FNSEA : Le gouvernement au chevet des « agro-terroristes »

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FNSEA : Le gouvernement au chevet des « agro-terroristes »

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En pleine contestation paysanne, le gouvernement cherche une porte de sortie avec la FNSEA, principal syndicat agricole. Cet interlocuteur privilégié des pouvoirs publics depuis plus d’un demi-siècle est pourtant un groupe violent, à côté duquel les black blocs font figure d’enfants de chœur. Et son impunité tranche avec la diabolisation de « l’ultra gauche » ou autres « éco-terroristes ».

Ayant beaucoup travaillé sur les black blocs – que certains syndicalistes policiers qualifient de terroristes – j’ai l’habitude de poser la devinette suivante à ceux qui dénoncent avec emphase l’« ultra » violence de l’« ultra-gauche » (toujours rajouter ultra, ça rend la menace plus terrifiante) : qui a saccagé le bureau d’une ministre ? De quelle mouvance sont issus les extrémistes qui ont retenu une ministre pendant deux heures, obligeant les forces de l’ordre à l’évacuer par hélicoptère ? Dans quelles manifestations sont régulièrement, attaqués, vandalisés parfois même incendiés, des bâtiments publics ? Qui attaque régulièrement les locaux d’organisations qui lui sont opposées, voire, comme en mars 2023, le domicile personnel d’un militant ? De quelle organisation sont membres ces sortes de « zadistes » d’un nouveau genre qui occupent depuis maintenant 5 jours une autoroute, pas dérangés le moins du monde par les forces de l’ordre, et cajolés par un Darmanin rassurant qui a promis de ne pas leur envoyer la maréchaussée ?

Des black blocs ? Des « éco-terroristes » ? Des gilets jaunes ? Des hooligans ? Des complotistes délirants ? Ayant énuméré toutes ces différentes catégories incarnant le mal absolu, l’interlocuteur sèche, plongé dans des abimes de perplexité, concédant qu’en tout cas une telle organisation devrait être dissoute.

Cette organisation, c’est la FNSEA, premier syndicat d’agriculteurs en France. En matière de violence commise en marge de leurs mobilisations contre L’État ou les personnes, elle écrase toutes les autres mouvances précitées. Avec en point d’orgue, le 8 février 1999 : une opération coup de poing du syndicat dégénère en envahissement du ministère de l’aménagement du territoire et de l’écologie. Le bureau de la ministre, Dominique Voynet, est saccagé, des objets personnels sont dérobés, un employé est tabassé et aura 6 jours d’arrêt de travail. Deux ans plus tard, 4 agriculteurs « casseurs » seront condamnés à des peines clémentes, 1500 euros d’amende. La ministre, comme le syndicat concurrent la Confédération paysanne, dénonce alors l’impunité des sympathisants de la FNSEA.

17 ans auparavant, une autre ministre de l’agriculture, Edith Cresson, est encerclée et prise à partie par des agriculteurs dans le Calvados. Elle est finalement évacuée par hélicoptère. Deux ministres femmes visées les deux fois, des esprits mal placés y verraient un zeste de sexisme … Cette fois-là, au moins, le responsable local de la FNSEA a tenté en vain de calmer ses troupes. Ce n’est pas toujours le cas.

Des incendiaires félicités par un responsable de la FNSEA

Le 20 septembre 2014, le local de la Mutuelle sociale agricole (MSA) de Saint-Martin-des-Champs et le centre des impôts de Morlaix (Finistère) sont incendiés. Thierry Merret, le président de la FNSEA du Finistère, félicite les émeutiers « Je tire un coup de chapeau à ceux qui ont osé faire ce qu’ils ont fait », déclare-t-il, sans être poursuivi pour cette apologie de la violence. On imagine aisément ce qui serait arrivé si un responsable des Soulèvements de la terre avait tenu de tels propos. Ou si un cégétiste avait applaudi aux exactions de black blocs…

Des sympathisants de la FNSEA s’en prennent aussi parfois à leurs opposants. Le 22 mars dernier, en Charente-Maritime, 3 jours avant la fameuse manifestation de Sainte-Soline, des agriculteurs revenant d’une manif de la FNSEA pro pesticides et pro mégabassines ont attaqué à coups de pierres le domicile du vice-président de l’antenne locale de France nature environnement. Tagués sur le sol : des propos obscènes et homophobes, d’une élégance digne d’un Depardieu.

2000 manifestants qui cassent plus efficaces que 10 000 qui défilent dans le calme

Agro-terroriste, la FNSEA ? Après les violences de Sainte-Soline, le syndicat l’a pourtant joué « légaliste » et responsable. Auditionné par une commission d’enquête parlementaire sur les groupuscules commettant des violences lors des manifestations du printemps 2023 (mouvement contre la réforme des retraites et Sainte-Soline, exclusivement des manifs de gauche), Cédric Tranquard, membre du syndicat, a osé lancer : « nous sommes de culture légaliste ». Rappelons lui les propos tenus en 1974 par Alexis Gourvennec, figure emblématique du syndicat dans les années 60-70, qui semblent aujourd’hui encore tenir lieu de mantra chez certains de ses adhérents: « 2000 agriculteurs qui cassent tout, c’est plus payant que 10 000 manifestants qui défilent dans le calme ».

C’est pourtant bien cette organisation que le premier ministre a choisi de recevoir en grandes pompes le 22 janvier. La FNSEA devient son unique interlocuteur pour désamorcer la crise : la Confédération paysanne, deuxième syndicat de la profession (25,9 % des voix aux dernières élections des chambres d’agriculture en 2019), qui est lui sur des positions anti productivistes et fait partie du collectif « éco-terroriste » les Soulèvements de la terre, est ignoré. La FNSEA a d’ailleurs clairement fait pression sur le gouvernement pour obtenir la dissolution des Soulèvements de la terre (lire l’enquête de nos confrères de Reporterre). Rappelons que cette dissolution a finalement été annulée par le conseil d’État en novembre…

Je ne suis pas sûr de tenir longtemps mes troupes

Pour ce faire, il n’a pas hésité à brandir la menace de violences : le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau déclarait ainsi le 15 juin dernier – six jours avant le décret de dissolution – : « L’impunité totale des Soulèvements de la Terre va conduire tout le monde à la guerre civile. La FNSEA, en responsabilité, appelle tout le monde au calme et à la retenue. Mais je suis obligé d’ajouter que je ne suis pas sûr de tenir longtemps mes troupes ». J’adore le « en responsabilité ». Agro-terroriste ? Troubler l’ordre public par l’intimidation, la menace ou la terreur correspond en tout cas à la définition juridique du terrorisme, une acception si large que l’on pourrait y mettre à peu près n’importe quel mouvement revendicatif. Un mot magique qui clôt toute discussion, une sorte de point Godwin des mobilisations sociales, mais curieusement uniquement appliqué aux contestations anti-capitalistes et anti-productivistes (écolos radicaux, décroissants, black blocs).

Pourquoi une telle différence de traitement ? En réalité, la FNSEA, pour violente qu’elle puisse être contre des institutions étatiques ou les forces de l’ordre, ne remet pas en cause le système libéral et productiviste. Il est même son allié. Le mouvement actuel, comme la plupart des mobilisations de la FNSEA, s’en prend aux charges, aux normes, notamment environnementales, à l’administration tatillonne (qui est certes un réel problème, mais loin d’être l’unique cause du malaise des agriculteurs). Bref, elle s’en prend à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une régulation du capitalisme agricole.

Malgré un discours de façade respectueux de l’environnement – ainsi a été créé un label bidon « agriculture raisonnée », qui en réalité signifie « non bio mais qui pollue-pas-trop-quand-même » – la FNSEA veut du pesticide, des produits chimiques et toute sorte de saloperies qui permettent de polluer en paix. Le syndicat a milité pour la ré-autorisation du glyphosate et des néonicotinoïdes, réclamés à cors et à cris par les betteraviers. Ces aménagements permettront aux agro-industriels de continuer à nous empoisonner en nous faisant toujours bouffer plus sucré. En 2019, la FNSEA lance une campagne contre « l’agribashing », et demande carrément moins de transparence sur la situation de l’agriculture et ses impacts environnementaux. Le président du syndicat dans l’Aude réclame « l’élaboration de règles d’utilisation des données publiques agricoles ». Des fois que ça tomberait entre les mains d’éco-terroristes de la Confédération paysanne, d’Alterniba ou de l’excellent média indépendant Reporterre…

Le défenseur du capitalisme le plus sauvage

La FNSEA ne s’en prend jamais, ou très rarement, aux grands groupes capitalistes qui se goinfrent sur son dos, la grande distribution ou l’agro-industrie. Les prix payés aux producteurs baissent, tandis qu’en 2023, l’inflation sur les produits alimentaires frôle les 12 % (1). Cherchez l’erreur. Mais de cela la FNSEA en parle peu. Poussant à toujours plus de productivisme et moins de régulations contraignantes notamment en matière environnementales, la FNSEA est, dans l’agriculture, le défenseur du capitalisme le plus sauvage. Un cercle vicieux dont les premières victimes sont les paysans eux-mêmes : poussés à produire toujours plus, ils s’endettent jusqu’à l’étranglement financier. Ils doivent donc doivent augmenter les rendements, et pour cela recourir à des intrants polluants de plus en plus chers, et ainsi de suite. Si les pesticides étaient une drogue, la FNSEA serait, si ce n’est le dealer, du moins son complice.

Les liens de la FNSEA avec la très florissante agro-industrie sont étroits. L’actuel numéro un du syndicat, Arnaud Rousseau, préside le conseil d’administration de la multinationale agro-industrielle Avril, géant mondial des oléagineux (les huiles Lesieur et Puget c’est lui), qui emploie 7300 personnes et génère 9 milliards de chiffres d’affaires pour 220 millions de bénéfices. Pas grand chose à voir avec le petit producteur de lait étranglé par les charges ou l’éleveur de chèvres cévenol touchant moins que le SMIC. Situation ubuesque : le patron du premier syndicat d’agriculteurs vient de ce monde de l’agro-industrie qui dicte sa loi sur les prix payés aux paysans. Un peu comme si la CGT était dirigée par un patron du CAC 40.

(1) Selon l’observatoire des prix de Familles rurales, publié le 23 janvier 2024.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Diane Lataste

https://www.blast-info.fr/articles/2024/fnsea-le-gouvernement-au-chevet-des-agro-terroristes-3wlaVchPSsKs5TyxFNoT9w

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