Alors que la crise écologique ne cesse d’empirer et que « le système social qui régit actuellement la société humaine, le capitalisme, s’arc-boute de manière aveugle contre les changements qu’il est indispensable d’opérer si l’on veut conserver à l’existence humaine sa dignité et sa promesse », Hervé Kempf dénonce « l’oligarchie prédatrice » qui maintient l’ordre établi à son avantage et compte sur la croissance matérielle pour faire accepter par les classes subordonnées, l’injustice des positions ».
Il dresse d’abord un clair état des lieux des différents dérèglements écologiques : sixième extinction de masse, réchauffement climatique, baisse de la biodiversité, pollution générale des écosystème, … « L’ « empreinte écologique » de nos sociétés, c’est-à-dire leur impact écologique, selon le concept forgé par l’expert suisse Mathis Wackernagel, dépasse la « biocapacité de la planète ». » Quant au développement durable, c’est surtout « une arme sémantique pour évacuer le mot « écologie » » et maintenir les profits. « L’entreprise « Économie mondiale » ne paie pas « l’amortissement de la biosphère », c’est-à-dire le coût de remplacement du capital naturel qu’elle utilise ». Il faut admettre que « crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre (…) mis en oeuvre par un système qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes ».
De la même façon, il brosse un tableau détaillé de la progression de la pauvreté et de la précarité dans le monde, concomitante de l’augmentation des inégalités. Ceux qui en sont victimes sont également plus directement touchés par la crise écologique. Dans le même temps les revenus et le patrimoine de l’oligarchie n’ont cessé de croître de façon pernicieuse. Un exemple parmi d’autres : tandis que la rémunération des dividendes a augmenté de 52% en France, entre 1995 et 2005, le salaire médian progressait de 7,8%, soit sept fois moins. « Dans les pays pauvres, la caste s’est constituée aux sommets de l’État en lien avec celle des pays occidentaux : les classes dirigeantes locales ont négocié leur participation à la prédation planétaire par leur capacité à rendre accessibles les ressources naturelles aux firmes multinationales ou à assurer l’ordre social. Dans les pays de l’ex-Union soviétique, une oligarchie financière s’est formée à côté des structures étatiques par l’appropriation des dépouilles de l’État. » Les fortunes de l’oligarchie mondiale sont protégées dans les paradis fiscaux, utile moyen de pression pour suggérer aux États d’abaisser la fiscalité sur les riches ». Cette classe opulente, qui vit séparée de la société à la manière d’une aristocratie, se reproduit sui generis par transmission du patrimoine, des privilèges et des réseaux de pouvoir. « Aujourd’hui, après avoir triomphé du soviétisme, l’idéologie capitaliste ne sait plus que s’autocélébrer. Toutes les sphères de pouvoir et d’influence sont avalées par son pseudo-réalisme, qui prétend que toute alternative est impossible et que la seule fin à poursuivre pour infléchir la fatalité de l’injustice, c’est d’accroître toujours plus la richesse. Ce prétendu réalisme n’est pas seulement sinistre, il est aveugle. Aveugle à la puissance explosive de l’injustice manifeste. Et aveugle à l’empoisonnement de la biosphère que provoque l’accroissement de la richesse matérielle, empoisonnement qui signifie dégradation des conditions de vie humaine et dilapidation des chances des générations à venir. »
Le chapitre le plus intéressant de cet ouvrage est certainement celui qui expose la Théorie de la classe de loisir de
Thorstein Veblen (1857-1929). Selon lui, la « tendance à rivaliser »
est le principe qui domine l’économie. Le niveau de production
nécessaire à satisfaire les besoins concrets de l’existence est assez
aisément atteint, mais un surcroît de production est suscité par le
désir d’étaler ses richesses afin de se distinguer d’autrui,
d’ « exhiber une prospérité supérieure à celle de ses pairs »,
nourrissant « une consommation ostentatoire et un gaspillage
généralisé ». La classe la plus haut placée, celle qui possède richesse
et loisir, détermine, par son train de vie, le mode de vie de la société
toute entière.
La caste des hyper-riches, qui compte quelques
dizaines de milliers de personnes, et la « nomenklatura capitaliste »,
classe opulente qui l’entoure, constituent l’oligarchie. En imposant son
modèle de consommation, celle-ci est directement responsable de la
crise écologique. Pour échapper à sa remise en cause, elle rabâche
l’idéologie dominante selon laquelle la croissance de la production
serait l’unique moyen de lutter contre le chômage et la pauvreté, sans
bien sûr modifier la distribution de la richesse. La croissance est
devenue le grand tabou, l’angle mort de la pensée contemporaine « parce
que la poursuite de la croissante matérielle est pour l’oligarchie le
seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans
remettre en cause celles-ci. La croissance crée en effet un surplus de
richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier
la structure ».
Hervé Kempf dénonce et documente les offensives
contre la démocratie et les libertés publiques depuis les années 1990,
« avec le triomphe d’un capitalisme libéré de la pression de son ennemi,
le soviétisme » et surtout après les attentats du 11 septembre 2001 au
nom de la lutte contre le terrorisme. La « guerre contre les pauvres »,
sous couvert de lutte contre la délinquance et l’insécurité, est un
autre épouvantail agité au lieu d’une prise en charge politique de
l’inégalité sociale. La contestation sociale est de plus en plus
criminalisée et la surveillance généralisée sans que les médias, bien
souvent, ne le dénoncent. « La démocratie devient antinomique avec les
buts recherchés par l’oligarchie : elle favorise la contestation des
privilèges indus, elle alimente la remise en cause des pouvoirs
illégitimes, elle pousse à l’examen rationnel des décisions. Elle est
donc de plus en plus dangereuse, dans une période où les dérives
nuisibles du capitalisme deviennent plus manifestes. »
En conclusion, Hervé Kempf
propose une stratégie pour imposer des mesures concrètes : diviser
l’oligarchie pour qu’une partie prenne fait et cause pour les libertés
publiques et le bien commun, compter sur des journalistes attachés à
l’idéal de la liberté et une gauche renaissante qui unirait les causes
de l’inégalité et de l’écologie, pourrait permettre d’imposer une
fiscalité pesant davantage sur la pollution et sur le capital que sur le
travail, un transfert des richesse de l’oligarchie vers les services
publiques, la recherche de l’efficacité énergétique, l’instauration d’un
RMA (Revenu Maximal Admissible),…
La charge est puissante et ne se contente pas d’effleurer les responsabilités ni les responsables. Certes les chiffres, datant d’avant 2007, mériteraient d’être actualisés mais nul doute que toutes les tendances mises en lumières demeurent et même se soient encore accentuées. Ce recul permet justement de confirmer la justesse des logiques dénoncées puisqu’elles sont encore à l’oeuvre aujourd’hui et de façon beaucoup plus visibles. La méthodologie proposée mériterait un approfondissement d’autant que l’on ne peut que constater que rien ni personne n’a réussi à imposer un changement de cap.
COMMENT LES RICHES DÉTRUISENT LA PLANÈTE
Hervé Kempf
158 pages – 14 euros
Éditions du Seuil – Collection « L’Histoire immédiate » – Paris – Janvier 2007
148 pages – 6 euros
Éditions Points – Collection « Essais » – Paris – Janvier 2009
Du même auteur :
POUR SAUVER LE PLANÈTE, SORTEZ DU CAPITALISME
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