Des salariés de Météo-France exigent la fin des partenariats avec Israël

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Des salariés de Météo-France exigent la fin des partenariats avec Israël

Depuis plusieurs mois, le syndicat CGT de Météo-France demande l’arrêt des partenariats avec Israël pour dénoncer la guerre en Palestine. L’État hébreu se servirait de données météorologiques européennes à des fins militaires.

Toulouse (Haute-Garonne), correspondance

Pour cibler ses bombardements et ses tirs de missiles, l’armée israélienne peut s’appuyer sur des données météorologiques européennes. Une situation à laquelle ne se résigne pas le syndicat CGT de Météo-France, qui tente depuis fin 2024 de faire réagir la direction du service de météorologie français, pour la pousser à prendre position sur les partenariats en cours avec Israël.

Cette revendication syndicale fait suite à l’opération militaire lancée par l’État hébreu le 7 octobre 2023. Depuis, la guerre et les bombardements israéliens ont causé la mort de plus de 60 000 personnes dans la bande de Gaza (dont une écrasante majorité de civils et plus de 18 000 enfants), contraint près de 2 millions de Gazaouis à fuir, et laissé ceux qui restent dans une situation humanitaire dramatique.

La famine, qui fait rage depuis des mois, vient d’être reconnue par l’Organisation des Nations unies (ONU). « Malgré ce contexte, l’État d’Israël est plus que jamais intégré aux partenariats avec l’Union européenne, y compris en matière de services météorologiques », dénonce le syndicat CGT-Météo.

Les armées utilisent en effet les données météorologiques pour programmer les vols d’hélicoptères et d’avions, calculer les trajectoires de missiles, planifier les déplacements des troupes au sol, etc. « Pour l’armée israélienne, comme pour toutes les armées dans le monde, ces données et ces précisions sont indispensables pour mener des opérations militaires », analyse le prévisionniste et secrétaire de la CGT Clément Testa.

Contacté par Reporterre, le Centre interarmées de soutien météo-océanographique des forces (CISMF), installé au Météopole de Toulouse, confirme : « La météorologie est un facteur d’une importance capitale dans la planification de toute mission militaire, quel que soit le domaine. La prévision des conditions météorologiques concourt à la réussite et la sécurité des opérations à tous les niveaux. »

La météo israélienne dépendante des partenariats européens

Au Météopole de Toulouse — le premier campus européen de météorologie et le cœur opérationnel de Météo-France —, Clément Testa explique que les services météorologiques israéliens sont même « considérés comme des services européens ». « L’IMS [Israel Meteorological Service] a des partenariats avec le Centre européen de prévisions météorologiques à moyen terme [ECMWF] et le réseau de services météo européen Eumetnet », précise-t-il.

Pour prévoir le temps à venir, les services doivent connaître la météo en temps réel, partout sur la planète. Ces données brutes sont ensuite intégrées à un supercalculateur qui leur permet d’obtenir des prévisions précises. Ces infrastructures, prisées par les puissances mondiales, sont rares, souligne le prévisionniste : « Il n’existe pas beaucoup de supercalculateurs météorologiques dans le monde, et de nombreux pays n’en sont pas dotés — c’est le cas d’Israël. Ces pays comptent sur la coopération européenne pour avoir accès aux prévisions issues de ces supercalculateurs. Israël a notamment accès aux données du supercalculateur européen de l’ECMWF. »

La France est un poids lourd européen dans ce domaine, avec deux supercalculateurs situés sur le site de Météo-France à Toulouse. Ils sont classés parmi les 500 plus puissants au monde.

Envoyer des avions, des missiles…

Pour Clément Testa, si les collaborations scientifiques entre l’Europe et Israël ne sont pas nouvelles, celles qui sont liées dans le domaine météorologique posent un problème dans le contexte actuel.

La météorologie a aussi son importance pour l’emploi de certaines armes. « Les conditions atmosphériques (vent, température, humidité, pression…) ont un impact direct sur la trajectoire des projectiles d’artillerie et de l’armement de précision. Les spécialistes du tir doivent intégrer ces paramètres pour calculer les corrections nécessaires », explique le CISMF.

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Si en France les services de météorologie civile et militaire sont séparés, ce n’est pas le cas dans tous les pays. « En Israël, par exemple, les prévisions de l’IMS servent directement à Tsahal », résume Clément Testa.

Pour le syndicaliste, la suspension des partenariats et de l’accès aux données du supercalculateur compliquerait certaines opérations militaires menées par Israël. « Ils perdraient en précision de tir pour leurs frappes aériennes. Pour tirer des missiles à plus de 250 km, comme cela a été le cas en Iran, l’État hébreu a besoin de données météorologiques extrêmement précises, assure-t-il. S’ils n’avaient plus accès aux modèles de prévision européens, ils seraient dans l’obligation d’activer en urgence un nouveau partenariat dans ce domaine — avec les États-Unis, par exemple. »

Un fonds européen sous les radars

La CGT-Météo France demande également la suspension des financements d’entreprises israéliennes via le programme Horizon Europe, dédié à l’innovation et à la recherche européenne. Selon une enquête des médias belges L’Echo et De Tijd, Israël utiliserait ce programme pour financer des projets à vocation militaire.

Depuis 2021, le fonds a versé 1,1 milliard d’euros à des partenaires israéliens, dont Israel Aerospace Industries (IAI), le plus grand groupe de défense israélien, qui a reçu près de 2,8 millions d’euros sur la même période.

Gaza, janvier 2023. Les bombardements, comme les tirs de missiles et d’obus, sont facilités par les données météorologiques que peut collecter l’armée israélienne. © Mahmoud Bassam / Anadolu / Anadolu via AFP

Le 28 juillet, la Commission européenne a proposé de suspendre partiellement la participation d’Israël à ce programme. La mesure concernerait les PME développant des technologies duales (civiles et militaires), telles que la cybersécurité, les drones et l’intelligence artificielle.

D’autres secteurs financés par le programme Horizon ne sont pas concernés. C’est le cas de la météorologie, alors que ce domaine est une composante essentielle de la planification et de l’exécution des opérations militaires israéliennes. L’examen de la proposition de la Commission est toujours en cours.

« Un véritable moyen de pression »

Sur le site de Tsahal, un officier de la division prévision de l’armée israélienne le confirme : « Chaque activité doit être précise à 100 %… il suffit qu’un brouillard inattendu apparaisse ou que le vent se lève — cela peut décider si une mission est même possible. » Un rapport publié par l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS), en collaboration avec la direction du renseignement militaire israélien, souligne également la nécessité « d’intégrer des scénarios climatiques de référence […] pour guider la planification militaire, le développement de systèmes d’armes, et l’usage des nouvelles technologies ».

La météorologie et les sciences du climat sont donc hautement stratégiques pour les services de défense israéliens, qui seraient amputés de données indispensables si la collaboration européenne venait à être suspendue.

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« Appeler à l’arrêt des partenariats européens avec Israël dans le domaine météorologique ne serait pas seulement symbolique, martèle Clément Testa, secrétaire de la CGT-Météo. Cela peut être un véritable moyen de pression sur Israël pour le forcer à respecter le droit international en Palestine. »

Les revendications de la CGT ont également été portées à la présidente de Météo-France, Virginie Schwarz, le 20 février. « En tant que service météorologique européen et centre de recherche international, nous demandons l’arrêt de toutes les collaborations institutionnelles et académiques avec Israël », pouvait-on lire dans un communiqué de la section syndicale de décembre 2024.

Météo-France botte en touche

Le syndicat n’a pas eu de réponse, mais la direction de Météo-France affirme à Reporterre qu’il « n’existe pas de convention de partenariat bilatéral entre Météo-France et son homologue israélien. Les organisations européennes de météorologie peuvent entretenir des collaborations avec des parties tierces dans le cadre de conventions internationales ».

Quant aux perspectives, l’institution botte en touche : « Météo-France se conforme et se conformera aux directives du gouvernement applicables aux opérateurs de l’État dans la conduite de ses partenariats internationaux. » L’organisme est sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui n’a pas répondu à nos questions.

Ces revendications s’inscrivent dans le cadre d’un boycott international en cours dans les domaines culturel, universitaire, commercial et sportif. Le mouvement vise à dénoncer la guerre et la colonisation menées par l’État israélien en Palestine.

Début juin, la section de la CGT des dockers de Marseille et de Fos-sur-Mer avait refusé de charger des conteneurs de pièces détachées pour des mitrailleuses, produites par des sociétés françaises à destination d’Israël. Les dockers avaient expliqué ne pas vouloir « être complices de massacres ».

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