09 déc. 2025

Après les révélations de Disclose, en octobre, sur l’envoi en Israël de pièces détachées pour des drones, le ministère des armées a ordonné l’arrêt des exportations de Sermat, l’entreprise française mise en cause. Une réaction tardive qui interroge sur la réalité des contrôles effectués par le gouvernement et confirme le risque d’utilisation de ce matériel par l’armée d’un pays accusé de génocide.
Les autorités ont fini par réagir. Selon nos informations, deux agents des douanes ont débarqué par surprise au siège de l’entreprise Sermat, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 21 octobre dernier. Motif de l’inspection : les contrats passés entre la société française et l’un des ses importants clients, l’industriel de l’armement israélien Elbit Systems. La dernière livraison en date devait décoller de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle le 20 octobre, mais elle a été bloquée aux douanes. Il s’agissait de huit générateurs électriques, qui ont été « saisis et seront probablement détruits », confirme à Disclose Franck Neuvessel, le directeur général de Sermat.
Comme Disclose l’a révélé quatre jours avant cette visite inopinée, Sermat fournit à Elbit Systems des composants mécaniques pour des drones. Sur les deux dernières années, la société française lui a ainsi vendu plusieurs dizaines d’alternateurs pour équiper ses Hermes 900, un modèle d’aéronef massivement déployé par l’armée de Benyamin Nétanyahou depuis l’invasion de la bande de Gaza, en octobre 2023. La PME française a également expédié des moteurs électriques servant à « la stabilisation et [au] contrôle précis » de plusieurs modèles de drones, dont le Hermes 900 et le Hermes 450. Ce dernier a notamment servi dans une frappe aérienne qui a tué sept membres de l’ONG humanitaire World Central Kitchen, le 1er avril 2024.
En plus de la visite des douanes, Franck Neuvessel a également été convoqué au ministère des armées. Il s’est vu notifier par la direction générale de l’armement (DGA) l’interdiction de livrer en Israël un quelconque composant sorti de ses usines. « Tout est arrêté », en raison du risque d’utilisation à Gaza, reconnaît le patron de Sermat.
Il a donc fallu attendre la publication de notre enquête pour que le gouvernement se mette en mouvement. En décidant de stopper l’expédition d’un colis et d’interrompre tous les contrats de Sermat avec Elbit Systems ou tout autre société israélienne, les services de l’État valident les conclusions de Disclose : il existe un risque important pour que les pièces exportées servent dans des bombardements qui ont déjà tué ou blessé plus de 50 000 enfants palestiniens depuis octobre 2023.
Comment expliquer que le gouvernement n’a pas agi plus tôt, alors que Sébastien Lecornu, l’ancien ministre des armées devenu premier ministre, clame depuis des mois qu’il « n’y a pas d’armes vendues à Israël » ? Les autorités ont-elles fermé les yeux ? Ou l’entreprise a-t-elle exporté son matériel sans demander d’autorisation ? Sollicité, le ministère de l’économie n’a pas répondu. Pas plus que les douanes et la direction de Sermat.
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Le seul élément d’explication connu remonte à 2012. À l’époque, l’entreprise a, d’après notre enquête, obtenu des services de Bercy que des actionneurs livrés à Elbit Systems ne soient pas classés comme des biens à double usage (BDU). Une aubaine : les BDU nécessitent une licence d’exportation spécifique, réévaluée régulièrement, car ce sont des composants qui peuvent servir à un usage civil comme militaire. À l’instar des moteurs électriques exportés en Israël par Sermat. D’après les déclarations écrites de l’entreprise aux services de Bercy, ces pièces détachées étaient destinées à équiper des drones de surveillance israéliens non armés. Or, deux ans plus tard, en 2014, les mêmes drones appuyaient des opérations militaires en étant équipés de missiles. Sollicité pour savoir si le gouvernement a revu son jugement, Bercy n’a pas donné suite.
Défaillance criante du contrôle des exportations
L’affaire Sermat souligne une nouvelle fois l’opacité et la défaillance du contrôle démocratique des exportations d’armement vers Israël. Depuis trois ans, Disclose a dévoilé l’existence de quatre marchés passés entre des entreprises françaises et des fournisseurs de l’armée. Et ce, alors que la Cour internationale de justice alerte sur le risque de génocide du peuple palestinien depuis le 26 janvier 2024.
L’an dernier, le montant des transferts d’armes françaises à l’État hébreu s’est élevé à 16,1 millions d’euros. Dans son rapport au Parlement, le gouvernement assure que « ces licences font l’objet d’un encadrement spécifique ». Selon lui, il s’agirait exclusivement d’équipements servant la défense du pays ou destinés à être réexportés vers d’autres pays. La nature exacte du matériel militaire livré n’est en revanche jamais communiquée.
Un manque de transparence d’autant plus criant qu’une fois le matériel sur le sol israélien, les autorités françaises ne contrôlent pas l’usage qui en est fait. Et c’est encore pire dans le cas des biens à double usage, car il suffit le plus souvent d’une autorisation d’un seul service administratif du ministère de l’économie pour passer la frontière. En 2024, Bercy a autorisé l’exportation vers Israël de près de 76 millions d’euros de ces fameux BDU. Sans préciser, là encore, le type de matériel vendu et son utilisation supposée.
Enquête : Ariane Lavrilleux
Édition : Mathias Destal, Rémi Labed
Illustration de Une : Pénélope Blanchetête

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