Pierre-Marie Bonneau, une robe noire au service des nationalistes

27/03/2024

Il dirige une liste d’extrême droite aux européennes

Par Romane Lizée

D’Alain Soral aux membres du Gud, en passant par des négationnistes ou néonazis, l’avocat Pierre-Marie Bonneau va dans toute la France défendre ses camarades d’extrême droite. Il dirige également une liste nationaliste aux élections européennes.

22 septembre 2023, tribunal judiciaire de Vannes (56) – « Ce ne sont pas des gens assoiffés de sang qui partent en chasse », tonne maître Pierre-Marie Bonneau en ce dernier jour d’assises du procès en appel « Du Chaffault », où cinq militants identitaires sont accusés d’avoir lynché, à Nantes (44), Steven et Erwan, 16 et 18 ans, le soir de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Ce dernier est pourtant tombé dans le coma à la suite de l’attaque et en garde des séquelles à vie. Ce qui n’empêche pas l’avocat de pointer Erwan aux jurés : « Vous l’avez vu ? Il a pu répondre à toutes les questions […] Ça a sans doute été traumatisant mais il n’est pas sous curatelle ! » « La plaidoirie était à vomir », estime la dessinatrice Ana Pich, qui a croqué le procès pour le média nantais Contre-Attaque.

La défense des idées rances, Pierre-Marie Bonneau en connaît un rayon. Le quinquagénaire a défendu l’antisémite Alain Soral, le néonazi breton Boris Le Lay, les négationnistes Hervé Ryssen et Robert Faurisson… Aujourd’hui encore, son numéro de téléphone circule activement chez les nervis de l’extrême droite et ce qu’on nomme « l’anti-rep » : quand un événement illégal est organisé, c’est souvent lui qu’on appelle à la rescousse. Et s’il n’anime pas des ateliers dans des locaux néofascistes sur la garde à vue, le pénaliste court les tribunaux français pour défendre les militants nationalistes dans les affaires les plus sordides : tabassages ou expéditions punitives racistes… En février dernier, il est par exemple à Valence (26) pour défendre les militants d’extrême droite qui avaient tenté d’attaquer des habitants de Romans-sur-Isère , après la mort du lycéen Thomas Perotto. Chez ses adversaires, la rumeur court qu’il ne fait pas payer d’honoraires aux activistes de son bord politique. « Pierre-Marie Bonneau est un militant avant tout », assure Thomas Jolly, président du très radical Parti de la France (PDF), qui a déjà fait appel à lui pour sa défense. Il résume :

« Il est fédérateur et fait l’unanimité au sein de la mouvance nationaliste. »

Même si ses plaidoiries ne sont pas toujours fructueuses. Dans le procès « Du Chaffault », le client de Bonneau écope de dix ans d’emprisonnement, au lieu de huit en première instance. Dans un élan d’humeur, l’avocat de 55 ans jette sa paperasse et ses stylos par terre. Gardera-t-il davantage son sang-froid en politique ? Pierre-Marie Bonneau s’y lance pour la première fois à l’occasion des futures élections européennes 2024.

Il cite Hitler et Charles Maurras en plaidoirie

Le débit rapide au bout du fil, Pierre-Marie Bonneau répond à toutes les questions de StreetPress, parfois en jouant sur les mots. Comme quand on lui rappelle cette photo où il apparaît tout sourire aux côtés de jeunes nationalistes au bras levé :

« Je ne peux pas être nazi. Je suis Français, pas Allemand. »

Le quinquagénaire admet être un « héritier de Marcel Bucard », collaborationniste français et fondateur du Parti franciste, mouvement fasciste des années 30. Et puis, après tout, pour le baveux, « le salut bras levé, ce n’est pas seulement un salut nazi » :

« Il a été utilisé par bien d’autres organisations. C’est un salut fraternel. »

De quoi donner le ton de ses plaidoiries lors desquelles l’avocat-militant peut choquer avec des allusions provocatrices. Un de ses confrères confie à StreetPress : « Il présente une lecture de l’histoire nazie qui flirte avec les limites. Mais il est assez malin pour ne pas franchir la ligne rouge. » Quand il ne mentionne pas Hitler dans les prétoires, il cite Charles Maurras, figure de référence du mouvement royaliste Action française. « J’aime bien piquer », reconnaît-il. Quitte à être complètement hors sujet, comme lors du premier procès « Du Chaffault ». « Je n’ai jamais entendu une plaidoirie qui avait si peu à voir avec l’affaire », se souvient Eléonore Duplay, journaliste à France 3 Pays-de-la-Loire, qui avait couvert l’audience.

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Pour cette photo de Pierre-Marie Bonneau aux côtés de membres des Jeunesses nationalistes de Toulouse et de militants du Bloc identitaire, l’avocat répond à StreetPress qu’il ne peut « pas être nazi. Je suis Français, pas Allemand ». / Crédits : Fafwatch Midi-Pyrénées

Le baveux est parfois plus cru dans les couloirs des tribunaux. Erwan, une des victimes du client de Bonneau, se remémore une pause à la machine à café : « On parlait avec une journaliste, il nous écoutait. Un type qui était là a dit tout haut que c’était un avocat qui traînait avec des nazis. Bonneau lui a répondu : “Fils de pute” ».

Avocat des nationalistes et… des sans-papiers

Quand il ne défend pas des militants nationalistes, Pierre-Marie Bonneau plaide pour… des personnes en situation irrégulière sur le territoire. Étonnement, après avoir prêté serment en 1995, Bonneau s’est d’abord orienté vers le droit des étrangers. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir, en juin 2023, multiplié les recours et référés contre l’arrêté préfectoral interdisant une manifestation d’extrême droite organisée contre l’implantation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). Mais le pénaliste n’y voit là non plus aucune contradiction. « L’étranger est victime d’une politique qui est dommageable pour lui comme pour le peuple français », objecte-t-il. « Quand il se présente dans un état de détresse, il est du devoir d’un avocat de le défendre. » Il admet aussi quelque motivation financière :

« Lorsque j’ai posé ma plaque, comme les débuts sont toujours difficiles, j’ai dit oui à toutes les permanences. »

« Evidemment, s’il s’agit d’un dossier qui ne me plaît pas, je ne vais pas proposer mes services… », glisse-t-il d’un air entendu. L’avocat préfère défendre les sympathisants de l’Alvarium, groupuscule identitaire angevin dissous. À l’été 2023, il a participté à leur relaxe pour des violences en marge des émeutes pour Nahel, tué par la police. Bonneau a même défendu le YouTubeur La Menace, masculiniste moins apolitique qu’il ne le prétend, pour des caméras-cachées qui ont mal tourné.

Des caméras cachées hardcore aux formations masculinistes : La Menace, le youtubeur fan de Poutine

Du Gud à l’Œuvre Française en passant par les collabos

L’engagement politique de Pierre-Marie Bonneau commence au début des années 1980, alors qu’il est au lycée à Auch (32). Il y vit sa première bataille politique, celle autour du projet de loi Savary quand Mitterrand veut rapprocher les établissements scolaires publics et privés. L’extrême droite, elle, s’arc-boute pour protéger l’enseignement catholique. « J’étais déjà rétif à la propagande du corps professoral de gauche, qui tentait de manipuler les élèves », se souvient la robe noire. « Ma famille était pourtant de centre-droit. Du côté paternel, on pourrait même dire communiste. Lénine, Marx, Hegel… j’ai dévoré tous leurs livres. » En 1986, ce fils de médecins intègre la faculté de droit de Toulouse (31). La même année, il rejoint les rangs du Gud, le groupuscule étudiant d’extrême droite, fadas de la baston, qui parade à l’époque en blousons en cuir et barres de fer. Il en sera le responsable local à la fin de la décennie.

En 1991, le gudard entre à l’Œuvre française (OF). Une organisation créée par Pierre Sidos – un nostalgique du régime de Vichy et collaborationniste durant la Seconde Guerre mondiale qui a tenté d’incendier le siège du parti communiste en 1956. Surnommé « Pilou » par ses amis, il organise certaines des cérémonies d’hommage aux pontes de l’extrême droite française. Chaque année, il met au point un « cassoulet patriotique » en l’honneur de Pierre Lespinasse, ancien magistrat toulousain sous Vichy. Il se rend aussi au « banquet » pour Robert Brasillach, autre figure collabo, dont il va fleurir la tombe à Paris. Pierre-Marie Bonneau est désormais plus souvent en conférence que sur le terrain. « Je suis moins agile qu’avant », constate-t-il. « Et puis je suis plus utile au commissariat auprès de mes clients qu’en cellule. » Comble de l’avocat, il s’est déjà fait embarquer une fois avec ses clients, en septembre 2012, lors d’un rassemblement des Jeunesses nationalistes à Paris.

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Pierre-Marie Bonneau et Yvan Benedetti se connaissent depuis longtemps. Le pénaliste l’a d’ailleurs défendu lorsqu’il a été condamné à huit mois de prison avec sursis en 2019 pour avoir reconstitué l’Œuvre française. / Crédits : DR

La violence, mais contre les autres

Le militant d’extrême droite est resté à l’Œuvre française jusqu’à sa dissolution en 2013, décidée par le gouvernement Valls après le meurtre de l’antifasciste Clément Méric. Après quoi, Bonneau a suivi Yvan Benedetti, leader de l’OF après Sidos, chez Les Nationalistes. Le pénaliste l’a d’ailleurs défendu lorsqu’il a été condamné à huit mois de prison avec sursis en 2019 pour avoir reconstitué l’Œuvre. « On ne dissout pas un idéal », réplique à StreetPress Pierre-Marie Bonneau, que cette interdiction laisse encore plein de rancœur. Lors d’une intervention dans une librairie d’extrême droite en janvier 2022, il lance, bravache :

« Nous avons été dissous pour un prétexte complètement ridicule, l’affaire Clément Méric : une bagarre entre militants nationalistes et quelques racailles antifascistes […] Il y en a un qui meurt, voilà. C’est la rencontre entre l’antifascisme et le principe de réalité. »

Il est moins catégorique sur la violence quand l’Offensive révolutionnaire antifasciste (Ora) l’attaque à Toulouse en terrasse d’un café avec un verre d’eau dans le dos. « C’est idiot, lâche, dangereux. Les militants que je défends ne font pas ça », ose-t-il à France 3, malgré le pedigree de ses clients.

L’Europe néofasciste

Il a annoncé à l’automne qu’il présidera une liste du parti Les Nationalistes d’Yvan Benedetti – intitulée « Forteresse Europe », bien que les chances qu’il soit élu député européen soit proches du néant. Mais l’avocat souhaite surtout « visibiliser le nationalisme comme courant politique viable ». Malgré l’abondance de listes d’extrême droite, son courant ne serait pas représenté quand il évoque Marine Le Pen. « Elle a fichu dehors comme des malpropres son père et tous les représentants de la mouvance nationaliste. Ceux qui sont restés, comme Bruno Gollnish, sont très marginalisés dans l’appareil », indique-t-il à StreetPress. Quant à Eric Zemmour, sa liste est pour lui « économiquement très libérale et politiquement marquée par le soutien à l’État hébreu ». Une orientation dans laquelle il ne se « reconnaît pas ».

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Bonneau, qui parle selon ses dires roumain, bulgare, allemand, russe, espagnol, grec ou anglais connaît déjà une certaine face de l’Europe, celle des néofascistes. Il est allé en Bulgarie commémorer en février 2024 la mort du général Lukov, qui soutenait l’idéologie nazie. / Crédits : Instagram – Les Nationalistes

Celui qui parle selon ses dires roumain, bulgare, allemand, russe, espagnol, grec ou anglais – et « quelques langues mortes » – connaît déjà une certaine face de l’Europe, celle des néofascistes. Il est allé en Bulgarie commémorer en février 2024 la mort du général Lukov, et se rend tous les ans en Roumanie célébrer la mémoire de Corneliu Codreanu. Deux fascistes antisémites des années 30. En Espagne, il rend visite à la Phalange, une organisation politique créée par le fils du dictateur Primo de Rivera.

Cette posture militante ne pose-t-elle pas un problème au regard de sa déontologie de robe noire ? « On ne peut pas comparer l’exercice professionnel avec un engagement politique », rétorque Pierre-Marie Bonneau :

« Un jour, je cesserai d’être avocat. Je ne cesserai jamais d’être militant. »

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