Mouvement social
par Nolwenn Weiler 8 janvier 2020
Les métiers pénibles – travail de nuit, environnement bruyant… – concernent principalement les ouvriers, les employés et certains fonctionnaires. Si les points qu’ils pourront accumuler sont plafonnés, ce n’est pas le cas, en revanche, des contraintes qu’ils subissent.
La prise en compte de la pénibilité doit être l’« un des piliers de l’universalité », a promis le Premier ministre Édouard Philippe lors de son allocution du 19 décembre. La réalité de métiers usants, qui entraînent une diminution de l’espérance de vie, sera-t-elle mieux prise en compte avec la réforme, dans la fonction publique comme dans le secteur privé ? Celles et ceux qui exercent ces métiers difficiles bénéficieront-ils de possibilités de départ anticipé ? En France, l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de plus de six ans à celle d’un cadre. Et les 5% les plus riches vivent 13 ans de plus que les 5% les plus pauvres.
Dans la fonction publique, c’est le régime spécial « catégorie active » qui permet de bénéficier d’une retraite anticipée quand une personne exerce un métier reconnu « pénible », c’est à dire « présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles justifiant un départ anticipé à la retraite », comme le travail de nuit par exemple.
Personnels de soins, policiers, douaniers, surveillants de prison, ou encore agents de conduite SNCF ont le choix de partir à la retraite à taux plein à 57 ans, ou à 52 ans avec une décote. Si la réforme voulue par le gouvernement est adoptée, il n’y aura plus de régimes spéciaux. Terminée, donc, la « catégorie active », sauf pour les policiers et les gendarmes. Deux autres corps liés à la sécurité, les douaniers et les gardiens de prison, pourraient également être concernés par cette concession du gouvernement.
Pas de prise en compte des métiers à pénibilité multiple
Pour « compenser », Édouard Philippe a promis aux fonctionnaires de leur ouvrir l’accès au « compte professionnel de prévention », le C2P. Celui-ci est aujourd’hui réservé aux salariés du privé, et prévu pour accorder des départs en retraite anticipée à ceux et celles qui exercent des métiers usants. Mis en place sous François Hollande en 2016, le C2P listait initialement dix facteurs de risque qui permettent aux salariés exposés d’accumuler des points afin de partir plus tôt en retraite.Je lis, j’aime, je m’abonne
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Les dix critères de pénibilité fixés en 2016 : le port de charges lourdes, la présence d’agents chimiques, les vibrations, les postures douloureuses, le travail en 3×8, le travail de nuit (15 % des salariés travaillent au moins occasionnellement de nuit), le travail répétitif, un environnement bruyant (18 % des salariés concerné), des températures extrêmes, le travail en « milieu hyperbare », c’est-à-dire en eau profonde (plongeurs). |
Un premier retour en arrière a lieu en 2017, avec les fameuses ordonnances prises juste après l’élection d’Emmanuel Macron. Plusieurs critères de pénibilité sont tout bonnement supprimés : exit le port de charges lourdes (129 800 personnes concernées en 2016), les vibrations (46 100 personnes), les postures douloureuses (86 800 personnes) et la présence d’agents chimiques dangereux (43 400 personnes exposées). Ce qui met de côté près de 300 000 personnes en tout, principalement des ouvriers, travaillant dur mais se retrouvant exclues d’un départ anticipé en retraite.
Depuis 2017, seuls demeurent : le travail en équipes alternantes (3X8), le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en milieu bruyant ou à des températures extrêmes, ainsi que le travail en « milieu hyperbare ». |
Pour celles et ceux qui restent concernés par le système de prise en compte de la pénibilité, il revient à l’employeur de déclarer, chaque année, si un salarié est exposé à tel ou tel facteur. En cas d’exposition, un salarié acquiert quatre points par an, huit en cas d’exposition à deux facteurs ou plus. Si vous exercez par exemple un travail répétitif, en 3×8, sur des machines bruyantes, vous accumulerez huit points par an, et non douze. Or, un salarié sur trois subit au moins trois contraintes physiques, selon le service statistique du ministère du Travail (Dares). Ce sont, là encore, en majorité des ouvriers et des employés qui sont concernés. Le cumul de pénibilités multiples ne sera donc pas pris en compte.
Un « véritable droit à la reconversion » ?
Mais ce n’est pas tout. Le nombre total de points accumulés tout au long d’une carrière ne peut dépasser 100, soit l’équivalent de douze ans et demi de carrière si l’on est exposé à deux types de pénibilité ou plus. Si vous travaillez plus longtemps dans ces conditions, vous ne pourrez pas pour autant partir plus tôt ou bénéficier d’une meilleure pension. Il sera cependant possible de demander un temps partiel, ou de suivre une formation pour changer de métier. Bonne idée… À condition, toutefois, de ne pas être trop exigeant sur le projet de formation : le coût horaire pris en charge est plafonné à 12 euros de l’heure. Le « véritable droit à la reconversion », évoqué par le Premier ministre, se révèle donc bien faible.
Les 20 premiers points « pénibilité » sont, en théorie, réservés au financement de ce « véritable droit à la reconversion ». Mais dans les faits, ça dépend…. « Aucun point n’est réservé à la formation pour les salariés nés avant 1960 et seuls 10 points acquis sont réservés à la formation pour les salariés nés entre 1960 et 1962 inclus. » Et dire qu’on nous a promis un système plus lisible ! [1]
Comment masquer la pénibilité de certains métiers
Le nombre de salariés exposés aux critères de pénibilité choisis par le gouvernement est à prendre avec prudence, puisqu’il est basé sur les déclarations des employeurs. La réalité est probablement bien plus impressionnante. Si l’on prend les seuls agents chimiques dangereux : un peu plus de 40 000 personnes ont été déclarées exposées en 2016, alors qu’une vaste enquête réalisée en 2017 révélait que 10% des salariés – soit 1,8 millions de personnes – sont exposés à au moins un agent chimique cancérogène sur leur lieu de travail [2]… Est-ce la raison pour laquelle ce critère a été supprimé par les ordonnances Macron ?
« Depuis 2017 aucun chiffre officiel n’a été publié concernant le nombre de salariés inclus dans le nouveau dispositif au rabais », observe l’association Attac. Les résultats du dispositif initial étaient déjà très médiocre, juge l’association. « Sur 3,3 millions de « bénéficiaires » annoncés par la loi de 2013, seulement 900 000, moins d’un tiers, ont vu la pénibilité de leur travail reconnue et déclarée par leur employeur en 2016. »
En 2018, sur 600 00 départs à la retraite dans le régime général, 1500 salariés (soit 0,3% !) ont pu anticiper leur départ en retraite de un ou plusieurs trimestres grâce à leur compte pénibilité. Et selon un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de novembre 2017, cité par le mensuel Alternatives économiques, « le C2P permettrait, en 2060, à environ 18 000 assurés d’anticiper leur départ à la retraite, en moyenne de trois trimestres ».
Un chiffre ridicule au vu du nombre de salariés concernés. Le travail répétitif, qui figure parmi les critères du gouvernement, concerne à lui seul plus de 2,5 millions de personnes selon le ministère du Travail. Et l’exposition à au moins un produit cancérogène, risque qui n’est plus reconnu depuis les ordonnances Macron, concerne 1,8 million d’employés. « Moi je n’adore pas le mot de « pénibilité », parce que ça donne le sentiment que le travail c’est pénible », avait déclaré Emmanuel Macron le 3 octobre 2019 lors d’une « concertation » à Rodez. Avec la réforme des retraites, cette pénibilité est rendue encore plus invisible.
Nolwenn Weiler
En photo : pendant la mobilisation du 17 décembre à Paris / © Anne Paq
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Notes
[1] Source : caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav).
[2] Il s’agit de l’enquête Sumer, voir ici.
http://Réforme des retraites : la pénibilité du travail reste très peu prise en compte
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