chaîne israélienne I24 News – affirme avoir donné son accord à la va-vite auprès d’un membre du Collectif du 7-Octobre, sans savoir qu’un maire RN allait poser son nom en haut des cartons d’invitation.
« Au départ, on m’avait parlé d’une exposition collective, et à aucun moment mon contact n’a prononcé le nom de Louis Aliot… Finalement je suis le seul photographe, il y a des erreurs dans les légendes, que je n’ai pas écrites et qu’on ne m’a pas transmises avant l’expo, et je n’ai même pas été invité au vernissage ! », souffle-t-il. Avant de reconnaître : « J’ai été naïf, j’ai le sentiment de m’être fait avoir. »
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