Sanofi condamné pour avoir à nouveau rejeté un produit cancérogène autour de son usine de Mourenx

The SANOFI factory of the SOBEGI group, which produces the drug DEPAKINE. In Mourenx L’usine SANOFI du groupe SOBEGI, qui produit le médicament DEPAKINE. A Mourenx (Photo by Quentin Top / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Médic alarmant. Comme le révèle un document judiciaire que Vert s’est procuré, le géant pharmaceutique a été condamné pour des rejets illégaux de bromopropane, constatés à la sortie de son usine des Pyrénées-Atlantiques qui produit le médicament Dépakine. Une première étape dans la reconnaissance de la responsabilité de Sanofi en matière de pollution : le groupe fait déjà l’objet d’une enquête judiciaire pour des rejets antérieurs à 2018.

  • 16/04/2025
  • Par Zoé Moreau

L’entreprise Sanofi, qui produit de nombreux médicaments (dont le Doliprane, Aspegic, etc.), a été reconnue coupable de rejets hors norme constatés fin 2023 à la sortie de son usine de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), comme le révèle un document judiciaire que Vert s’est procuré.

Du bromopropane a été rejeté illégalement dans l’air depuis l’une des cheminées de l’usine. La substance, classée par l’Union européenne et l’Organisation mondiale de la santé comme «reprotoxique» – elle affecte la fabrication de spermatozoïdes et d’ovules – et «cancérogène probable», compte parmi les ingrédients utilisés dans la fabrication du principe actif de la Dépakine, le médicament que produit cette usine.

La décision a été rendue le 17 septembre dernier par le tribunal judiciaire de Pau. Le plus grand groupe pharmaceutique français était mis en cause dans le cadre d’une composition pénale, une alternative au procès qui permet de traiter les infractions plus rapidement. Pour avoir «exploité une installation […] sans respect des règles générales et prescriptions techniques», il a été condamné à verser une amende symbolique de 1 500 euros au Trésor public.

D’après le document judiciaire que nous nous sommes procuré, Sanofi a reconnu les faits reprochés et avait jusqu’au 14 janvier dernier pour régler l’amende – contactée par Vert, l’entreprise dit l’avoir payée. Cette condamnation pourrait être une première étape dans la reconnaissance de la responsabilité de la firme dans la pollution de son usine. Sanofi est toujours dans l’attente d’un procès pour d’autres rejets, émis avant 2018 – et pendant plusieurs années – dans des quantités bien supérieures.

L’usine Sanofi de Mourenx, en 2019. © Quentin Top / Hans Lucas via AFP

L’usine de Mourenx, qui emploie une soixantaine de personnes, est «spécialisée dans la production de principes actifs dans les troubles du système nerveux central», explique Sanofi. Implantée dans une vaste zone industrielle non loin de Pau, elle assure 80% de la production mondiale de Dépakine, un antiépileptique qui a fait scandale dans les années 2010, après que des malformations ont été constatées chez des milliers d’enfants de mères traitées pendant leur grossesse.

La condamnation du 17 septembre dernier concerne des émissions excessives de bromopropane sur une période de trois jours, entre le 13 et le 15 novembre 2023. D’après un document interne à l’entreprise que Vert s’est procuré, l’usine – qui est tenue d’évaluer en continu la composition des rejets de ses cheminées – a mesuré la substance à des pics atteignant 156 milligrammes (mg) par mètre cube, soit environ 80 fois la limite autorisée (qui est de 2 mg par mètre cube). Les filtres à charbons, censés empêcher toute fuite de bromopropane dans l’air, auraient été saturés de manière «prématurée, [à cause de] la présence d’eau».

Ces rejets seraient liés à des «pluies très importantes et des vents très forts», justifie l’entreprise dans un document interne que Vert a consulté. Patrick Mauboules, président de l’association environnementale Sepanso – plaignante dans cette affaire –, réagit auprès de Vert : «Si un filtre d’une telle importance dépend de la météo pour son fonctionnement, qu’est-ce qui garantit qu’il ne refera pas défaut à l’avenir ?». Interrogé, Sanofi se veut rassurant, avec cette formule floue : «Toutes les technologies sont en place sur notre site de Mourenx pour éviter tout rejet de bromopropane dans l’atmosphère.»

«Ils ont retenu la leçon»

D’après le document interne, la fuite a été constatée le 13 novembre 2023, et les autorités n’ont été prévenues que le 24 novembre 2023 – soit onze jours plus tard. «Onze jours, c’est déjà trop», juge Patrick Mauboules. D’après un rapport de l’Inspection des installations classées – une autorité qui contrôle les usines à risques – rendu en 2023, l’usine Sanofi de Mourenx est bien «tenue de remédier à toute situation de dépassement et d’informer sans délai la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal)». Auprès de Vert, Sanofi justifie ce délai par la nécessité de collecter les données des analyses.

«On voit tout de même qu’ils ont retenu la leçon», ironise Patrick Mauboules, en référence au scandale qui secoue la firme depuis 2018, et dont découle cette seconde affaire. En juillet de cette année-là, Mediapart avait révélé que l’usine de Mourenx rejetait depuis plusieurs années des composés organiques volatils (appelés aussi COV, ils sont diffus dans l’air). Parmi ceux-ci, du bromopropane, émis dans des quantités 190 000 fois supérieures à la limite autorisée. D’après Libération, ces rejets astronomiques de COV ont été sciemment dissimulés par les responsables du site pendant au moins six ans. Ces derniers n’auraient pas hésité à modifier des rapports et à mentir au moment des multiples inspections du site par l’État.

Un procès très attendu

Quatre mois après ces révélations, Sanofi avait assuré avoir trouvé la solution à ces rejets hors norme de bromopropane : des «filtres à charbon». Ce sont ces filtres qui ont fait défaut cinq ans plus tard, en novembre 2023, et ont laissé, à nouveau, s’échapper la substance.

«Nous nous réjouissons de cette condamnation, mais c’est l’issue de l’affaire principale qui nous intéresse», confie Patrick Mauboules à Vert. Très attendu par les associations environnementales, les riverain·es et les travailleur·ses de l’usine, le procès de l’affaire des rejets antérieurs à 2018 pourrait avoir lieu dans quelques mois. En mars 2025, le parquet a annoncé la mise en examen de Sanofi pour «exploitation d’une installation classée sans respect des règles générales et prescriptions techniques», «obstacle à un contrôle administratif environnemental», et «non-déclaration d’accident ou d’incident par l’exploitant».

Les dates clefs

Juillet 2018. Mediapart révèle que l’usine Sanofi de Mourenx rejette illégalement des composés organiques volatils (COV), dont du bromopropane, dans des quantités atteignant 190 000 fois la norme autorisée. Une enquête est ouverte par le pôle santé publique du tribunal de Paris.

Juillet-août 2018. Un arrêté préfectoral contraint l’usine à stopper sa production.

Septembre 2018. La production reprend, après l’installation de filtres à charbon.

Novembre 2023. De nouveaux rejets de bromopropane sont constatés à la sortie de l’usine. À cause, d’après Sanofi, des «fortes pluies» qui ont endommagé les filtres à charbon.

Septembre 2024. Sanofi est condamné par le tribunal de Pau pour les rejets de novembre 2023 et doit payer une amende de 1 500 euros.

Mars 2025. Sanofi est mis en examen pour avoir rejeté des composés organiques volatils (COV) sur une période d’au moins six ans, entre 2012 et 2018. Et pour les avoir dissimulés.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.