INFO BLAST / Police : la Défenseure des droits brise la loi de l’omerta

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INFO BLAST / Police : la Défenseure des droits brise la loi de l’omerta

Si le Défenseur des droits produit régulièrement des rapports sur les manquements déontologiques de la police, il est rare que ce soit les policiers qui le saisissent. Serge Supersac, fonctionnaire de la police nationale à la retraite et réserviste à Toulon depuis 2015, a vu son contrat prendre fin subitement après avoir témoigné dans « Police, la Loi de l’Omerta », le livre d’Agnès Naudin et de Fabien Bilheran. Des mesures qu’il considère comme des représailles à son témoignage. La Défenseure des droits vient de lui donner raison, le 21 décembre dernier : il est reconnu lanceur d’alerte.

C’est une coutume : les fonctionnaires qui s’opposent à leur hiérarchie ne sont pas bien vus, particulièrement dans la police, par la force d’une sorte de loi non-écrite. Fin 2022, à quelques semaines des fêtes, Agnès Naudin et Fabien Bilheran publient un livre au titre choc, déposé au pied de l’arbre de Noël de leur ancienne corporation : « Police, la loi de l’omerta » (Le Cherche-midi) compile les témoignages et les portraits de plusieurs lanceurs d’alerte. Parmi eux, Serge Supersac : cet ex-officier de police judiciaire, à la retraite depuis 2010, est policier réserviste. Le statut, qui permet le cumul emploi/retraite, est notamment utilisé pour mobiliser et rémunérer les agents qui gardent entre autres les tribunaux.

La couverture de « Police, la loi de l’omerta » : un ouvrage bien titré… et un livre maudit pour tous ceux qui y ont participé.
Image Le Cherche-midi

Avant de participer à ce livre choral, Supersac travaillait à Toulon à la direction départementale de la sécurité publique (la DDSP) du Var, comme vacataire. Jusqu’à ce que tout s’arrête, il y a un an, et que les missions confiées par la DDSP fondent comme neige au soleil. Jusque-là, Serge Supersac était délégué cohésion police-population (DCPP) dans les quartiers populaires de la préfecture varoise.

A ses yeux, ce changement d’attitude et sa placardisation sont directement liés à ce qu’il a dénoncé dans le livre du duo Naudin/Bilheran, tous deux anciens policiers. En réaction, il saisit la Défenseure des droits qui, le 21 décembre dernier, lui donne raison, en reconnaissant que sa mise à l’écart constitue bien une mesure de représailles.



Signalements sans réaction de la hiérarchie



Supersac a débuté sa carrière de flic en 1979, sur le terrain. En 1984, elle évolue quand il devient officier de police, pour prendre le commandement de la compagnie républicaine de sécurité (CRS) n° 7 de Deuil-la-Barre (Val-d’Oise), avec le grade de capitaine.

La CRS 7 est chargée de l’autoroute et du maintien de l’ordre. Comme il le raconte dans le chapitre que « Police, la loi de l’omerta » lui consacre, il est alerté dès son arrivée de faits de corruption. Et découvre plus particulièrement les « indulgences » de certains policiers, accordées aux chauffeurs de taxi parisiens en échange d’argent.

Extraits de la décision la Défenseure des droits, qui rétablit Serge Supersac dans les siens.
Document Blast

Lorsque l’officier signale les faits, à l’époque, sa hiérarchie lui indique qu’elle souhaite « traiter l’affaire en interne ». « Il sent à ce moment-là que ça va être compliqué, la hiérarchie faisant partie des plus gros demandeurs d’indulgences, lit-on à ce sujet, dans l’ouvrage à cœur ouvert sur les petits secrets de la police. Ils s’arrangent avec les chauffeurs de taxi parisien pour annuler les amendes, une combine impliquant les quatre unités autoroutières d’Île-de-France. Tout le monde gagne de l’argent là-dessus. Serge refuse catégoriquement d’y participer. »

Insatisfait de cette réponse, Serge Supersac alerte l’inspection générale de la police nationale (l’IGPN). Mais là encore, ça coince : on « lui explique qu’ils ne peuvent pas révéler des faits d’une telle ampleur, écrivent encore les auteurs du livre polémique. L’affaire est trop énorme, selon eux. Ils font le choix courageux de fermer les portes, protéger la hiérarchie impliquée et révoquent seulement quatre effectifs de la brigade de Serge, ainsi que quelques-uns dans d’autres unités. » Surtout, le lanceur d’alerte se retrouve désormais avec une étiquette collée au milieu du front : « La conséquence directe est de se retrouver dans le viseur de son état-major. » Un mouton noir, autrement dit.



Une double rétorsion ?



En 2010, l’heure de la retraite a sonné. Pour ne pas rester inactif, le néo-retraité propose ses services comme réserviste. En 2015, un poste à la DCPP à Toulon lui est proposé.

En juin 2023, Supersac a fêté ses 50 ans de travail, dont les 4/5 au service de la police.

Fabien Bilheran et Agnès Naudin, les deux auteurs de de « Police, la loi de l’omerta ».
Image compte X Agnès Naudin

Pour Fabien Bilheran, qui a co-dirigé le livre/témoignage avec Agnès Naudin, la mésaventure vécue par son témoin est un sale coup. Sans justification légitime : « C’est un coup dur pour les rapports police-population, estime l’ancien flic, car le poste de Serge n’a pas été reconduit depuis un an. Il n’y a donc plus de policier de proximité dans les quartiers prioritaires de Toulon et cela exacerbe les tensions. »
A ses yeux, l’ex-capitaine de la CRS remplissait parfaitement son office. « Grâce à son réseau, il arrivait à avoir des bonnes infos sur des affaires graves, allant des règlements de comptes à la lutte contre le terrorisme. Il arrivait aussi à faire de la prévention. »

Viré comme un malpropre

« Je me suis fais virer comme un malpropre, constate l’intéressé, amer. Cela a été un choc. La directrice a refusé de me donner par écrit les raisons de mon éviction. J’y ai vu des représailles à mon témoignage dans le livre. »



La directrice départementale de la sécurité publique à l’origine de son éviction n’est restée qu’un an dans le Var, avant de devenir DDSP de l’Hérault, à Montpellier. Dans sa décision, la Défenseure des droits relève une étrange coïncidence, la concernant : « Monsieur SUPERSAC souligne qu’au-delà des conséquences de ses propres alertes, le fait d’avoir témoigné dans l’ouvrage Police, la loi de l’omerta a pu conduire à l’associer au témoignage d’un autre agent qui a signalé des faits de pédophilie concernant un policier recruté à la brigade des mineurs par la directrice dont relevait Monsieur SUPERSAC au moment de la parution du livre. » En effet, un autre témoignage dans le même livre, celui de Christophe Annunziata, dénonçait des faits de pédophilie au sein de la brigade des mineurs de Marseille, qui ont été étouffés. Dont l’ancienne cheffe est… la même que celle qui a placardisé Supersac à Toulon.

Beauvau ne répond plus

Par ailleurs, la Défenseure des droits le constate, le ministère de l’Intérieur n’a pas daigné répondre à ses questions « dans le délai imparti », n’apportant de fait « aucun élément permettant de justifier la mesure en litige. » Pourtant, en « application du principe d’aménagement de la charge de la preuve », la décision de Claire Hédon le rappelle, « il appartient à l’employeur de Monsieur SUPERSAC de prouver que le retrait de ses vacations est justifié par des considérations objectives étrangères à son alerte. »

Ce que Gérald Darmanin n’a donc pas fait. Et cela justifie, pour la Défenseure des droits, de reconnaître au demandeur le statut de lanceur d’alerte.

Claire Hédon à l’Élysée en 2021 avec Emmanuel Macron, pour lui remettre son rapport annuel. La Défenseure des droits est sans nouvelles de son ministre de l’Intérieur.
Image Défenseur des droits

« Par suite, la Défenseure des droits considère que Monsieur SUPERSAC a fait l’objet de mesures de représailles après avoir signalé une alerte dans les conditions prévues par la loi », lit-on encore dans la décision de décembre 2023. Par conséquent, « elle recommande au ministère de l’intérieur d’indemniser les préjudices subis par Monsieur SUPERSAC en lien avec ses alertes dès lors qu’il en aura fait la demande. »



Un cas non isolé



Mais Serge Supersac n’est pas seul dans son combat. Il a engagé un avocat pour faire annuler la fin de son contrat au tribunal administratif et une pétition en ligne a été lancée pour qu’il retrouve son poste. Par ailleurs, plus troublant, sa situation fait écho à celle d’autres témoins du livre sur l’omerta dans la police. Ainsi, Jean-Marc Cantais, toujours en fonction dans les Pyrénées-Atlantiques, est depuis le mois de décembre 2023 en arrêt maladie. En cause, des menaces proférées par des policiers, comme l’indique Fabien Bilheran sur son compte X. La même mésaventure est arrivée à Stéphane Lemercier, qui exerce à Montpellier, dans l’Hérault. Il est lui-aussi en arrêt.


Le message publié par Fabien Bilheran sur son compte X, le 3 décembre 2023. Pour constater l’hécatombe…
Image compte X FB

Pour sa part, Agnès Naudin a été révoquée à l’été 2023. Elle n’est donc plus policière, bien qu’elle ait contesté cette sanction devant le tribunal administratif.

Pour un livre, c’est la révocation

Cette révocation fait suite à une condamnation prononcée par le tribunal judiciaire de Nanterre en mai 2023, pour violation du secret professionnel a l’occasion de l’écriture d’un livre précédent. Agnès Naudin a fait appel mais Fabien Bilheran considère que ces sanctions sont « symptomatiques d’un deux poids de mesure » : « pour des violences policières, les fonctionnaires prennent des blâmes et pour un livre, c’est la révocation ».

Un récent message posté par Agnès Naudin sur les réseaux sociaux, le 18 janvier dernier.
Image compte X AN

De son côté, en attente de retrouver son poste, Serge Supersac « garde espoir dans les fruits qu’a porté son travail de prévention dans les quartiers populaires de Toulon ». Deux autres participants au bien nommé « Police, la loi de l’omerta » ont également saisi la Défenseure des droits. Ils attendent sa décision.

Depuis la parution du livre, Gérald Darmanin n’a jamais reçu les lanceurs d’alerte.

Le OFF de l’enquête

Contactés, la place Beauvau et le ministre de l’Intérieur n’ont pas donné suite.

Blast publie la décision n°2023-252 du 21 décembre 2023 de la Défenseure de droits Claire Hédon, en intégralité.
Document Blast

Crédits photo/illustration en haut de page :
Diane Lastate

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