Outrage et apologie du terrorisme : des socialistes aux macronistes, l’assaut contre la liberté d’expression

Le souffle de l’infox

Outrage et apologie du terrorisme : des socialistes aux macronistes, l'assaut contre la liberté d’expression

Le délit d’apologie du terrorisme fait honte à nos lois et devrait être abrogé. On pourrait en dire autant de l’outrage à agent. Ces textes permettent de punir des opposants politiques et des propos désagréables pour le pouvoir en place. Ils menacent la liberté d’écrire et de parler.

Cet assaut contre la liberté d’expression n’est pas le seul fait des lois et du gouvernement, mais aussi de policiers, gendarmes et procureurs de la République (et même de procureurs privés, associations diverses s’érigeant en contempteurs des propos indignes). La déliquescence d’une culture démocratique, républicaine et ouverte à la contradiction chez tous ces acteurs est frappante.

Pente autoritaire

La liste est longue, et cet assaut ne date pas des récentes et ahurissantes poursuites pour apologie du terrorisme. Qu’on en juge.

Récemment, à Besançon, de nombreux manifestants défilaient dans les rues et scandaient les slogans « ACAB » et « À bas l’État, les flics et les fachos ». Si le propos peut heurter certaines oreilles policières, il n’en est pas moins devenu l’expression d’une colère largement partagée visant la police. Toujours est-il que des agents ont jugé utile d’interpeller l’une des manifestantes qui chantait ces slogans et l’ont placée en garde à vue pour outrage à agent. Fort heureusement, et bien plus tard, le tribunal a décidé qu’ils n’avaient pas le droit de l’arrêter.

Je défends également une femme qui, lors de l’hommage national rendu à Missak Manouchian et à ses camarades au Panthéon le 21 février, a crié « Manouchian assassiné par la police ». Elle a été immédiatement interpellée pour outrage aux forces de l’ordre et placée en garde à vue. Son procès a été reporté à longue date. L’affirmation publique d’une stricte vérité historique devient donc un motif d’arrestation. La police va-t-elle désormais s’en prendre à tous ceux qui rappellent ses heures sombres ?

A Paris, une militante, engagée dans la défense des mineurs isolés étrangers, a été interpellée par des policiers parce qu’elle scandait des slogans, devant l’hôtel de ville. Les agents lui ont pris son mégaphone et l’ont arrêtée parce qu’elle incommodait – disaient-ils – les touristes étrangers. Quelques mois plus tard, le tribunal, heureusement, l’a relaxée, et elle a récupéré son mégaphone.

Museler les oppositions

Ce mépris pour les libertés et la contradiction n’est pas dû qu’à des agents de terrain peu au fait de l’importance des libertés fondamentales. On le retrouve chez Laurent Nunez, préfet de police de Paris, qui a interdit la manifestation contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection des enfants prévue le dimanche 21 avril. L’un des motifs retenus pour cette interdiction est, écrit le préfet, « que cette marche (…) dénonce notamment dans son appel des « crimes policiers » à l’encontre de jeunes ». Apprécions les guillemets autour de l’expression « crimes policiers », comme si Nahel n’avait pas été victime d’un crime. Comme si Laurent Nunez se refusait à voir une vérité que chacun peut constater : oui, la police tue. Le motif de l’interdiction de la manifestation – retoquée par le Tribunal administratif de Paris – est ici clairement lié à l’expression d’une opinion qui déplaît au pouvoir.

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin n’est pas en reste. Au lendemain de l’assassinat du professeur Samuel Paty, en octobre 2020, il s’en est pris à l’une des seules associations qui défendait les droits des musulmans et musulmanes : le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). A l’époque, personne ou presque ne s’est levé pour le défendre contre la dissolution ordonnée par le gouvernement. Ce genre de renoncements pave la voie à des assauts plus généraux contre la liberté d’expression. Le combat contre les discriminations mené alors par le CCIF était pourtant capital, et résonne avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui que nous apprenons, grâce au travail de chercheurs, que de nombreux musulmans français choisissent de quitter la France pour ne plus être victimes d’islamophobie. Souvenons-nous que l’un des motifs de la dissolution du CCIF tenait à sa critique de certaines lois antiterroristes, dont il dénonçait les effets islamophobes. Autrement dit, le fait de critiquer publiquement des lois – ce qui constitue la base du débat démocratique – devient un motif pour réduire au silence.

C’est dire que l’utilisation du délit d’apologie du terrorisme contre des opposants politiques de premier plan s’inscrit dans une histoire longue d’attaques, sur le terrain et souvent à bas bruit, contre des adversaires considérés comme insignifiants ou illégitimes.

Chasse à la pensée

L’apologie est un délit qui a été créé en 1893 par la première des lois scélérates, adoptées à la fin du 19e siècle contre les anarchistes et leurs idées. Douze ans plus tôt, lorsqu’avait été adoptée la grande loi sur la liberté de la presse de 1881 – qui protège la liberté d’expression de toutes et tous et pas seulement des journalistes – les parlementaires avaient à l’époque clairement refusé de punir l’apologie. Ils disaient ainsi, pour reprendre les mots du député Lisbonne, rapporteur de la loi, que ce délit permettrait une « chasse à la pensée ». Ces considérations n’ont pas résisté aux assauts de la République devenue autoritaire et s’en prenant aux anarchistes. Le slogan « Vive l’anarchie, vive Ravachol » pouvait envoyer en prison.

Il n’y a pas de bon usage du délit d’apologie. Il a pour seul et unique but de s’en prendre à des opinions considérées comme illégitimes. Il est pourtant justifié par ses défenseurs, à un siècle d’écart, par un argument surprenant. Pour Casimir-Perier, président du Conseil en 1893, il permettrait d’éviter la réitération du crime dont il est fait l’éloge. Pour le ministre Bernard Cazeneuve en 2014, l’apologie du terrorisme a pour but de « sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes ».

On réprime donc la liberté d’expression pour éviter des attentats terroristes. Selon cette logique, si Mathilde Panot et Rima Hassan sont convoquées pour apologie du terrorisme, ce serait pour éviter la réitération des crimes du 7 octobre. L’argument confine à l’absurde et montre le danger de cette infraction.

Socialistes complices

L’apologie n’a jamais permis d’éviter un quelconque attentat, mais a servi à faire taire des voix critiques ou à s’en prendre à certaines manifestations de l’islam. Et il est frappant de voir que ce sont des socialistes qui ont joué un grand rôle dans l’extension de ce délit. Bernard Cazeneuve est à l’origine de la loi du 13 novembre 2014 qui a radicalement modifié l’apologie du terrorisme en permettant qu’il soit jugé en comparution immédiate, pour pouvoir emprisonner au plus vite.

Arrêter, punir, enfermer : voilà une bien drôle de façon – à l’efficacité toute relative – de lutter contre des idées qui déplaisent. Et, contre toute attente, c’est Christiane Taubira qui a joué un grand rôle dans cet assaut visant la liberté d’expression. Au lendemain des attentats de janvier 2015, elle a signé une circulaire dans laquelle elle demandait aux procureurs de poursuivre les auteurs présumés d’apologie du terrorisme avec « rigueur et fermeté », de façon « systématique », au besoin en comparution immédiate. Elle ne craignait alors pas d’écrire qu’il s’agissait d’une « action de protection de la liberté d’expression ».

J’ai défendu un homme, prévenu d’avoir mis à sa fenêtre en 2014 et 2015 un drapeau de Daech, alors qu’il s’agissait en fait d’un signe religieux musulman. Après plusieurs jours de filature, une garde à vue et un premier procès en comparution immédiate, il a fallu une attestation d’un professeur d’islamologie à la Sorbonne pour obtenir de la Cour d’appel qu’il soit relaxé. En 2015, Human Rights Watch et Amnesty International s’étaient inquiétés des atteintes à la liberté d’expression dues aux nombreuses poursuites et condamnations pour apologie du terrorisme, résultant de l’action combinée de la loi Cazeneuve et de la circulaire Taubira. Le gouvernement socialiste de l’époque n’avait rien trouvé à y redire.

Deux camps

Une autre voie est pourtant possible. Celle de Léon Blum et Jean Jaurès. A la fin du 19e siècle en effet, une alliance inédite s’est nouée entre des militants anarchistes, des libéraux dreyfusards et des socialistes pour dénoncer les lois scélérates. Si un homme comme Léon Blum ne se disait pas anarchiste, il ne craignait pas de dénoncer des « lois excessives et barbares ». Il est fascinant d’observer que cette alliance a priori surprenante s’est nouée au moment de l’affaire Dreyfus, lorsque beaucoup ont soutenu le capitaine envoyé au bagne en raison d’un antisémitisme d’Etat, en même temps qu’ils défendaient les anarchistes déportés à Cayenne eux aussi, en raison des lois scélérates.

Il y a donc dans l’histoire de notre République deux camps, celui de la liberté d’expression, avec Blum, Jaurès, les anarchistes et les dreyfusards, et le camp de l’autoritarisme de Cazeneuve, Taubira et Dupond-Moretti. C’est lui en effet qui a pris une circulaire, au lendemain du 7 octobre 2023, demandant la plus grande fermeté pour l’apologie du terrorisme. C’est sur cette base que sont ouvertes des dizaines de procédure visant des politiques, des militants ou encore des syndicalistes.

L’apologie est une infraction scélérate, qui doit être abrogée, qui est inutile et ne permet pas d’atteindre le but que lui donnent ses défenseurs. Il est donc surprenant de lire que Rima Hassan dit avoir confiance dans la police judiciaire, et accepte de coopérer pleinement à l’enquête. Face à une procédure politique, on ne peut avoir aucune confiance. Ce n’est pas dans le huis clos d’un commissariat que l’on peut avoir un débat sérieux sur des enjeux géopolitiques. Les procureurs jouent le jeu de la répression en choisissant de demander des explications aux personnes visées par des procédures pour apologie, alors qu’ils pourraient – s’ils étaient réellement attachés à la liberté – classer immédiatement ces plaintes. Personne n’en parlerait et le débat politique se poursuivrait dans le seul endroit qui vaille : l’espace public.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Diane Lataste

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