Beaucoup de mensonges pour une double relaxe
paru dans lundimatin#227, le 27 janvier 2020
D’expérience, nous avons souvent tendance à partir du principe que la justice a pour rôle fondamental d’entériner les actes de police (on vous épargne la petite vidéo d’archive de Michel Foucault au tribunal qui dit tout cela très bien mais que nous avons déjà beaucoup trop publiée). Il arrive cependant que cette dernière, confrontée peut-être à des énormités tellement vulgaires qu’elles en deviennent inassumables, choisisse de ne pas croire la parole policière et démontre une certaine indépendance. La chronique judiciaire que nous publions ici nous a été transmise par le coordinateur de la Legal Team de la section de la Ligue des Droits de l’Homme de Montpellier. Sa longueur et son souci du détail permettent de prendre la mesure de ces petits et gros mensonges policiers censés justifier la répression judiciaire du mouvement des Gilets jaunes, pris dans sa définition la plus large. La personne visée ici par l’acharnement policier n’est autre qu’une observatrice de la Ligue des Droits de l’Homme. Bonne lecture.
Le jeudi 12 décembre 2019, Camille Halut, membre de la Legal Team de la LDH-Montpellier, comparait pour la deuxième fois devant le tribunal correctionnel de Montpellier, cette fois en formation collégiale. En effet, déjà poursuivie le 1 octobre 2019 pour « entrave à la circulation », mais en formation de juge unique, elle a été relaxée le 3 octobre. Lors du rendu de son délibéré, le juge le motive oralement sur l’audience. Il explique que la procédure dont a fait l’objet Camille Halut a été montée de toute pièce pour incriminer celle-ci au regard de deux éléments en particulier. D’une part, il ressort du dossier qu’elle a d’abord été identifiée par des policiers avant qu’une infraction ne lui soit reprochée, alors qu’une enquête pénale classique suppose que l’infraction soit d’abord constatée avant que son auteur soit recherché puis poursuivi. D’autre part, le juge précise avoir intégralement regardé l’enregistrement audiovisuel produit par les policiers. Et, alors que le procès-verbal d’exploitation indique qu’il est visible qu’elle bloque la circulation sur la voie autoroutière où s’était rendue le samedi 6 avril une partie de la manifestation des Gilets Jaunes, il n’a rien constaté de tel, la circulation étant déjà bloquée lorsqu’elle s’est rendue sur la voie. Il conclut qu’elle n’a commis « aucun acte autre que celui d’observer » et prononce la relaxe. Le Parquet s’est bien gardé de relever appel et la décision est donc définitive.
Cette fois, elle est convoquée en justice le 22 septembre 2019 pour avoir à Montpellier :
1. le 21 septembre 2019, volontairement dissimulé son visage, sans motif légitime, lors d’une manifestation sur la voie publique accompagnée de troubles ou risques manifestes de troubles à l’ordre public ;
2. le 21 septembre 2019, seule et sans arme, opposé une résistance violente à Monsieur BUIL Patrice, commissaire divisionnaire de police, dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions pour l’exécution des lois ;
3. le 22 septembre 2019, alors qu’il existait des indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’elle ait commis l’une des infractions visées à l’article 706-55 du code de procédure pénale, refusé de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à permettre l‘analyse et l’identification de son empreinte génétique.
Et, pour faire bonne mesure, le Parquet l’a fait citer également le 25 novembre 2019 pour
4. entre le 21 et le 22 septembre 2019, refusé de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, notamment prise d’empreintes digitales, palmaires ou de photographies, nécessaires à l’alimentation et à la consultation des fichiers de police, alors qu’il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner la commission d’un délit.
Avant tout débat au fond, le tribunal examine d’abord les conclusions de nullité déposées par les avocats de la défense, Mes Michel TUBIANA et Alain OTTAN, et développées à la barre par ce dernier.
La garde à vue est nulle car les conditions d’interpellation n’ont pas été respectées, à savoir qu’elles ne mentionnent pas les noms des agents interpellateurs. Il y a ensuite un défaut d’impartialité, et donc atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure, dans la mesure où le commissaire BUIL est identifié comme victime alors que l’enquête est menée par ses subordonnés. D’autant que celle-ci a été menée uniquement à charge, sans recherche de témoins autres que les policiers ni de vidéos consultables sur Internet prises par des personnes présentes lors de l’interpellation, compte tenu des dénégations de la prévenue. En outre les déclarations du commissaire « justifiant » l’interpellation sont contredites par le brigadier GAUBEL cité à la procédure comme témoin. Il n’existe en conséquence aucun indice réel ou apparent d’un comportement délictueux de Camille HALUT au moment de son interpellation, laquelle ne peut donc qu’être qualifiée d’ « arbitraire ».
Le procureur fait mine de balayer ces objections. Il rappelle qu’est mentionné dans le PV d’interpellation un numéro matricule correspondant à celui des agents verbalisateurs, et pour le reste se contente de se draper dans les grands principes selon lesquels le Parquet est indépendant, instruit à charge comme à décharge et valide ou non le travail de la police : au regard des prescriptions du code de procédure pénale. Regards amusés dans l’assistance…
Le commissaire BUIL prête serment de dire la vérité, toute la vérité
Le président décide de joindre l’incident au fond et appelle Camille HALUT à la barre.
Il l’interroge pour connaître sa position au vu des faits qui lui sont
reprochés en reprenant les termes du procès-verbal d’interpellation
dressé à son encontre. Il en ressort que la manifestation qui réunissait
au départ 3 à 400 personnes aurait « dégénéré » dès 14h45 : jets de
pétards, fumigènes, insultes. D’après le commissaire BUIL, alors qu’il
est positionné avec ses hommes à l’angle de la rue de la Loge et la
Place des Martyrs de la Résistance, où se situe la Préfecture, il
constate « plusieurs individus avec le visage dissimulé et casqués et,
parmi eux, une personne féminine porteuse d’un casque rouge, d’un masque
à gaz couleur bleu et blanc ainsi que d’une paire de lunettes, le tout
ne me permettant pas de voir son visage ». Il se rapproche alors d’elle
d’un pas rapide, lui fait une remarque sur le fait qu’elle le filme et
lui demande de lui remettre son matériel de protection pour
« vérification », affirmant agir « selon les ordres du procureur » et
qu’un récépissé lui sera remis, mentionnant en outre qu’elle lui donne
alors un, puis ensuite plusieurs coups de pied.
Appelée à réagir aux termes de ce PV, elle l’infirme totalement : « Cette personne savait pertinemment qui j’étais. En manifestation, les haut gradés de la police m’appellent quasiment tous par mon nom et mon prénom. En tant qu’observatrice de la LDH, je porte ce matériel uniquement pour me protéger lorsqu’il y a des gaz, comme c’était le cas à la gare vers 15h. C’est le seul endroit où j’ai eu le masque, sinon il est autour de mon cou… Une heure après à la préfecture je n’avais pas le masque. C’était calme ; il restait moins d’une centaine de personnes. Je conteste avoir eu le visage dissimulé et je conteste tout coup de pied… On va voir les vidéos ; il y en a quatre… Au moment de mon interpellation, j’étais en train de filmer une scène se produisant justement derrière le cordon de police, à savoir l’interpellation de deux personnes avec fouille de leurs sacs. »
Cité comme témoin par le Parquet, le commissaire BUIL est alors appelé à la barre et prête serment de dire la vérité, toute la vérité. Se prévalant des ordres du procureur de procéder à des contrôles d’identité et de saisir les masque de protection contre remise d’un récépissé, il « voit Madame HALUT à quelques mètres. Je ne la reconnais pas car elle n’a pas le même casque. Elle a un casque gris mais je ne sais pas si elle a une cagoule qui cache son visage. » Sur interrogation du président, il admet l’ « avoir reconnu très vite » et concède, poussé dans ses retranchements, qu’elle portait le masque « sur le bas du visage »…et qu’il n’était donc pas dissimulé ! S’engage alors, d’après lui, « un dialogue de sourds ». Il la saisit par le bras pour l’emmener derrière le cordon de CRS pendant qu’elle martèle de façon répétitive et d’une voix de plus en plus stridente, après avoir dit « Ne me touchez pas » : « Je suis observatrice de la Ligue des Droits de l’Homme. Je refuse de donner mon matériel de protection. »
Pour BUIL, cela signifie une volonté manifeste de se soustraire au contrôle. Alors que dans le PV, il prétend qu’elle le pousse et lui porte plusieurs coups, il n’évoque plus à la barre qu’un seul coup de pied « qui n’était pas une violence volontaire contre moi ; j’étais plus outré que touché », se faisant aussitôt reprendre de volée par Me TUBIANA : « Mais vous parlez dans le PV d’une résistance violente qui a déterminé les poursuites ! » Appelée à réagir, Camille HALUT évoque un geste inventé, voire « une mise en scène », la vidéo montrant bien d’après elle qu’au moment où il prétend qu’elle le pousse et lui porte plusieurs coups, le commissaire met sa main droite près de son visage et fait un mouvement de tête vers la droite. Tête basse du dit commissaire…
A propos de vidéos, le tribunal procède alors à l’audition, en visio-conférence, du CRS GAUBEL, en poste à Nancy ,et le jour des faits à Montpellier sous les ordres du commissaire BUIL Son témoignage enfonce un peu plus ce dernier, tout en se contredisant lui-même par rapport à son témoignage sur procès-verbal. Il n’était pas aux côté de BUIL lors de l’interpellation mais l’a assisté lorsque ce dernier a rejoint le cordon de CRS et qu’ils ont ensuite extrait Camille HALUT pour l’embarquer dans le fourgon de police alors qu’elle hélait les gens pour lui venir en aide en criant « Ils m’enlèvent mon masque, mes lunettes. Ils n’ont pas le droit ! » Sur question du président, il estime que le comportement de la prévenue était « vindicatif mais calme …elle ne demandait pas aux gens de s’échapper… son visage n’était pas dissimulé. » Il précise également que c’est au moment où elle est extraite au niveau de la Caisse d’Epargne qu’elle « donne un coup de pied au tibia à Monsieur BUIL mais je ne sais pas si c’était intentionnel quand elle le lui a donné. » Sur nouvelle question du président, agacé, lui demandant si le coup de pied avait pu être involontaire, il acquiesce : « Oui, car elle était calme avec nous. » Tout en ajoutant, pensant venir ainsi au secours du commissaire : « Après son transfert pour l’emmener ensuite au fourgon, par deux fois elle a prononcé le mot ‘rebellion’. » Me OTTAN bondit : « On entendra la bande vidéo et on verra que ce n’est pas vrai ! »
Croyez-vous qu’il y a un acharnement de la police ? Oui, j’assume !
Une certaine effervescence gagne la salle à la perspective de
visionner enfin les fameuses vidéos. Mais auparavant le président
acquiesce à la demande de Me TUBIANA de poser quelques questions au commissaire et il va mettre à jour de nouvelles contradictions.
TUBIANA : « Quand vous voyez Camille HALUT, elle a un casque gris. Pourquoi dites-vous rouge dans le PV ? »
BUIL argue d’une erreur de la part de son subordonné qui a pris sa
déposition, d’une confusion, et reconnait avoir mal relu sa déposition.
Un peu court… Et l’avocat d’enfoncer le clou à propos du coup de pied.
Il est censé l’avoir reçu au moment de l’interpellation de la prévenue.
Le commissaire essaie un biais en arguant qu’il l’a reçu en fait devant
le barrage de police, mais comme le président intervient en lui faisant
remarquer que GAUBEL vient de dire qu’il l’a donné derrière, au niveau
de la Caisse d’Epargne, il essaie piteusement de se reprendre en
prétendant qu’il y avait deux cordons de police…
L’avocat pousse son avantage en demandant comment Camille HALUT se
comportait lors du fameux coup de pied qu’il prétend avoir reçu.
BUIL : « Elle se comporte comme une ado rebelle qui ne veut pas de l’autorité, mais il n’y a pas eu de résistance violente. »
L’avocat lui faisant aussitôt remarquer qu’il est mentionné le contraire
dans le PV, il prétend que « le PV ne vaut qu’à titre de
renseignement » !
TUBIANA : « Peut-être le PV n’est-il là qu’à titre de simple
renseignement mais c’est pourtant ce qui a déterminé le parquet à
poursuivre ! »
Nouvel avatar à propos de la Go-pro dont est équipé le commissaire, lequel prétend à l’audience qu’il n’a pas eu le réflexe de l’allumer alors qu’il est mentionné dans le PV qu’elle n’avait pas fonctionné, ce qui n’est pas la même chose ! Et comme par hasard elle ne fonctionne pas juste au moment de l’interpellation…
En relais avec Me OTTAN, Me TUBIANA revient sur la première procédure en entrave à la circulation pour laquelle Camille HALUT a été relaxée. Il constate que c’est déjà le commissaire BUIL qui est à l’origine des poursuites, qu’il connaissait donc parfaitement Camille HALUT et qu’il l’a à nouveau délibérément choisie cette fois-ci pour « lui faire subir une procédure d’office ».
Au président qui intervient alors en lui demandant s’il « croit qu’il y a un acharnement de la police », il répond avec aplomb : « Oui, j’assume l ». Le commissaire BUIL fixe ses pieds. Il aimerait bien à cet instant-là disparaître dans un trou de souris…
Vient enfin le temps de la projection des vidéos. Le visionnage vidéo confirme la version de la prévenue et accable encore plus le commissaire. L’ambiance sur la place est tranquille. Les manifestants déambulent de-ci de-là sans se presser. Camille HALUT traverse deux fois l’écran et elle est toujours à visage découvert. Au moment de son interpellation, il n’y a pas de manifestants, encore moins casqués, à ses côtés. Elle est seule. Ensuite, c’est bien non pas devant mais derrière le cordon de police, au niveau de la Caisse d’Epargne, qu’on entend le commissaire dire « vous me donnez des coups », mais on n’aperçoit aucun coup à l’image…
L’un des assesseurs tente alors une diversion. Il fait mine de s’offusquer que la prévenue refuse de donner au commissaire son matériel de protection : « Il faut obéir à la police ; vous n’êtes pas au- dessus des lois. » Et lui demande si elle dispose d’un mandat de la LDH spécialement pour observer dans les manifestations. Un peu interloquée, elle évoque une mission d’ordre général en tant que membre de la Legal Team de la LDH, et Me TUBIANA intervient alors pour préciser que cela fait plus d’un siècle que la Ligue des Droits de l’Homme observe les pratiques policières ; il existe plusieurs observatoires en France ; leurs membres sont tous volontaires, portent une chasuble siglée LDH et agissent dans le cadre d’une mission générale d’observation des pratiques policières. Et ce à l’instar d’autres organisations, comme Amnesty International par exemple.
L’assesseur n’insiste pas, le procureur essaie ensuite, en vain, de la mettre en contradiction, et vient alors le tour du témoin cité par la défense, une jeune femme, Mlle O… Celle-ci était aux premières loges puisqu’elle habite au 2° étage d’un immeuble situé juste en face de la préfecture et avait une vue plongeante sur l’interpellation de Camille HALUT comme elle l’explique au tribunal. Elle a vu un membre des forces de l’ordre s’avancer soudainement vers une jeune femme isolée portant un casque, dont elle a su qu’elle se prénommait Camille après avoir entendu ses amis crier « ils ont arrêté Camille ! » juste après son interpellation où elle l’a vu sursauter et reculer légèrement avant de se laisser emmener calmement. Lorsqu’elle dit avoir été « choquée » par cette scène et qu’elle l’a ressentie comme « violente », elle se fait reprendre par l’un des assesseurs, puis par le procureur plus agressif, sur la raison d’être choquée alors qu’il n’y a pas eu de violence lors de l’interpellation. Pour elle c’était disproportionné et elle l’a ressentie comme violent. Sarcastique, le procureur s’interroge sur sa « vision de la violence ». Elle ne se laisse pas démonter pour autant et en termine en rappelant que, vu son angle de vue, elle n’a pu apercevoir le visage de « Camille » mais cette dernière tenait des deux mains son appareil photo à mi-hauteur comme si elle filmait. Ce qui rend implicitement impossible l’affirmation initiale du commissaire prétendant que la prévenue avait son masque de protection sur le visage et l’aurait enlevé en le voyant se diriger vers elle. Mais peu importe désormais puisqu’il a fini par reconnaître sur l’audience qu’elle n’avait pas le masque sur son visage.
Ne restent plus alors qu’à examiner rapidement les deux derniers chefs de prévention, à savoir le refus de signalétique et le refus de prélèvement ADN. Camille HALUT tente un « ni oui ni non ». Elle explique que lors de sa garde à vue le 22 septembre au matin, un policier lui demande si elle accepte de se soumettre à un prélèvement ADN, sans préciser autre chose, et elle se contente de ne pas répondre, ce qu’il va considérer, lui, comme un refus. L’OPJ chargé de l’enquête revient ensuite à la charge et elle lui répond qu’elle ne sait pas. Sur l’audience, elle évoque un quiproquo avec le refus de signalétique. Ce « pas de deux » agace un peu le tribunal mais il s’avère qu’elle a fait bien antérieurement l’objet d’une demande de prélèvement ADN qu’elle a acceptée entraînant son inscription au FNAEG, rendant ainsi l’actuelle demande sans objet en pratique. Et pour le refus de signalétique, il ne figure pas dans la poursuite initiale, ce qui laisse entendre que le parquet n’y attachait alors pas grande importance, et ce n’est qu’à la veille de l’audience qu’il va la faire citer à ce sujet, sentant sa position fragile sur le refus ADN.
L’observation, un acte citoyen nécessaire
Vient enfin le temps, après plus de deux heures trente de débats intenses, du réquisitoire du procureur et des plaidoiries des deux avocats.
Rude tâche pour le procureur vu que le contenu des PV qui ont entraîné les poursuites a volé en éclats à l’audience au vu des vidéos, du témoin et de l’audition même du commissaire BUIL qui n’a pas arrêté de se contredire. Pour la dissimulation du visage, il essaie une diversion juridique sur le « flou » d’après lui du texte de loi qui la définit, s’essaye à un semblant de cohérence entre le PV et les déclarations du commissaire à l’audience, réfutant toute « machination », mais finit par lâcher la poursuite de ce chef devant l’évidence, pour concentrer son tir sur la rebellion. « Quand bien même l’on pourrait subir une interpellation injustifiée, que fait-on dans ce cas-là ? On peut intervenir auprès du parquet. » Sourires ironiques dans la salle. Avant de poursuivre : « Là on a une attitude de rebellion, avec une volonté de filmer de façon ostentatoire ». Il n’en démord pas, maintient la « réalité des violences au vu de la concordance des assertions de BUIL et GAUBEL », concédant simplement qu’il ne retient qu’un seul coup de pied mais il y en a bien eu un. La rebellion est donc avérée. Il est plus flou sur le refus de relevé d’empreintes ADN, maintient par contre le refus de signalétique, pour finir par requérir une simple amende de 2 000 euros, sans demander, grand seigneur, une peine complémentaire d’interdiction de manifester. Une impression d’être « en service commandé » : il faut sauver le soldat Police, mais la légèreté de la peine requise fait comprendre qu’il se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère et qu’il s’en serait bien passé !
Pour la défense, Me TUBIANA, par ailleurs président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, dégaine le premier. Il revient sur la présence des observateurs lors des manifestations en expliquant qu’il s’agit d’un acte citoyen nécessaire pour veiller au bon fonctionnement de la démocratie et des libertés. Les forces de l’ordre ont le monopole de la violence légale mais n’ont pas le droit d’outrepasser leurs droits. « Si la justice peut être observée comme c’est le cas devant ce tribunal, alors la police doit pouvoir l’être aussi. » Depuis le mouvement des gilets jaunes il y a un an, on en est quand même à trente mutilés ! » Il reprend toutes les incohérences apparues au cours de l’audience : le casque, d’abord rouge puis gris, le visage, d’abord masqué puis découvert, la résistance d’abord violente avec plusieurs coups de pied puis un seul coup de pied involontaire. Tout s’effondre comme un château de cartes : « Le commissaire BUIL essaie de se retrancher derrière le parquet : ‘ Je l’arrête parce que le procureur doit vérifier’ ; alors que le parquet n’a rien demandé. La vérité, c’est qu’il reconnait Camille HALUT alors qu’elle est en train de filmer son opération policière et il ne le supporte pas. Elle dérange. Ne serait-ce pas une tentative d’intimidation policière ? » fait mine de s’interroger l’avocat. Il rappelle au tribunal qu’il s’agit du deuxième procès intenté à Camille HALUT qui a tout de même passé presque soixante heures en garde à vue suite à ses missions d’observation On a ici affaire à une arrestation sans motif légal qu’on va ensuite tenter d’habiller pour la faire tenir debout juridiquement, avec le résultat que l’on sait. « La justice doit tenir compte que le parquet suit une enquête bâclée, et donc nuit à la crédibilité de la justice et de la police. » Quoiqu’il en soit, le doute doit profiter au prévenu et il convient donc de prononcer une relaxe totale.
Alain OTTAN enfin apporte le point d’orgue. Après avoir rappelé aux juges qu’ils sont « les gardiens de nos libertés », il attaque d’emblée : « Camille HALUT peut exaspérer. Sa manie de répéter comme un leitmotiv est excessive, agaçante, mais sa fonction d’observatrice, c’est de mettre son nez dans l’institution régalienne des forces de l’ordre. Est-ce incongru en démocratie ? Ce regard extérieur sur le fonctionnement de cette institution est indispensable, c’est la transparence vis-à-vis de la société civile. Avons-nous besoin ou pas d’une presse indépendante ? d’une Ligue des Droits de l’Homme pour pointer les dérives de l’Etat ? La patronne de l’IGPN refuse de reconnaître les violences des forces de l’ordre. Alors qu’il y a de multiples blessés, aucune poursuite… C’est la mission de la LDH d’être présente. Le parquet veut à tout prix faire condamner Camille HALUT pour sauver la face .. Aucun élément moral, aucun indice grave et concordant. C’est la crédibilité de la justice qui est en jeu. » Il en termine en mettant en garde cette dernière du risque de son instrumentalisation par la police, en demandant en conséquence l’abandon des poursuites et la restitution des scellés, à savoir tout le matériel confisqué arbitrairement.
La parole revient en dernier à Camille HALUT. « Tout a été dit par
mes avocats. J’ai fait cinquante-six heures de garde à vue. J’espère que
votre jugement fera jurisprudence. »
Cela fait 3h30 que l’audience a débuté. La tension retombe. Le tribunal
se donne du temps en renvoyant son délibéré au 16 janvier 2020 à 14h.
Le jour dit, le tribunal rend sa décision et le président prend la peine de la commenter.
Il souligne d’abord que sa juridiction a pris le temps d’examiner le
dossier, rappelant que l’audience a duré près de quatre heures, tout en
précisant que ce n’est malheureusement pas le cas pour tous les dossiers
à traiter.
Il rejette ensuite les motifs de nullité pour en venir au fond.
C’est une relaxe totale motivée ainsi :
Sur la dissimulation du visage, il indique que le commissaire divisionnaire qui accusait Camille HALUT l’a en réalité immédiatement reconnu, témoignant lui-même sur l’audience qu’elle ne dissimulait pas son visage, son masque étant en réalité autour de son cou. Elle était donc parfaitement identifiable et l’infraction n’est en conséquence pas caractérisée.
Sur la rebellion, il explique qu’il y a des contradictions trop grandes entre les déclarations des policiers et les vidéos produites à l’audience, et qu’en conséquence les faits ne sont pas établis.
Sur le refus d’empreintes et de signalétiques, il révèle qu’il y a eu des débats au sein de la formation du tribunal mais ils ont décidé finalement de ne pas la condamner au regard du fait qu’il s’agit d’une infraction annexe/accessoire aux deux infractions principales qui n’ont pas été retenues. Cette analyse renforce la jurisprudence qui souhaite battre en brèche la position des Parquets, tenants de l’autonomie des poursuites en matière de refus de prélèvement ADN par rapport au délit, ou aux indices graves et concordants de délit, principal alors qu’il s’agit d’un détournement de la loi.
Belle victoire à l’arrivée au bénéfice du bien-fondé du droit d’observer les comportements des forces de l’ordre, la procédure ayant révélé les dérives de l’institution policière, de la base au sommet, par des pratiques sortant clairement des bases légales. Cette relaxe est aussi un hommage rendu à ces vidéastes et photographes qui prennent des risques, en étant victimes eux-mêmes parfois de violences policières et de poursuites devant les tribunaux, pour informer la société ; c’est en effet sur la base de deux de leurs vidéos, outre celle de Camille, que la relaxe est intervenue.
La qualité d’observateur pour les défenseurs des droits de l’Homme est reconnue par la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, adoptée à l’unanimité le 9 décembre 1998 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Et reprise en application de cette Déclaration par les Lignes Directrices relatives à la protection des défenseurs des droits de l’Homme du Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’Homme de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (BIDDH/OSCE) adoptées le 4 juin 2010 par la Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit, dite « Commission de Venise ».
Enfin la Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé le 14 avril 2009 (N,° 37374/05) que les observateurs assument le rôle de chien de garde social.
.
ON LACHE RIEN !
Jean-Jacques GANDINI 20 janvier 2020
https://lundi.am/Montepellier-Acharnement-policier-et-judiciaire-contre-une-observatrice-de-la
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