Analyse et réflexion ·Résistances et solidarités internationales
Publié le 26 août 2025
« L’État n’a pas le droit de dicter ce qui est un crime et qui est un terroriste, alors qu’il commet lui-même le crime de tous les crimes. » Juive de 19 ans, elle refuse d’entrer à l’armée coloniale en Palestine occupée.
Alors que des centaines de soldatEs refusent de retourner au front, seulement un poignée de jeunes lycéeNEs appeléEs revendique leur geste publiquement, signant notamment une lettre de refus commune. C’est la cas de Yona, 19 ans, femme trans juive née en Palestine 48 (ISRAEL) qui vient d’entrer en prison. Elle explique son point de vue décolonial dépassant ainsi l’antiracisme et le narratif de paix, mettant l’antisionisme en action et son corps en jeu comme d’autres jeunes. Pour elle, se confronter à l’illégalité est la seule résistance possible dans un contexte où l’autorité d’un état d’apartheid n’est pas reconnue. Après Ella Keider Greenberg le 19 mars qui a été définitivement écartée de l’armée grace à la lutte, elle fait suite à une tradition des Refuzik dans la société coloniale qui pointe les paradoxes d’un système sécuritaire et génocidaire.
Collectif KESSEM– féministes juives décoloniales

Yona Roseman – Déclaration de refus
L’État d’Israël commet un génocide. Chaque jour qui passe, la liste des personnes âgées écrasées sous les décombres, des hommes et des femmes abattuEs alors qu’iels attendaient de la nourriture, des prisonnierEs qui pourrissent dans les camps de torture et des enfants qui meurent de faim ou qui périssent de froid et de chaleur extrêmes, s’allonge à l’infini. Il n’y a pas de mots pour décrire l’ampleur des atrocités commises à Gaza. Au fil des mois, alors que les corps des civils assassinés continuaient de s’empiler sur les photos et les vidéos, et que la tâche de se souvenir de leurs noms devenait de plus en plus difficile, je me suis retrouvée à perdre tout langage pour exprimer mon horreur face à ce qui se passait autour de moi.
Aucune action, aucune protestation, aucun article ne soulage la douleur causée par le génocide à Gaza. Aucune corde que je puisse lancer n’est assez longue pour sortir du gouffre de la souffrance vécue par les habitants de l’enclave encore en vie, pour l’instant.
Sans abri, sans savoir la prochaine fois qu’iels auront à manger, et quand, à tout moment, iels peuvent être enlevéEs à l’insu de leur famille, ou mourir sous les balles ou les bombardements.
L’IOF [1], l’armée de l’État dans lequel je suis née, à travers tous ses soldats, du simple soldat au général, est le principal auteur de ces atrocités.
Chaque soldat, du pilote au fantassin, du technicien au formateur, du policier au propagandiste, et au bureaucrate, est responsable de ce crime. Cette conclusion est difficile à supporter, c’est un réquisitoire absolu contre les membres de ma famille, mes amis d’enfance, mes collègues et la plupart des gens qui me croisent dans la rue ; mais la décision qui en découle est très simple. Reconnaissant cette réalité morbide, je suis arrivée à la conclusion que le seul bon choix qui s’offrait à moi était de refuser.
Il ne suffit pas de « se retirer de l’équation » – en tant que citoyenNEs d’un pays qui commet un génocide, nous n’avons pas cette possibilité, même si nous le souhaitons. En tant que soldatEs, fonctionnaires, contribuables et citoyenNEs respectueux des lois, nous participons toustes, de gré ou de force, à la désolation qui se déroule à quelques heures de chez nous. Nous devons travailler activement au démantèlement de la machine d’extermination par tous les moyens à notre disposition. Nous ne devons pas coopérer avec ses systèmes et il nous faut placer des bâtons dans ses engrenages à chaque occasion. En 77 ans d’occupation, d’expulsion et de régime militaire, et au cours des deux dernières années en particulier, Tsahal est devenue non seulement une armée indigne de servir, mais aussi un ennemi auquel nous devons résister.
Le projet phare de l’État d’Israël est de nettoyer cette terre de ses habitantEs palestinienNEs. Tous les organes de l’État, depuis le jour de sa fondation, ont été mis au service de cet objectif. Juste après l’expulsion de 750 000 Palestiniens lors de la Nakba de 1948, l’État s’est efforcé de déposséder les expulséEs et les résidentEs restantEs de la terre avec une législation et des ordres administratifs. Ils sont appliqués jusqu’à aujourd’hui pour minimiser la présence des Palestiniens sur leur terre natale. Les forces de sécurité de l’État considèrent par nature chaque Palestinien comme une menace : aux Check Point, dans les villes et les villages, dans les gares et les écoles. Dans les services d’aide sociale, de santé et d’éducation, il existe une discrimination systémique destinée à établir la suprématie des Juifs sur les Palestiniens dans tous les domaines de la vie. Ce projet de dépossession est mis en œuvre dans toutes les zones placées sous la souveraineté de l’État, à l’intérieur de la ligne verte, à Jérusalem-Est, en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à l’encontre des réfugiéEs déplacéEs de leur pays.
Un État doté de ces fondements est illégitime. Ses fondements constitutionnels sont vides, son système juridique n’a aucune validité et il n’a aucune autorité pour le faire respecter.
Il n’a pas le droit de dicter ce qui est un crime et qui est un terroriste, alors qu’il commet lui-même le crime de tous les crimes. La résistance au meurtre et à l’apartheid est inévitablement mise hors la loi. Si nous voulons lutter contre eux, nous n’avons d’autre choix que d’enfreindre la loi. En raison de mon refus, je serai probablement envoyée dans une prison militaire pour plusieurs mois. Un emprisonnement politique n’est qu’un prix minime à payer pour résister au terrible crime de notre temps. Surtout face aux prisonnierEs palestinienNEs, qui sont eux et elles aussi détenuEs parce qu’aux yeux de l’État, iels ont menacé le système oppressif.
Les prisonnierEs palestinienNEs sont maintenuEs dans des camps de torture, affaméEs en raison de la surpopulation et de la maladie, et subissent quotidiennement des agressions et des violences sexuelles. La moitié d’entre eux et elles ne bénéficie pas d’une procédure régulière, tandis que l’autre moitié se heurte à un système juridique truqué. Des dizaines de personnes ont déjà été assassinées dans les prisons depuis le début de la guerre, et le nombre total est inconnu. Les 10 000 prisonnierEs « de sécurité » sont toustes des prisonnierEs politiques, et l’État n’a aucune autorité pour les mettre en cage. Le titre de « sécurité », comme celui de « terrorisme », a été formulé pour incriminer l’ensemble de la population occupée et toute personne qui menace le caractère du régime- et permet l’utilisation d’outils draconiens à leur encontre.
L’État d’Israël commet un génocide. Son autorité morale est réduite à néant pour chaque enfant qu’il enterre sous terre

La reconnaissance réelle de la dimension de la destruction que notre État crée, dans la souffrance totale qu’il inculque à ses sujets, exige une action appropriée. Si vous voyez l’ampleur des atrocités et que vous vous considérez comme des personnes morales, vous ne pouvez pas continuer à faire comme si de rien n’était, malgré le coût, social ou juridique.
L’État d’Israël commet un génocide. Son autorité morale est réduite à néant pour chaque enfant qu’il enterre sous terre ; après des dizaines de milliers, il disparaît comme s’il n’avait jamais existé. Ses institutions sont peut être prospères, mais elles sont tachées par les rivières de sang qu’elles versent. Cet état ne commet aucun acte qui ne mérite pas d’être condamné, n’emploie aucun agent qui mérite d’être respecté, ne donne aucun ordre qui mérite d’être obéi et n’établit aucune loi qui ne mérite d’être enfreinte. L’État d’Israël commet un génocide et nous devons résister.



Photo 1 et 2 et 3 @jess___flom
Manifestation de soutien à Yona et le refus collectif des jeunes brûlant leur convocation à l’armée le 15.07
Photo 4 : campagne de photo avec une pancarte « moi aussi j’ai signé la lettre de refus 2025 »
Photo 5 : Ella, première femme transgenre à refuser ouvertement l’armée, est libre après 30jours de prison. En général, les Refuznik accumulent les courtes peines allant jusqu’à deux ans ou plus d’enfermement.
POUR PLUS D’INFORMATIONS
Quelques sources actuelles et historiques sur l’antimlitarisme en Palestine occupée ici : Résistances antimilitaristes en Palestine-Israel : sources, histoire et actualités Soldats, refusez ! Depuis plusieurs dizaines d’années, le mouvement anti-militariste est indissociable du narratif décolonial en Palestine. C’est un mouvement féministe, de jeunesse, un mouvement familial.
Comptes à suivre sur les RS :
@mesarvot MESARVOT Reseau d’entraide féministe pour accompagner les Refuznik depuis 2014
@newprofil_il NEW PROFIL Reseau d’entraide historique et feministe pour accompagner les Refuznik
@the.andrew.x Indépendant journalist human rights activist in Palestine
https://www.workersinpalestine.org/
https://www.radioalhara.net/
https://www.972mag.com/
https://imeu.org/
https://justseeds.org/

Notes
[1] IOF/ Israel Occupation Forces, terme de lutte utilisé pour remplacer IDF, Israel Defense Forces ou TSAHAL en hébreu
https://paris-luttes.info/communique-de-refus-de-yona-chaque-19802
Commentaires récents