Le
22 avril 1988, avant-veille du premier tour de l’élection
présidentielle, quelques dizaines d’indépendantistes, emmenés par
Kahnyapa Dianou, Alphonse de son prénom français, investissent une
gendarmerie de l’atoll d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Joseph Andras
collecte les témoignages des proches d’Antoine et des principaux
témoins, pour comprendre qui il était, les livre avec ses analyses,
intercalés avec le récit de la prise d’otages, comme autant de pièces
d’un puzzle qui, petit à petit, va éclairer la personnalité de celui qui
fut qualifié de terroriste par la presse et les autorités.
Militant pacifiste,
il se réclamait de Gandhi et de l’Évangile dans un entretien donné en
juillet 1987. Tous, unanimement, le décrivent comme quelqu’un d’intègre,
qui se battait pour son peuple, n’était jamais en colère, ne criait pas
et aimait le dialogue. Dans une tribune publiée par le mensuel Non-violence Actualité, il défend sa vision de la non-violence. Catholique convaincu, ancien élève du Séminaire Pacific Theological College
à Suva, capitale des îles Fidji, « il souhaitait faire de sa foi un
moteur de la lutte politique », comme l’explique Roch Wamytan, l’ancien
président du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste.
Cependant,
fin août 1987, il subit la répression lors d’une manifestation
pacifiste. Des coups de matraques et deux nuits en prison ont
certainement marqué une rupture. Ses discours se font plus durs et il
est désormais persuadé que seules des actions fortes permettront de
faire plier le gouvernement. Le « martyre de Machoro » l’avait aussi
beaucoup marqué.
Au-delà de cette trame principale, ce récit
polyphonique permet de comprendre la société calénonienne, façonnée par
la colonisation, marquée à différents titre par les Communards déportés,
de comprendre notamment la communauté Kanak , dont la langue, le iaai,
ne connait pas la première personne du singulier : « On dit « nous ». Si
tu vas creuser un puits, même seul, c’est « nous », car il servira à
tous. »
Si ce qui s’est passé à Ouvéa a en quelque sorte permis la
signature des accords de Matignon le 26 juin 1988, l’amnistie générale
prononcée à cette occasion étouffa toute enquête et servit à couvrir les
exactions de l’armée. Les ravisseurs ne menaçaient pas la vie des
otages et une solution négociée aurait pu être trouvée. L’intervention
n’était pas réellement justifiée… si ce n’est pour permettre à Chirac de
tenter de combler son retard au second tour des élections
présidentielles. Les conditions du décès d’Alphonse Dianou et des
dix-huit autres, sont elles-aussi explorées et documentées. Des
opérations devaient être déclenchées par le FLNKS dans les autres îles,
mais celui-ci a fait faux bond.
Joseph Andras pare son enquête journalistique des attraits de la littérature. Avec patience, curiosité, une langue précise comme un scalpel, il livre un récit très personnel, un portrait respectueux et soucieux de justesse.
KANAKY
Sur les traces d’Alphonse Dianou
Joseph Andras
306 pages – 21 euros
Éditions Actes sud – Collection » Domaine français » – Arles – Septembre 2018
https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2020/01/kanaky-sur-les-traces-dalphonse-dianou.html#more
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