
- TerKo
- 15 septembre 2025
- Boîte à outils d’antan, Communalisme, Ecologie sociale
Un outil d’émancipation à réactualiser en ces moments où les résistances à l’oppression se mobilisent à nouveau
L’histoire des luttes révolutionnaires ne se réduit pas aux grandes grèves, aux insurrections ou aux affrontements de rue. Elle se joue aussi dans les espaces plus discrets où se forge une culture commune, une intelligence collective, une capacité à s’auto-organiser : bibliothèques populaires, cercles ouvriers, maisons de quartier autogérées. Parmi ces expériences, les ateneos libertarios de l’Espagne du début du XXe siècle occupent une place singulière.
Une invention sociale et culturelle du mouvement ouvrier libertaire
Les ateneos libertarios (ateliers, centres culturels, bibliothèques et lieux de débats) naissent dans les années 1910-1930, au cœur des quartiers ouvriers de Barcelone, Madrid, Valence ou Séville. Ils sont à la fois :
- des lieux de formation : alphabétisation, cours du soir, hygiène et santé, conférences philosophiques, scientifiques ou politiques ;
- des espaces de sociabilité : poésie, théâtre, chorales, excursions, fêtes populaires ;
- des écoles de l’autogestion : chaque ateneo est dirigé par une assemblée de ses membres, sans hiérarchie, sur la base de la participation volontaire ;
- des laboratoires politiques : débats sur l’anarchisme, l’anarcho-syndicalisme, l’anticléricalisme, l’éducation rationaliste, l’urbanisme social préfigurant l´écologie sociale, l’émancipation des femmes (partiellement abordé, étant donné l’époque) et le communisme libertaire.
À la veille de la guerre civile de 1936, ces ateneos étaient devenus un véritable réseau de contre-sociétés populaires, capables de rivaliser avec l’Église, l’école d’État et la propagande patronale. Ils nourrissaient une bataille culturelle centrale : celle de l’autonomie des opprimés, la confiance en la capacité du peuple à penser et agir par lui-même pour un horizon d´émancipation : sortir du capitalisme.
« L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »
– Première Internationale, reprise par les anarcho-syndicalistes espagnols
Une dialectique entre culture et révolution
Les ateneos libertarios ne séparaient pas la lutte sociale de la culture. Au contraire, ils en faisaient les deux faces d’un même processus d’émancipation. Dans la dialectique révolutionnaire espagnole, la grève générale sans culture commune restait stérile ; la culture sans conflit social se dissolvait dans le folklore.
Là résidait leur puissance : avoir su unir le geste de se former et celui de s’organiser, le désir de savoir et celui de transformer le monde.
Pourquoi les réinventer aujourd’hui ?
En France, au moment où le mouvement du 10 septembre tente d’ouvrir une brèche dans le cours résigné de la politique institutionnelle, une question s’impose : comment transformer l’élan des mobilisations en force durable, enracinée, autonome ?
Les AG, les assemblées populaires, sont déjà des lieux de décision collective. Mais pour durer, elles doivent aussi devenir des espaces où l’on apprend, où l’on partage, où l’on construit une vision commune de ce qui pourrait être, au-delà de la simple défense immédiate.
Réactualiser l’idée des ateneos libertarios, c’est imaginer aujourd’hui des lieux :
- d’éducation populaire autogérée, ancrés dans les quartiers, villages et lieux de travail ;
- de solidarité concrète (entraide matérielle, mutualisation de savoir-faire, coopératives locales, etc. ) ;
- de création culturelle et artistique au service des luttes et de l´émancipation individuelle et collective ;
- de débat stratégique et de formation politique, dans une perspective d’écologie sociale et communaliste ;
- d’expérimentation de l’autonomie matérielle : ateliers d’auto-construction, production alimentaire locale, systèmes de soin autogérés, mobilités solidaires.
Une autonomie indissociablement matérielle et politique
L’esprit des ateneos nous rappelle une vérité fondamentale : il n’y a pas d’autonomie politique sans autonomie matérielle et inversement. Revendiquer le pouvoir de décider collectivement de nos vies suppose de réduire la dépendance vis-à-vis des institutions étatiques et des circuits marchands. Inversement, cultiver une autonomie matérielle – produire notre nourriture, réparer nos logements, inventer des modes de transport collectifs, mutualiser la santé – n’a de sens que si elle s’accompagne d’une autonomie politique, c’est-à-dire d’assemblées capables de débattre, décider et organiser.
C’est dans cette articulation que réside la force possible de nouveaux ateneos communalistes : lieux où l’on lie le quotidien (se nourrir, se loger, se soigner, se déplacer) à la lutte collective pour l’émancipation (débattre, décider, agir ensemble).
« La liberté sans communauté est une illusion ; la communauté sans liberté est une prison. »
– Murray Bookchin, Pour une société écologique
Une réinvention communaliste
Il ne s’agit pas de reproduire mécaniquement les expériences espagnoles du siècle dernier. Mais leur esprit résonne avec notre époque :
- À l’heure de l’écocide, l’écologie sociale de Bookchin nous invite à repenser la liberté dans son articulation avec les communs et avec la nature.
- À l’heure de l’atomisation numérique, nous avons besoin d’espaces physiques, enracinés, où la convivialité éveille les émotions et où la solidarité se pratique réellement.
- À l’heure de la crise démocratique, les ateneos peuvent redevenir des écoles vivantes de la démocratie directe, des relais entre les assemblées populaires et le tissu social du quotidien.
« L’autonomie ne peut pas être réduite à une question individuelle ; elle doit être construite collectivement, comme capacité des communautés à prendre en main leurs conditions de vie. »
– Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société
Un appel à l’expérimentation
Le 10 septembre et ses AG, ne doit pas seulement rester une date de colère parmi d’autres, mais un point de départ. Proposons, dans chaque AG ou assemblée populaire, d’expérimenter la création d’« Athénées communalistes » : lieux ouverts, horizontaux, où se mêlent culture, politique, solidarité et autonomie matérielle.
C’est ainsi que nous pourrons peser sur la bataille culturelle et sociale à long terme. Non pas en attendant que d’autres parlent à notre place, mais en réapprenant, ensemble, à faire société par nous-mêmes.
https://ecologiesocialeetcommunalisme.org/2025/09/15/les-ateneos-libertarios/
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