Lettre ouverte à l’attention de l’ambassadeur de Grande-Bretagne en France,
Paris, le 7 janvier 2020
Excellence, Monsieur l’ambassadeur,
la Fédération internationale pour les droits humains et son organisation membre en France la Ligue des droits de l’Homme souhaitent vous exprimer leur inquiétude sur le sort de M. Julian Assange, actuellement détenu en prison de haute sécurité de Belmarsh au Royaume-Uni.
Poursuivi par la justice des Etats-Unis pour avoir publié les War Diaries ayant fourni la preuve que le gouvernement américain avait trompé l’opinion publique au sujet de ses activités en Afghanistan et en Irak et qu’il y avait commis des actes relevant de la qualification de crimes de guerre, la justice de votre pays pourrait décider de son extradition vers les Etats-Unis où il risque des poursuites pénales en vertu de la loi américaine sur l’espionnage (Espionage Act), pour lesquelles il encourt jusqu’à 175 ans d’emprisonnement.
Cette inculpation s’inscrit en violation des obligations internationales du gouvernement américain relatives à la liberté d’information et constituent un précédent inquiétant s’agissant de la liberté de la presse et d’information, auxquelles le gouvernement britannique, historiquement mobilisé pour une presse libre et en faveur de la protection des lanceurs d’alertes ne peut rester insensible.
En outre et à la suite de cette première affaire, M. Assange a été détenu au Royaume-Uni puis libéré sous caution, à la suite d’enquêtes préliminaires ouvertes en 2010 par une procureure en Suède. Cette procureure n’a finalement pas porté d’accusations contre M. Assange et en 2017, après l’avoir interrogé à l’ambassade de l’Equateur à Londres, elle a mis fin à l’enquête et à l’affaire.
Pour autant et pendant cette période, M. Assange a été détenu et privé de liberté en violation des obligations internationales du Royaume-Uni relatives à la privation de liberté. Ceci a été reconnu par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA), lorsqu’il a déterminé[1] que M. Assange était arbitrairement détenu et privé de liberté, et a réclamé sa libération assortie du versement d’une indemnisation.
Depuis lors, M. Assange a été incarcéré le 11 avril et condamné le 1er mai dernier à 50 semaines d’emprisonnement, et détenu dans une prison de haute sécurité, à l’isolement jusqu’à 23 heures par jour, pour avoir enfreint aux règles de la libération sous caution qui lui avait été accordée.
Ce traitement est contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité prévus par les obligations relatives aux droits de l’Homme auxquelles est assujetti le Royaume-Uni. Ainsi, le 3 mai dernier, le même groupe de travail des Nations unies a dénoncé[2] d’une part une condamnation disproportionnée au regard du caractère mineur de l’infraction ; et d’autre part une détention dans des conditions « de haute sécurité » -réservées pour les condamnations pour une infraction pénale grave- violant les principes de nécessité et de proportionnalité devant encadrer la privation de liberté au regard du droit international. Dans ces conditions, le même groupe a demandé que le gouvernement britannique restaure la liberté de M. Assange.
Nonobstant, les autorités britanniques ont depuis lors maintenu M. Assange en détention, et ses conditions physiques et mentales se sont nettement dégradées, comme a pu le constater le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture M. Nils Melzer[3]. Au regard de l’urgence médicale et de la gravité des violations alléguées, le Rapporteur a demandé que des mesures d’enquête, de prévention ou de réparation soient immédiatement diligentées, comme requises par le droit international, lesquelles ont été rejetées catégoriquement par le gouvernement britannique.
Ce nouveau refus est particulièrement préoccupant par rapport à l’engagement du Royaume-Uni en faveur des droits de l’Homme et de l’Etat de droit.
Nous vous enjoignons donc d’exprimer auprès du gouvernement britannique notre profonde condamnation de cette situation, ainsi que de faire écho de notre appel à libérer M. Assange dans les plus brefs délais, de lui octroyer des réparations pour le dommage subi et de lui assurer sa protection personnelle dans les conditions qu’il souhaiterait.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente, nous restons à votre disposition pour vous rencontrer afin de vous présenter ces-dites préoccupations, et vous prions, Excellence, Monsieur l’ambassadeur d’agréer l’expression de nos sentiments respectueux.
Alice Mogwe,
Présidente de la FIDH
Malik Salemkour,
Président de la LDH
[1] Opinion du GTDA No. 54/2015 du 21 décembre 2018 concernant Julian Assange (Suède et Royaume Uni) A/HRC/WGAD/2015.
[2] Déclaration du GTDA du 3 mai 2019.
[3] Déclaration du Rapporteur Spécial des Nations unies sur la Torture du 1er novembre 2019.
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