Grèce : « Je n’ai pas d’oxygène »

Lumières obscures, révoltes et courants d’air

paru dans lundimatin#465, le 4 mars 2025

 « Je n’ai pas d’oxygène » est une phrase enregistrée dans les appels d’urgence le jour du drame à Tempé qui a fait 57 morts. C’est aussi le slogan sous lequel les gens ont manifesté hier, jour d’anniversaire du drame, dans ce qui semble être une des plus grandes manifestations populaires en Grèce depuis la Metapolitefsi et la fin de la dictature des colonels.

Les luttes populaires sont des rapsodies. Elles se tissent les unes avec les autres, se font écho, se relient de façon têtue, entretiennent des rapports citationnels. C’est ainsi qu’hier dans la manifestation à Bruxelles en écho aux manifestations en Grèce on pourrait lire sur une pancarte « I can’t breath » en référence aux manifestations étatsuniennes suite à l’assassinat de George Floyd.

« Nos vies, leurs profits », « ce n’était pas un accident mais un assassinat d’État », cette journée d’hier, cette journée d’une des plus grandes manifestations populaires en Grèce, est venue après un mois est demi pendant lequel, pratiquement chaque jour, nous sommes abasourdis là-bas comme ici par les agitations de la nouvelle administration américaine, Trump, Musk et compagnie. Dark MAGA, fascisation à gogo, Lumières obscures à l’esthétisation des jeux vidéo. Que les crevards crèvent, Famille, Patrie, énergie masculine et puces électroniques. Méga-technique, méga-bassines, méga-propriété, le nouveau Prométhée n’aura jamais assez.

C’est le démantèlement des services publics qui est à l’origine du drame ferroviaire à Tempé. Depuis 2008 et l’explosion de la dette souveraine, le pays est mis à genou. La dépression n’a pas de fond. Tout le monde le sait, le sent, ce sont nos vies face à leurs profits. Mais nos luttes rendent nos morts immortels. JUSTICE. Hier à Athènes, le nom de chacun et chacune des 57 morts est appelé, à l’annonce du nom la foule reprend « présent » ou « présente ». A la fin, la foule annonce qu’ils et elles sont et resteront athanatoi, immortels. Arrêt. Temps d’arrêt. Transports à l’arrêt, écoles, universités, administrations fermées, comme la plupart des magasins dans le centre d’Athènes. Le pays est en grève générale, pendant une longue journée et dans une très large étendue, les rues d’Athènes appartiennent à cette grève, à ces piétons venant des partout, comme des fourmis sorties des leurs fourmilières qui s’unissent pour devenir non pas un grand nombre mais des innombrables. Des fourmis transformées en cigales et qui rêvent qui chantent des printemps en plein hiver. 

La veille, le 27 février, des personnes détenues dans plusieurs centres pénitenciers en Grèce ont signé un communiqué de solidarité : « Nous, prisonniers dans des prisons grecques, unissons nos voix à celles des parents des victimes de Tempé et de tout le peuple qui manifestera dans les rues et sur les places pour réclamer justice » [1]

. Décidément, c’est le monde à l’envers. Et c’est bien de ça dont il s’agit, renverser le monde, pour que nos vies et nos morts comptent plus que leurs profits. Pour que nos chants de justice fassent reculer leur liberté privatisée qui pue les pesticides et accapare l’eau. Amazon a soif mais nous aussi. Les data centers ont soif mais nous aussi.

Les universaux ne sont pas des armes à assujettissement. Ni des simples outils d’expansion coloniale. Pour les luttes populaires qui se tissent en rapsodies, l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons sont des universaux concrets. Certaines figures révolutionnaires du passé ont pourri. Et la nouvelle réaction en tire profit. Il faut laisser ce qui a pourri pourrir au compost. Ce n’est pas à jeter, c’est ce à partir de quoi nous est une hypothèse à régénérer. Des prisonniers qui donnent de l’air et demandent justice pour des gens qui manifestent dehors, solidarité, égalité, liberté, dignité, nous avons soif d’histoires qui ne soient pas trop grandes ni trop petites. Nous avons besoins d’histoires qui sont des appels d’air. Dans ce monde irrespirable, nous est encore là.

Maria Kakogianni

[1https://thepressproject.gr/maziki-kinitopoiisi-ton-kratoumenon-stis-ellinikes-fylakes-ochi-stin-sygkalypsi-dikaiosyni-gia-tous-57-nekrous-ton-tebon/

https://lundi.am/Grece-Je-n-ai-pas-d-oxygene

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