vendredi 30 septembre 2016, par admi2
TURQUIE, OU VA LE PRÉSIDENT ERDOGAN.
Lors des « printemps arabes », la Turquie était une référence. L’AKP et son président : Recep Tayyip Erdogan représentaient le modèle étatique où coexistaient, islam modéré et démocratie, élections libres et expression populaire. Bien souvent les kurdes étaient oubliés dans cette louange. Le chaos syrien, engendré par les interventions impérialistes enlisées depuis 2011 contre Bachar Al Assad, puis après « un virage » contre l’EI et Daech, ont eu des effets désastreux sur l’économie : baisse du tourisme, afflux de plus de trois millions de réfugiés … puis sur la politique intérieure turque : autoritarisme présidentiel, reprise des combats contre les kurdes…
Étonnant coup d’état !
On pourrait facilement se laisser aller à dire que les coups d’état militaires font partie de la culture politique turque. Concernant le putsch avorté du 15 juillet peut-on le considérer comme un de plus, animé par une minorité de militaires ? Devançaient-ils, par cette tentative les purges qui allaient s’opérer au sein de l’armée ? Washington et la CIA étaient-ils au courant et ont-ils laisser agir comme avertissement au président turc ? Ce serait les renseignements russes qui auraient averti Erdogan du putsch à venir. Aussitôt, le président imputera le coup d’état à son rival Fethulla Gülen, leader du mouvement « Hizmet »(1), son ancien compagnon d’ascension au pouvoir suprême, exilé aux USA depuis 1999. Accusation, illico réfutée par ce dernier. Les putschistes aussitôt défaits, avec un bilan de 265 morts, 1500 blessés… le président rescapé, en appellera au peuple et à la défense de la démocratie. Comme dans tout mouvement suscité, les rues se remplissent, certes, mais surtout de partisans du chef de l’état, de sympathisants et militants de son parti : l’AKP. C’est ce peuple qui occupera les rues et les places. Ce sont ces manifestants qui réclameront la peine de mort contre les putschistes et leurs alliés aux cris « d’Allah ou Akbar ». Ce putsch, annoncé et défait, permet au président d’en tirer profit : se débarrasser de ses opposants et achever sa conquête vers un pouvoir totalitaire. Dès le lendemain du coup d’état, il en profite pour étouffer les lieux d’informations. Il procède à des purges massives dans l’armée, la police et la gendarmerie évidemment, mais aussi dans la justice, l’enseignement, la santé et toute la bureaucratie qui anime le pouvoir d’état. Il suffira « d’être suspecté d’appartenir » au mouvement güleniste pour être suspendu, arrêté, gardé à vue ou accusé de complicité avec les putschistes. Ce 15 juillet a permis au président turc de se débarrasser de rivaux « gülénistes » très nombreux et occupant des responsabilités dans tous les rouages de l’état. L’épuration sera de grande ampleur : plus de 50 000 personnes soupçonnées. D’ailleurs, le pouvoir avait fait libéré plus de 30 000 prisonniers pour petits délits, pour pouvoir interner ses opposants. Il va de soi que cette répression s’étendra aux opposants de « gauche » et surtout aux Kurdes (voir encart). Cette purge préparée, n’était que le règlement de compte entre les deux clans rivaux d’une bourgeoisie qui s’était partagé les postes politiques, administratifs et bureaucratiques lors de la marche d’Erdogan et de l’AKP vers le pouvoir. Il est vrai que les revers de la politique d’Erdogan ne suscitait plus la ferveur populaire qui l’avait porté au pouvoir. Et les milieux d’affaires s’inquiétaient de la politique d’isolement économique menée par le président.
Gazientep
En Syrie, depuis 2011, des millions, en dollars et armes alimentent les différentes factions et bandes islamistes dont Al Nosra (ex al QuaÏda) et Daesh. Milices qui au gré de leurs intérêts de leur rapports de force ou de leurs commanditaires se combattaient ou s’alliaient. Soutiens financiers dont bénéficieront les combattant-es kurdes syriens des YPG et YPJ. (2)
De la révolution démocratique contre le régime sanguinaire baasiste de Bachar al Assad, il ne subsistent que ruines et barbarie entrainant entre 260 000 et 400 000 morts et disparus aujourd’hui. Un bilan au chiffres invérifiables dans ce bourbier. A ce décompte macabre, il faut ajouter plus de 10 millions de déplacés ou réfugiés dont 3 millions en Turquie. Des réfugiés dont le président Erdogan a su tirer profit. Ankara a négocié avec les gouvernements européens, en millions d’euros, le contrôle des réfugiés en partance vers la Grèce et conserve la bienveillance européenne sur ses agissements répressifs. Par ailleurs, dans les camps au sud, le long de la frontière turco-syrienne, il entrainera, armera ceux qui deviendront ses obligés et iront grossir différentes milices, supplétifs qui combattront les YPG et YPJ Kurdes.
Après l’étouffement du printemps syrien, en 2011, les américains et leurs alliés occidentaux, dont la Turquie, envisageaient la chute du président syrien à brève échéance. Dans ce but, chacun à sa façon alimentait en dollars et armement la rébellion anti Assad et peu importait le drapeau hissé par ces milices. Les Occidentaux soutenaient les forces démocratiques, nous disait elles. Les puissances locales Arabie Saoudite, Qatar… finançaient tout ce qui pouvait affaiblir le président syrien et son souteneur local : l’Iran chiite. Si tous dénonçaient l’expansion de l’EI et les agissements de ses djihaddistes envers les populations asservies, chacun fermaient les yeux et acceptaient d’autres agissements. Ainsi Ankara, s’accommodait des différents trafics de Daesh : pétrole, coton, œuvres d’art etc, et sa frontière ouverte, était le point de passage des multiples volontaires allant au djihâd, grossir les rangs de Daesh. Dans cette guerre qui se voulait à brève échéance, la Turquie, membre de l’OTAN, s’aligna sur les positions du parrain américain. Son engagement auprès des alliés, l’amena à abattre un avion Russe en novembre 2015 occasionnant une rupture des relations diplomatiques. Or le conflit syrien où s’affrontent les impérialismes américain flanqué des européens contre les russes perdure, avec B. al Assad toujours au pouvoir. Comme le déclarait en 2011 Erdogan : « La situation syrienne est devenue une affaire intérieure turque ». En effet, le marché syrien qui représentait plusieurs milliards de dollars s’est réduit. Les contrats et les affaires suite au boycott russe ont chuté et s’est installé une perte de confiance envers les « marchés » turcs. Le conflit syrien loin d’avoir renforcé la puissance politique et économique de son voisin turc, l’a affaibli. Dans ce contexte, à la surprise de ses alliés, dont la Turquie, Washington décrète que l’objectif n’est plus la destitution de B. al Assad mais l’ennemi commun : Daech. En effet, parmi les milices et groupes, Daech venu d’Irak a pris son essor. Sous le nom d’Etat Islamique (EI.) il établit un Califat qui menace Bagdad et l’Irak à court terme, et exporte sa guerre et attentats partout dans le monde. Daech et sa barbarie terroriste est devenue la préoccupation première, en même temps que l’alibi interventionniste, des puissances impériales. En France, malgré les déclarations jusqu’au-boutistes de notre ministre des affaires étrangères de l’époque, L. Fabius avalera « le virage américain », après que F. Hollande eut annoncé, trois jours après les attentats meurtriers de Paris le 13 novembre 2015 : « Notre ennemi en Syrie c’est Daesh ». Isolée et sans poids, la Turquie va à son tour réorienter sa politique et sous la pression des milieux d’affaires, va renouer avec la Russie. Lors d’une visite à Moscou, en juin 2016, Erdogan présentera ses excuses à Poutine pour avoir abattu l’avion russe. Autre réconciliation d’Ankara, plus discrète en juin dernier avec Israël. Leurs relations étaient gelée depuis 2010 suite à l’assaut de la marine israélienne contre le « Mavi Marmara » le navire turc d’une flottille pour Gaza faisant 8 morts.
Cette nouvelle politique du « tous » contre Daech voit se rétrécir les mailles de la frontière turque jusque là bienveillante envers l’EI. C’est ainsi qu’après les autres attentats meurtriers d’Ankara (plus de 100 morts) en 2015 et celui d’Istanbul en mars 2016 (plus de 45 morts), le 20 Août, un Kamikaze de Daech se faisait exploser dans un mariage kurde faisant 54 morts. Une riposte de représailles contre les kurdes et les combattants des YPG qui venaient de reprendre et libérer Manbij de L’EI. Mais aussi message d’avertissement contre le gouvernement turc.
Quand l’armée turque franchit la frontière.
Se saisissant de ce nouvel attentat et sans tergiverser Erdogan désigne Daech comme coupable. Le 24 août, appuyée de blindés et d’avions F16, l’armée turque franchit la frontière et pénètre en Syrie. Officiellement, Ankara pourchasse les membres de l’État Islamique auteurs de multiples attentats sur le sol turc, faisant oublier sa bienveillance passée envers cette organisation. Notons que ce même 24 août, le vice président américain était à Ankara. Il serait donc surprenant qu’une telle expédition n’ait pu avoir lieu sans en informer Washington ni sans en avertir au préalable Moscou ! Même si l’obligé et protégé de Poutine, le président syrien, a aussitôt dénoncé cette violation du droit international et de ses frontières. Dans cette effervescence guerrière, aux alliances précaires, où s’affrontent les deux super puissances en veillant chacune à ses propres intérêts politico-économiques, il n’est pas exclu que les caïds locaux soient tentés de pousser leurs pions pour en tirer des avantages. Saisissant l’opportunité de cette apparente unité du « tous contre les terroristes de l’EI. », le président turc poursuit l’autre objectif qui est de détruire l’inacceptable réalité d’une entité autonome Kurde (syrienne) le long de sa frontière.
Daesh sans doute mais les Kurdes d’abord.
Si Ben Ali, puis H. Moubarak ont été sorti du pouvoir, si Kadafi a été liquidé, les occidentaux et leurs supplétifs, enlisés en Syrie, ont subi un revers, depuis cinq ans. Le dictateur syrien est toujours en place, plus que jamais soutenu par Poutine, l’Iran et autres bandes armées. Même si l’objectif de virer B. al Assad persiste, l’exportation de la guerre par Daech sur les sols des impérialistes (attentats à Paris, Bruxelles, Ankara etc.) l’essor et le désir de l’EI d’étendre son califat, ont modifié le cours des choses. Désignée comme « le » danger, l’EI. et son califat expansionniste menace les intérêts économiques, politiques et stratégiques des uns et des autres. D’où « l’alliance » des « Parains » : occidentaux-Poutine pour un partage du ciel aérien syrien et irakien, d’où, cette « coalition » de terrain contre Daesh, où les Kurdes YPG de Syrie, adoubés par Washington, démontreront rapidement leur capacité, non seulement à combattre et à faire reculer les djihadistes de l’EI, mais aussi à développer dans les zones libérés et autonomes, leur projet d’un fédéralisme politique.
C’est quatre jours après l’attentat de Gaziantep, en garant de « l’unité nationale », qu’Erdogan engage l’armée à passer la frontière turco-syrienne, le président turc réactive le nationalisme turc et remet en valeur l’armée (reprise en main après le putsch avorté). Or, quoi de plus pratique que d’agiter le spectre du terrorisme kurde du PKK ( Parti des travailleurs du Kurdistan) éternel bouc émissaire désigné d’Ankara. PKK très influent chez les Kurdes de Turquie mais aussi parmi les combattant(e)s kurdes syrien(ne)s et leur parti le PYD(3). Après avoir entamé un processus de paix avec le leader du PKK : A.Occalan toujours détenu sur l’île prison d’Imrali depuis 1999, Erdogan, pour les besoins de sa réélection en 2015 et pour conforter son pouvoir, n’a pas hésité au nom de l’unité de la nation et de la lutte anti terroriste, à rompre ce processus de paix et une fois de plus, à pourchasser et massacrer les kurdes de Turquie. Or, dans le bourbier syrien, les kurdes syriens, proches du PKK, sont devenus sur le terrain un atout américain important contre Daesh, capables de battre et faire reculer l’EI. Dans le même temps, le PYD initie un projet politique de fédéralisme-démocratique sur les territoires libérés tout le long de la frontière turco-syrienne. C’est, cette entité territoriale autonome Kurde et sa dynamique politico-sociale qui est inacceptable pour Ankara. Or, sur les 820 kilomètres de frontière seules 60 à 80 kilomètres restaient à conquérir pour fermer cette frontière, la rendre étanche, couper les ravitaillements et passages de combattants alimentant l’EI. Erdogan et les nationalistes turcs, prétextant le terrorisme en Turquie, ont précipité l’armée vers Jarablos, bloquant de fait la jonction entre les zones kurdes de l’Est et l’Ouest. Plus que de poursuivre Daesh, Ankara négociera comme avec les « rebelles » turkmènes et aidera ses milices à pourchasser et massacrer les Kurdes localement. Par cette opération « Bouclier de l’Euphrate » Erdogan avance ses propres pions. Pour autant s’émancipe-t-il des occidentaux ou prépare-t-il une prochaine et durable incursion en Syrie pour le compte de son protecteur américain ? Dont le vice président US a déclaré : « Nous croyons fermement que la frontière turque devrait être contrôlée par la Turquie… Nous soutenons fermement ce que l’armée turque a fait, nous lui avons fourni la couverture aérienne . »
Revers américain contre les combattants des YPG et les FDS (Forces démocratiques Syriennes) ? Washington aurait-elle lâchée les Kurdes syriens : leur mandataires les plus sûrs sur le terrain ? Cela ne serait pas une première dans la région. Rappelons que lors d’une précédente intervention en Irak en 2003 pour renverser S. Hussein, les USA avaient alors appelé les Kurdes et chiites irakiens à se soulever contre leur dictateur. Une fois l’insurrection entamée, le boucher de Bagdad put allègrement les massacrer sans un geste de GW Bush. Et, si les Russes observent et se réjouissent de toute prise de distance des turcs avec la politique des Occidentaux en Syrie, ils n’en restent pas moins circonspects, par la voix de leur ministre des affaires étrangères : « Nous demandons à Ankara d’éviter de prendre toute mesure qui pourrait déstabiliser davantage la situation en Syrie ».
On retrouve bien là, à ce « diner de cons » le cynisme des bourgeoisies impérialistes qui dévorent les peuples : Kurde, turc ou syrien etc aux gré de leurs sordides intérêts. Des menées sauvages et barbares imposées aux noms d’anti terrorisme, droit de l’homme etc…qui masquent leurs hypocrites arrières pensées.
MZ 30 08 2016.
Notes
1/ Hizmet : le/ au « Service » ; Mouvement islamo-conservateur dit modéré. Il s’est développé dans les années 90 par des réseaux d’assos multiples pénétrant tous les secteurs de l’Etat ou de la bureaucratie. Déclarée terroriste par les autorités turques.
2/ YPG unités protection du peuple et YPJ unités féminines de protection. Bras armé dépendant du PYD le Parti de l’Union Démocratique kurde.
3/ PYD Parti de l’Union Démocratique Kurde, revendique le contrôle du Kurdistan syrien, devenu le Rojava, entité fédérale en 2016. Dans ses avancées territoriales créera une Coalition FDS : Forces Démocratiques Syriennes qui réunit différentes forces de résistances locales.
Encart
Erdogan réussit à faire passer une loi en mai 2016 qui levait l’immunité parlementaire aux élus kurdes du HPD (Parti démocrate des peules). Ainsi les 58 députés élus en novembre 2015 se retrouvèrent devant les tribunaux. Voici peu la purge a de nouveau frappée le HDP : 28 maires (et leur administrations) ont été virés. 24 accusés de terrorisme et d’être proches du PKK et 4 autres d’être gulénistes. La moitié était déjà en prison avant le putsch avorté. Évidemment ils ont été remplacés par des membres ou proches de L’AKP.
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