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Ces derniers mois, nos gouvernants parlent de «sacrifice», répètent le mot «réarmement», rêvent ouvertement de guerre et de massacres. Des centaines de milliards d’euros sont débloqués pour acheter des armes. Les puissants du monde se menacent comme des chefs de gang. Le militarisme fait son grand retour dans une indifférence glaçante.
Au cœur de l’été 1914, l’Europe et le monde étaient précipités dans une barbarie absolue, un orage d’acier, de sang et de larmes, à cause du militarisme, du nationalisme et des trahisons de la gauche. Rappelons-nous de cette tragédie historique.
À partir du 2 août 1914, la mobilisation générale est déclarée en France. En deux semaines, des millions d’hommes enfilent un uniforme et partent la fleur au fusil combattre l’armée allemande. Ils sont ouvriers, paysans, instituteurs ou cafetiers, ils n’ont rien à gagner dans la boucherie ignoble qui s’annonce. On leur a promis que la guerre serait courte, qu’ils seraient rentrés chez eux avant l’hiver, que les «boches» seraient vaincus sans difficulté et que le moindre doute était une trahison. C’est le début de quatre années d’horreur.
Quelques jours plus tôt, le grand leader socialiste Jean Jaurès a été assassiné. C’était le 31 juillet au soir, au café du Croissant, à Paris, près des locaux du journal L’Humanité. À 21h40, un militant d’extrême droite a sorti un revolver et tiré deux balles vers Jaurès. Le tueur arrêté portait bien son nom : Raoul Villain. Le socialiste assassiné déclarait : «Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage», et s’est battu jusqu’à son dernier souffle pour éviter la guerre. En cet été 1914, il était l’une des seules personnalités suffisamment influentes pour s’opposer à l’engrenage mortel. Pendant des années, la presse d’extrême droite l’avait diffamé, sali, avait appelé à l’éliminer. Elle y est parvenue. Désormais éliminé, il n’y a plus d’obstacle à la mobilisation générale.
Trois jours plus tôt à Sarajevo, un autre nationaliste serbe avait tué l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et son épouse. Un prétexte qui a servi à l’Autriche-Hongrie pour déclarer la guerre à la Serbie. Un macabre jeu d’alliances embarque toute l’Europe vers la grande tuerie. Le 1er août, l’Empire allemand déclare la guerre à l’Empire russe. Le 3 août, l’Empire allemand déclare la guerre à la France. Le 4 août, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Empire allemand. Le 5 août, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à l’Empire russe, etc. Tout le continent est à feu et à sang en quelques jours.
Il faut dire que l’attentat de Sarajevo n’était qu’une étincelle sur un baril de poudres. Les Empires n’attendaient qu’une occasion pour s’étriper. En France, le gouvernement avait allongé le service militaire à trois ans, et il y avait bien peu de gens pour s’y opposer. Jaurès et les anarchistes, qui dénonçaient cette mesure, étaient diffamés, accusés de faire le jeu de l’Allemagne, d’être de mauvais français. En 1913, le gouvernement dévoilait un plan militaire pour augmenter massivement les effectifs de réservistes et organiser le transport de troupes, le long des frontières belge et allemande. Une tragédie n’arrive jamais par surprise : il y a toujours des signes avant-coureurs, des gouvernements qui parlent de guerre et achètent des armes.
Quelques années plus tôt, les empires s’affrontaient pour le contrôle de colonies. En 1911 par exemple, une crise militaire oppose la France et l’Allemagne concernant la mainmise sur le Maroc, menaçant de dégénérer en guerre ouverte. Il s’agissait d’un prélude à la grande explosion. Les terres colonisées ont été le premier théâtre d’affrontement des empires, avant que la guerre ne revienne comme un boomerang en Europe.
En ces premiers jours du mois d’août, la gauche organise la plus grande trahison de toute son histoire – elle en a pourtant commises beaucoup d’autres. La CGT avait promis une «grève générale» en cas de guerre, mais abandonne le projet. Les socialistes devaient s’opposer au nationalisme et au conflit «entre travailleurs» allemands et français, refuser la mobilisation. Immédiatement après la mort de Jaurès, tout ce petit monde rentre dans «l’Union Sacrée» : un gouvernement d’union nationale favorable à la guerre, comprenant les socialistes, et appelant les travailleurs à obéir au nom de l’intérêt de la Patrie. C’est la sidération. Le mouvement ouvrier se fait couper les jambes. Des millions de personnes sont précipitées dans l’horreur.
Même certaines grandes figures anarchistes signent un texte intitulé «Manifeste des 16» qui prétend transformer la guerre en révolution sociale : selon les signataires, il faudrait soutenir l’effort de guerre de la France considérée comme progressiste et républicaine contre l’Allemagne impériale et réactionnaire.
La réalité est beaucoup plus prosaïque : c’est un massacre absolu, où la France est largement dominée. Le 22 août 1914, trois semaines seulement après l’entrée en guerre, 27.000 soldats français sont massacrés par les lignes allemandes en quelques heures. Des généraux séniles et stupides envoient les soldats français en uniformes colorés, sans protection, courir face aux mitrailleuses modernes allemandes. C’est une hécatombe. Ce jour est considéré comme le plus sanglant de l’histoire de France, toutes guerres confondues. Au même moment, la presse française explique que «les balles allemandes ne sont pas dangereuses : elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure». La propagande a pour but de faire accepter le pire.
Dans les semaines qui suivent, la guerre s’enfonce dans la boue : on parle de guerre des tranchées. C’est la première boucherie industrielle mondialisée de l’histoire, après les grands massacres coloniaux. 10 millions de morts. 40 millions de blessés et d’innombrables mutilations. Des hommes défigurés, invalides, traumatisés. 11 départements dévastés. 1 milliard d’obus tirés. Les premiers gaz militaires et les premiers avions de guerre sont testés.
Des généraux français avides de sang comme Pétain, Joffre ou Nivelle, envoient des jeunes hommes se faire massacrer par centaines de milliers en quelques jours, pour un morceau de terrain. La vie humaine n’a aucune valeur. Les hommes qui refusent d’aller au front sont fusillés pour l’exemple. Ce sont aussi plusieurs centaines de milliers de civils, hommes, femmes et enfants, qui meurent de famine à l’arrière, alors que les gouvernements dépensent des sommes astronomiques en armement. Une génération entière de jeunes européen-nes et de colonisé-es est décimée.
Cette guerre sera la mère des suivantes, car les totalitarismes vont naître dans cette Europe meurtrie, militarisée, brutalisée. Hitler et Mussolini sont les purs produits des tranchées. Et la folie meurtrière embrase à nouveau l’Europe et le monde seulement 20 ans plus tard.
Aujourd’hui, en 2025, la nuée menace à nouveau, et nous n’avons rien appris de l’histoire. La construction d’un grand mouvement antimilitariste populaire, adapté à notre temps, n’est pas une option, mais une question de survie.
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