INFO BLAST / Dérives à Perpignan : la police municipale en correctionnelle

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INFO BLAST / Dérives à Perpignan : la police municipale en correctionnelle

Un agent de la police municipale de Louis Aliot, le maire RN de Perpignan, a été présenté au parquet peu avant Noël : reconnu sur une vidéo publiée par nos confrères de Mediapart, dans laquelle il cogne la tête d’un mineur contre un mur, il sera jugé en mai prochain. Cette actualité vient corroborer l’enquête de Blast menée début 2023. Elle a aussi donné lieu à l’ouverture d’investigations de la justice, toujours en cours.

C’était le 10 mai 2023. À Perpignan, ce jour-là, le conseil municipal s’ouvre dans la grande salle de l’hôtel de ville. Sous une toile de maître, le maire (RN) Louis Aliot ouvre la séance par une minute de silence. Gérard Naudo, personnalité locale, champion de pétanque et ancien élu, est décédé un mois plus tôt. « Loulou », comme l’appelle ses amis, en vient ensuite à Blast, deux jours après la publication de notre enquête sur sa police municipale – une des mieux dotées de France, rapporté à la population de la préfecture des Pyrénées-Orientales (avec 180 agents).

Certains habitants de la ville osent qualifier ce service de « milice municipale », dénonçant abus en tous genres, violences, contrôles aux faciès et interpellations en masse. Si bien que les policiers, nationaux eux, et seuls habilités à placer les personnes en garde-à-vue, n’arrivent pas à suivre le rythme effréné des agents de la ville, souvent d’anciens collègues.

Aliot attaque

La mairie de Perpignan, que nous avions sollicitée et relancée pour exposer point par point les différents griefs et documents rassemblés au cours de notre enquête, n’avait pas répondu à nos questions. C’est donc lors du conseil municipal de mai dernier qu’Aliot a choisi de prendre la parole. D’abord pour annoncer à l’assemblée un changement de l’ordre du jour : « Vous avez sur table une autorisation d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile au nom de la commune sur un reportage vidéo et un article sur un média web proche de la gauche et de l’extrême-gauche qui est intitulé “Contrôle au faciès, interpellations violentes, menaces : À Perpignan, la sale besogne de la ‘milice municipale’ de Louis Aliot”.

Le 10 mai 2023, le maire RN de Perpignan annonce déposer plainte contre le « reportage mensonger » de Blast.
Image compte X LA

Après cette entrée en matière, le premier magistrat de la ville reprend : « Il y a beaucoup de sujets sur lesquels on va déposer plainte, beaucoup d’approximations, beaucoup de mensonges. Et systématiquement on voit que ce genre de média prend pour cible la police quelle qu’elle soit et que manifestement en France, il y a des gens qui sont payés pour défendre les voyous pour accuser la police. Nous, nous avons pris le parti adverse, nous préférons défendre la police et tenter d’éradiquer la voyoucratie de nos rues par les moyens légaux. De ce procès-là, on remettra un certain nombre de pendules à l’heure. »https://video.blast-info.fr/w/7PYytVYiE1vkU6LXmFLrar

l’intervention de Louis Aliot devant l’assemblée municipale.
Images ville de Perpignan

La justice enquête

La promesse de Louis Aliot a été tenue : la plainte a bien été déposée et Denis Robert, fondateur et directeur de publication de Blast, a été mis en examen par un juge d’instruction de Perpignan – c’est automatique en matière de diffamation, le magistrat instructeur se contentant de vérifier les éléments de base sans instruire. Dans un article et une vidéo, notre enquête documentait des brutalités policières particulièrement choquantes et la façon dont des commerçants des quartiers populaires, d’origine maghrébine, étaient sommés en permanence de justifier qu’ils étaient en règle. Le procès aura lieu dans les mois ou années qui viennent, ça peut être long.

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La page de garde du compte Facebook de la police municipale de Perpignan, pilier de la politique de la mairie Rassemblement national.

Mais entre-temps, les méthodes peu orthodoxes de la police municipale perpignanaise, dévoilée par Blast, ont récemment fait l’objet d’un article de nos confrères de Mediapart, après la diffusion sur TikTok d’une vidéo dans laquelle on voit un policier municipal taper la tête d’un mineur contre un mur. Au site d’investigation, Jean-David Cavaillé, le procureur de Perpignan, annonçait avoir ouvert une enquête préliminaire dès qu’il a eu connaissance de cette séquence. Ce qu’il avait également fait après l’enquête de Blast.

L’enquête sur l’agent qui cogne la tête de cet ado à bien avancé : Blast a appris du parquet de Perpignan que le policier municipal mis en cause a été placé la semaine précédant Noël en garde à vue et déféré. Il a finalement hérité d’une convocation devant le tribunal correctionnel, pour une audience fixée le 6 mai prochain. L’homme a également été placé sous contrôle judiciaire, assorti d’une interdiction professionnelle.

Sollicitées par Blast, ni la mairie ni la police municipale ne nous ont répondu.

https://video.blast-info.fr/videos/embed/wgfWvLjHVzBeJ5uFDaRn9iLa vidéo qui a circulé sur TikTok. Elle vaut à l’agent de la PM de Perpignan auteur de cette violence d’être renvoyé en correctionnelle.
Document Blast

À Mediapart, la mairie avait précisé avoir ouvert une enquête interne, ajoutant que l’interpellation de ce jeune homme – il a écopé d’un avertissement pénal probatoire, pour détention de stup – « a eu lieu sur un point de deal connu dans le quartier Saint-Mathieu, qui est gangréné par le trafic de stupéfiants ». En insistant sur le fait que les interventions y sont « particulièrement compliquées ». En cause, selon la ville, les crachats et provocations auxquels les agents seraient régulièrement confrontés.

Peu avant que le témoin commence à filmer, les policiers auraient assisté à une transaction. La ville a ajouté auprès de Mediapart que la vidéo « ne montre que le terme de l’opération », et qu’avant les faits avait eu lieu une « course-poursuite dans les rues du quartier de plusieurs minutes ». Le jeune homme est également décrit comme récalcitrant, refusant de se lever, faisant obstacle à son interpellation. Beaucoup d’éléments de langage au soutien de l’action des municipaux pour une enquête interne qui venait tout juste de commencer. Le parquet n’en a donc pas eu la même lecture.

« Ces faits et les vidéos qui ont été diffusées ne font que confirmer ce qui nous est rapporté par la population », souligne Josie Boucher, une militante de l’association solidarité immigration (ASI). Après la parution de l’enquête de Blast, plusieurs organisations – dont ASI, le Mrap (le mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et la LDH (la ligue des droits de l’Homme) – se sont réunies et ont décidé de saisir le procureur de la République et le Défenseur des droits. « La pression de la police municipale est permanente, reprend Josie Boucher. J’ai le fils d’une amie, un Maghrébin, il n’y a pas un jour sans qu’il soit contrôlé ».

Ça cogne à Perpignan

Blast a aussi été destinataire de trois nouvelles vidéos, dont celle révélée par Mediapart. Elles ne sont pas datées mais toutes ont été captées dans la cité des rois de Majorque. On y voit des contrôles musclés, notamment sur un point de deal (avec montants et quantités, inscrits sur un mur). La personne qui tient le téléphone qui tourne une de ces scènes prévient le policier, qui a attrapé un jeune homme par le short : « Tranquille, t’es filmé ». On entend : « Je m’en fous », en guise de réponse. Puis un autre policier tient le vidéaste amateur en respect avec une bombe lacrymogène. « T’es filmé », répète le jeune. « Je m’en bats les couilles », rétorque le policier.

https://video.blast-info.fr/w/fR4M9eunQjqxYHs2ieXawR

Mickaël Idrac qui représente La France insoumise à Perpignan considère aussi que ces articles ne font que mettre en lumière ce qui est vécu par les habitants des quartiers populaires de Perpignan, notamment ceux du quartier gitan. « Il (Louis Aliot, ndlr) fait de la communication avec la police municipale, observe-t-il. Il a ouvert des postes fantômes dans les quartiers pour montrer une présence mais il n’a pas assez de monde à mettre dedans. Du coup, ce sont des postes qui sont ouverts une à deux heures par jour. Et sur les stups, il ne fait que déplacer les problèmes ».

https://video.blast-info.fr/videos/embed/bZ6gzzyWvZJrQWEnycfdEiÀ Perpignan, encore.
Document Blast

Au total, depuis son élection (en juin 2020), Louis Aliot a porté à 6 le nombre de postes de la police municipale répartis dans la ville. Une action de façade qui nuit au travail des policiers nationaux : en plus de les faire crouler sous les procédures puisqu’ils sont les seuls à pouvoir mener des enquêtes, cette errance des dealers d’un point de deal à un autre ne leur permet pas de juguler les trafics. « Nous savons où se trouvent les points de deal, reconnaît un fonctionnaire. Le problème c’est qu’en poussant les trafiquants à revoir leurs plans, nous sommes aussi un peu perdus et nous devons nous réadapter ».

https://video.blast-info.fr/videos/embed/58f40744-0301-4a8f-8771-359cd009847d

Aliot, maire de… l’Intérieur

Cette réalité et ces constats intéressent peu le vice-président du Rassemblement national. À Perpignan, la sécurité est sa chasse gardée et un outil de communication politique essentiel du maire, puisqu’il a conservé cette délégation.

En décembre 2023, Louis Aliot (dossier en mains et tout sourire) avec le très droitier criminologue Christian de Bougain, alias Xavier Raufer (à droite sur la photo, mains dans les poches), lors d’une « commission nationale de la sécurité ».
Image ville de Perpignan

Sur les réseaux sociaux, la ville ne se lasse pas de communiquer sur ses belles affaires, donnant l’impression d’être un office anti-stups indépendant, et le maire de Perpignan un ministre de l’Intérieur local. Ce qui permet d’avoir une idée de ce que pourraient donner ces méthodes appliquées à l’échelle nationale, avec un gouvernement RN et un Aliot qui postulerait sans doute pour s’installer place Beauvau.

Les exemples foisonnent. En voici, un rapide aperçu : le 25 octobre 2023 il s’agit d’une saisie de 500 grammes de résine de cannabis « au sein de la cité du Champ de Mars » ; le même jour, la ville de Perpignan communique sur une « opération conjointe avec les effectifs de la police nationale [qui] a permis quant à elle la découverte de plus de 900 grammes de résine de cannabis au sein du Quartier St Mathieu et la mise à disposition de deux individus » ; le 8 novembre, ce sont des cambrioleurs qui se font pincer par les municipaux. Et ainsi de suite. Les comptes de la PM catalane sur les réseaux sont plein de leurs exploits, réalisés grâce à leurs patrouilles ou grâce à la vidéo surveillance – plus de 300 caméras scrutant les rues de « la rayonnante ».

Cette semaine, la police municipale de Perpignan exhibe le même jour sur les réseaux une prise de stupéfiants et un second post dans lequel elle relaie un communiqué de la police nationale et se félicite de « notre travail en leur compagnie ».
Image compte Facebook police municipale de Perpignan

Mais un autre élément inquiète Mickaël Idrac : l’usage du logiciel israélien Briefcam utilisé pour la reconnaissance faciale – interdite. Dans un courrier qu’il a adressé à Aliot en novembre dernier – que nous nous sommes procuré –, l’Insoumis s’appuie sur une enquête du média d’investigation Disclose qui révélait que ce logiciel équipe illégalement la police nationale depuis 2015 et plusieurs villes… dont Perpignan.

Les questions sur le logiciel de surveillance Briefcam, adressées par courrier au maire de Perpignan par le représentant de la France insoumise, le 22 novembre 2023.
Document Blast

Philippe Rouch, ancien flic parisien et directeur de la police municipale, a répondu à La Gazette des communes que ce logiciel servait pour le comptage des personnes lors de manifestations, ou de véhicules sur la voirie. « Je voulais m’en servir pour repérer les dépôts sauvages, mais cela ne marche pas, la technologie n’est pas encore au point », a-t-il expliqué à ce média spécialisé. La ville affirme ne pas utiliser la reconnaissance faciale.

3 documents

À Perpignan, le préfet Thierry Bonnier visite la police municipale la nuit du nouvel an (le 31 décembre 2023). Il est reçu comme chez lui, comme s’il s’agissait de ses services (de l’État). Cautionne-t-il aussi ses méthodes ?
Images préfecture des Pyrénées-Orientales

L’ancienne adjointe à la sécurité n’a toujours pas répondu à nos sollicitations. Lors du conseil municipal du 10 mai 2023, son groupe s’était abstenu au moment du vote pour engager la procédure contre Blast. Une position mi-figue mi-raisin : « Nous soutenons la police municipale de Perpignan comme la police tout court, nous savons tous que leur travail est difficile, avait énoncé cette avocate de profession et désormais opposante. Je ne cautionne pas ce type de reportage accompagné de vidéos, ce ne sont que des extraits. Cependant nous allons nous abstenir parce que c’est un choix qui vous appartient (à Aliot, ndlr). Vous avez des informations que nous n’avons pas. »

« Information » contre information, les documents, enquêtes et désormais procédures qui s’accumulent commencent à peser lourd. L’ex-adjointe en est désormais informée. Et la question est la même : l’opposition soutient-elle toujours une police municipale qui doit désormais s’asseoir sur le banc des prévenus ? C’est ce que nous aurions aimé savoir.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret

https://www.blast-info.fr/articles/2024/info-blast-derives-a-perpignan-la-police-municipale-en-correctionnelle-EPf1XaYDR6Kb4Ga5qlJKDw

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