Le Rassemblement national, philosémite et antidreyfusard.

8 avril 2025

Le Rassemblement national, philosémite et antidreyfusard.

Bardella, invité en Israël. Qui cela surprendra-t-il ? Les affinités de l’antisémitisme avec le sionisme n’ont en vérité rien de nouveau. Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives sous Vichy, prit position pour l’État d’Israël lors de la guerre de 1967. Lucien Rebatet, écrivain collabo et auteur du pamphlet antisémite Les Décombres, se déclara lui aussi soutien des sionistes en cette occasion. Bien sûr, il comprit que cela pourrait surprendre mais il rassura ses amis fascistes et antisémites : son soutien à l’armée israélienne n’était pas un reniement de ses convictions fondamentales. Au contraire : défendre Israël, c’est défendre l’Occident. La foi hallucinée et nécessairement criminelle en l’Occident peut tout à fait être philosémite dès lors que les Juifs sionistes sont également, via leur idéologie et leurs pratiques coloniales criminelles, en lutte contre les barbares. Le rassemblement, fin mars, des huiles fascistes occidentales en Israël « contre l’antisémitisme » relève de la même logique politique.

Ce philosémitisme d’extrême-droite, d’une extrême-droite qui ne renie rien de son passé antisémite, s’affiche davantage depuis le 7 octobre 2023. Le déluge apocalyptique de feu et de sang sur les Palestiniens de la Bande de Gaza mais aussi les pogroms des colons juifs contre les Palestiniens de Cisjordanie réjouit Bardella, le Rassemblement national et la grande majorité de l’extrême-droite pour la même raison qu’en 1967, la guerre israélienne suscita l’enthousiasme de Rebatet et de Vallat. Israël, « état juif » qui garantit le caractère judenrein de l’Europe vient en plus massacrer une population arabe et majoritairement musulmane. D’une pierre, deux coups, aux yeux des fascistes.

Le philosémitisme fasciste français n’a donc rien d’étonnant dans la politique de l’extrême-droite dont le RN. Il s’illustre dès la création de l’Etat d’Israël en 1947. Nombre d’antisémites du régime fantoche de Vichy se déclarant sionistes l’atteste. L’historien Philippe Burrin mais aussi Henry Laurens ont documenté la mansuétude nazie envers le sionisme. Le sionisme, comme promesse d’Occident, a tout pour plaire à l’extrême-droite. L’épuration ethnique en Palestine dès la création d’un état « juif » inscrivant celui-ci dans l’Occident suscita l’enthousiasme de l’extrême-droite antisémite.

L’extrême-droite, courant politique français héritier de la droite bonapartiste mais aussi contre-révolutionnaire (haine de 1789 et de la Déclaration des Droits de l’homme), aimerait donc désormais « les Juifs ». Elle dit régulièrement que face à l’antisémitisme (un « antisémitisme » qu’elle associe en permanence à « l’islamisme » puisqu’il n’y a de défense des Juifs qu’à la gloire de l’Occident), elle sera le « bouclier » des Juifs. Lisez les communiqués du RN, les déclarations de Bardella, … c’est ce mot qui revient sans cesse ou, de loin, le plus souvent.

Cette récurrence ne doit rien au hasard. Elle est un écho à la thèse sur Vichy mise en pièce par Paxton au milieu des années 1970, thèse selon laquelle De Gaulle et Pétain auraient en fait été de mèche, complémentaires, face à l’occupant nazi. De Gaulle aurait été le glaive à Londres et Pétain, sur le territoire national déjà bien amputé, le bouclier, précisément.

Bouclier victimise les Juifs, en fait des êtres frêles – cliché raciste – que les nervis fascistes, vigoureux, eux, défendraient face à la menace antisémite. Ce nom fait aussi écho à ce qu’a développé Zemmour lors de sa campagne présidentielle à propos de Pétain qui aurait protégé, sauvé, des Juifs français. Bouclier, donc, mais à partir duquel, à nouveau, sont triés Juifs français et étrangers.

La théorie ruinée par Paxton est fausse. Toutefois, même si l’antisémitisme fut constitutif de Vichy et de ses crimes, même si la Police française a organisé de son propre chef la Rafle du Vel d’Hiv’, abaissant même l’âge minimal des déportés vers les camps d’extermination, les autorités collaborationnistes ont séparé dans le discours et un peu dans les faits Juifs étrangers et Juifs français. Avant-guerre, déjà, le ministre Chautemps s’alarmait d’un afflux « d’Israélites étrangers » en France.

Bouclier est une référence à un récit national pré-paxtonien qui néanmoins mérite d’être analysé finement. La vérité, on le sait, n’est pas le souci de l’extrême-droite mais néanmoins, ce nom répété dit quelque chose sur le fond de ce discours.

Bouclier désigne une certaine catégorie de Juifs – et ce même si Pétain n’a jamais fondamentalement protégé les Juifs français -, une catégorie de Juifs intégrés, compatibles avec la République telle que la conçoit l’extrême-droite, au point de fournir des efforts comme par exemple de ne plus porter la kippa dans l’espace public ou d’accepter le menu unique à l’école publique, … Pétain évoquait la possibilité pour les Juifs français de devenir « Aryens d’honneur ». C’est ce motif que réactivent Bardella et le RN.

On voit très bien ça en outre dans Le complot contre l’Amérique de Philip Roth avec le rabbin Bengelsdorf, époux de la tante Evelyn du narrateur, qui rallie Lindbergh – le Président US de cette uchronie – et supervise l’envoi de gamins juifs dans l’Amérique profonde pour en faire des descendants des cow-boys. Maurice Rajsfus lui-même avait écrit un livre intitulé Des Juifs dans la collaboration. Son tome 2 s’écrit sous nos yeux dans le grand raout réunissant Maréchal, Bardella, Arno Klarsfeld et quelques dirigeants israéliens.

L’extrême-droite a ses Juifs comme les nazis, le Judenrat collabo du Ghetto de Varsovie. Des Juifs que ne heurtent pas, tant s’en faut, les pogroms perpétrés par des colons en Cisjordanie ou le déluge de feu génocidaire que fait s’abattre l’armée israélienne sur Gaza. Des Juifs qui pensent que le Grand Israël mérite bien qu’on relativise un salut nazi d’Elon Musk.

La langue philosémite du RN est donc lourde de menaces. La récurrence du nom bouclier est hautement signifiante. Il y a un deal. Bouclier, oui, mais bouclier pour les Juifs blanchis, à défaut d’être blancs.

Pour parler comme Sartre dans Réflexions sur la question juive, l’extrême-droite n’est philosémite qu’envers les Juifs inauthentiques (ceux qui accepteraient la loi de la République qui rognerait leur pratique religieuse par exemple), les Juifs intégrés et sionistes comme l’État colonial d’Israël intègre ses partisans dans l’Occident blanc.

En vérité, pourtant – un parlementaire RN parlait, beau lapsus, de « croix de David » pour l’étoile -, le Rassemblement national n’a rien à foutre des Juifs sinon pour cibler et désigner à la vindicte et à la violence son ennemi principal, à savoir les musulmans, les Arabes et, singulièrement en France, les Algériens.

Le massacre, le génocide en cours à Gaza comble d’aise l’extrême-droite. À ses yeux, mieux qu’en 1967, l’Occident extermine des barbares. Dès lors, elle veut bien défendre les Juifs, dénoncer une submersion antisémite en plus de migratoire pour appuyer son mensonge sur quelque invasion.

Alain Minc l’a dit à la radio il y a plusieurs mois au moins : Zemmour est la martingale de l’extrême-droite qui a enfin trouvé un Juif pour taper sur les Arabes.

Il y a une extrême-droite qui privilégie l’islamophobie et une autre l’antisémitisme. Renaud Camus, célèbre pour son décompte des journalistes juifs à France culture, a toutefois montré que bien souvent, elle est les deux et que cela varie selon la priorité du moment. Les manifs antivax aussi.

Le philosémitisme n’est ici qu’une variante de l’antisémitisme. Dans l’État racial post vichyste, il n’est que l’onctuosité de l’antisémite honteux.

À l’extrême-droite, toutefois, il n’est même pas cela. Il est un pacte racial raciste décomplexé dans une séquence où Vichy fait davantage partie de l’histoire que la Guerre d’Algérie dont, précisément, l’histoire n’est pas faite dans l’État (il n’y a pas sur l’Algérie l’équivalent du discours de Chirac sur le Vel d’Hiv) et dont le RN est partie prenante comme héritier de l’OAS.

Le philosémitisme de l’extrême-droite est le vernis démocratique qui légitime l’islamophobie (et l’arabophobie) la plus criminelle. L’édito du Monde à propos des manifestations du 22 mars ne peut que renforcer l’extrême-droite dans sa lecture politique de la séquence en cours où, des Klarsfeld à Golem en passant par l’UEJF ou Robert Hirsch, c’est LFI, « l’extrême-gauche », qui est jugée antisémite. Le RN n’a plus qu’à s’engouffrer dans la brèche. Il est, encore et toujours, la pointe avancée du consensus racial républicain. Mediapart participe aussi à cette curée.

Klarsfeld père et fils n’ont de cesse de dire à qui leur tend un micro ou leur propose une tribune à quel point le RN aimerait désormais les Juifs. Le vieux Le Pen est mort, sa fille, qui a pourtant beaucoup pleuré son papa à sa mort, n’est plus pareille, affirment-ils. Arno Klarsfeld fait une photo avec Marion Maréchal.

Marine Le Pen est moderne (post liquidation du Shtetl, au passage), elle aime les Juifs. Surtout, elle aime Israël à la manière d’un Drieu écrivant dans son testament qu’il « meur(t) antisémite (respectueux des Juifs sionistes) ».

De fait, le philosémitisme de l’extrême-droite est une farce sinistre. Le sionisme a quelque grâce à leur yeux car, pour reprendre Badiou, il prononce l’appropriation d’un site – l’État d’Israël, état colonial aux terres spoliées aux Palestiniens – pour les Juifs. Il fait d’un peuple transnational honni par les fascistes un peuple arrimé à une terre coloniale associée à l’Occident. Partant, il ruine son caractère cosmopolite et met fin à la judéité révolutionnaire.

L’extrême-droite croit au complot juif. Elle a en son sein des gens persuadés que Rousseau, la Révolution française et Robespierre étaient aux mains des Juifs. La révolution bolchévique, idem.

Dès lors, des Juifs qui via Israël soutiennent la férocité coloniale criminelle exterminatrice contre des Arabes, musulmans pour la plupart, ne peuvent avoir que sa sympathie. Les manifestations israéliennes où on crie « Mort aux Arabes ! » illustrent ce dont rêve le RN.

L’extrême droite hait les Juifs authentiques de Tsedek ou de l’UJFP qui rappellent que, comme disait Cécile Winter, « être juif, c’est être du côté de l’émancipation ».

Le philosémitisme du RN est pur opportunisme car si l’antisémitisme dans la gauche révolutionnaire a pu exister, toujours de façon extrêmement résiduelle, celui de l’extrême-droite est massif, constitutif de l’histoire politique de ce courant, en France, depuis au moins la Révolution française.

C’est à la fin du XIXème siècle – siècle épique qui a vu s’affronter Révolution et Réaction – qu’éclate l’affaire Dreyfus, coup de pied de l’âne contre-révolutionnaire. L’extrême-droite se constitue dans l’anti-dreyfusisme à tel point que lorsque Maurras est jugé à la Libération pour faits de collaboration, il s’exclame « C’est la revanche de Dreyfus ! ».

Qu’on y songe. Alfred Dreyfus est comme Monsieur Klein dans le chef-d’œuvre éponyme de Joseph Losey. Un juif français, intégré à tel point qu’il en oublie presque sa judéité et sert avec ferveur l’armée française. Mais voilà, l’antisémitisme moderne et racial pré-nazi a décidé de lui rappeler à son corps défendant que bien que capitaine de l’armée française, il n’en est pour l’extrême-droite pas moins juif et traître.

Hannah Arendt voyait dans l’affaire Dreyfus la matrice du nazisme. C’est à cela que certains Juifs de France, au lieu de pactiser avec le RN comme les y invitent les Klarsfeld pro-génocide, devraient songer. L’invitation à devenir un Juif républicain est une injonction mielleuse à n’être plus qu’un zombie de l’Occident féroce.

Sylvain Jean

ÉCRIT PAR

QGDecolonial

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