13 février 2025 par Emma Bougerol
Le risque premier avec l’intelligence artificielle n’est pas qu’elle s’attaque aux humains comme dans un scénario de science-fiction. Mais plutôt qu’elle participe à détruire notre environnement en contribuant au réchauffement climatique.

Publié dans Écologie
La course à l’intelligence artificielle (IA) s’intensifie. Le 9 février, veille du sommet de l’IA à Paris, Emmanuel Macron promettait 109 milliards d’euros d’investissements publics et privés dans cette technologie pour les années à venir. Il entend concurrencer les États-Unis sur ce terrain, en faisant référence au programme « Stargate » promis par Donald Trump, qui prévoit des dépenses de 500 milliards de dollars (484 milliards d’euros) dans l’IA aux États-Unis.
Des deux côtés de l’Atlantique, ces centaines de milliards seront principalement investis dans la construction de nouveaux centres de données pour entraîner puis faire fonctionner les outils d’intelligence artificielle. Pourtant, les impacts environnementaux de ces « data centers », mis de côté dans ce sprint à l’IA, présentent un danger réel pour notre planète.
« Plus grand est le modèle, mieux c’est »
L’ouverture au public de l’agent conversationnel d’OpenAI, ChatGPT, en novembre 2022 a marqué un tournant dans les usages de l’intelligence artificielle. Depuis, des dizaines d’IA génératives sont accessibles avec la capacité de résoudre des problèmes variés, allant de la rédaction d’un email professionnel à des suggestions de recette de tartes, en passant par des lignes de code informatique.
Ces grands modèles de langage (en anglais, « Large language models », ou LLM), avec un grand nombre de paramètres, se sont développés ces dernières années, comme Gemini de Google, Le Chat de l’entreprise française MistralAI ou Grok de X. D’autres modèles permettent de créer de toutes pièces des images – on pense à Dall-E ou Midjourney –, des vidéos ou des chansons.
Si leur utilisation est gratuite (bien que des versions payantes existent), le prix est payé non seulement par les utilisateurs dont les données personnelles sont captées, mais aussi par les populations les plus vulnérables au changement climatique. Avec leurs dizaines voire centaines de milliards de paramètres et des terabytes de données pour les alimenter, faire tourner les systèmes d’IA générative demande beaucoup de puissance de calcul de serveurs, situés dans des centres de données. Donc beaucoup d’électricité.
Ces chiffres ne font qu’augmenter à mesure que les modèles se perfectionnent. « Aujourd’hui, l’idée dominante dans l’industrie des modèles génératifs est : « Plus grand est le modèle, mieux c’est » », résument les chercheurs Paul Caillon et Alexandre Allauzen dans The Conversation. Malgré un manque de transparence des entreprises, la consommation d’électricité de leurs modèles et leur impact climatique ont fait l’objet d’estimations par nombre de chercheurs et institutions.
Combien consomme une requête ChatGPT ?
On sait déjà que la version de ChatGPT sortie en mars 2023, GPT-4, a demandé plus de puissance de calcul que la précédente. Le Conseil économique et social (Cese), dans un avis de septembre 2024, cite OpenAI et explique : entraîner la troisième version de son modèle de langage a demandé l’équivalent de l’énergie consommée par 120 foyers américains. La version suivante a multiplié par 40 cette consommation, avoisinant la consommation de 5000 foyers.
Selon une étude, début 2023, une requête ChatGPT consommait environ 2,9 Wh d’électricité, soit presque dix fois plus qu’une simple recherche Google (0,3 Wh). D’autres études estiment l’impact carbone d’une requête à ChatGPT autour de 4 à 5 grammes d’équivalent CO2.

Produire une image, c’est pire. La startup HuggingFace, à l’origine de l’IA Bloom, a été l’une des premières à estimer les émissions de gaz à effet de serre de ces modèles. Dans une étude co-écrite avec l’Université états-unienne de Carnegie-Mellon, elle montre que la génération d’image est de loin la plus polluante des requêtes formulées à une IA générative (l’étude ne prend pas en compte les vidéos).
Pour donner un ordre d’idée, générer 1000 images correspondrait à conduire environ 7 kilomètres avec une voiture essence. En comparaison, 1000 textes générés équivalent à moins d’un 1 mètre parcouru avec un même véhicule. Mais leur utilisation massive rend cet impact non négligeable. Selon le PDG d’OpenAI Sam Altman,, à la fin de l’année 2024, plus d’un milliard de requêtes étaient envoyées à ChatGPT par jour.
En janvier 2023, soit quelques mois après qu’elle a été rendue accessible au public, ChatGPT avait accumulé 100 millions d’utilisateurs. Selon une estimation de Data for Good, rien que ce mois-là, l’utilisation de ChatGPT aurait pollué à hauteur de 10 113 tonnes équivalent CO2 – soit environ 5700 allers-retours en avion entre Paris et New York.
En décembre 2024, selon son PDG, le service avait atteint les 300 millions d’utilisateurs… par semaine. Et ce, avec une version bien plus performante – donc bien plus polluante – que la précédente. Sur le même sujet
De plus en plus de personnes utilisent l’IA au quotidien, et pour de plus en plus de tâches. Installés dans nos smartphones, accessibles en ligne ou même intégrés dans les frigos haut de gamme, les outils d’intelligence artificielle sont presque partout.
Une explosion de la consommation d’électricité
Selon l’Agence internationale de l’énergie, les centres de données représenteraient aujourd’hui environ 1 % de la consommation d’électricité mondiale. Mais cette consommation risque d’augmenter avec les usages croissants et le développement de nouveaux modèles d’IA. Selon l’agence, la consommation des centres de données pour l’IA et les cryptomonnaies a dépassé 460 TWh en 2022. C’est autant que la consommation de la France. D’ici l’année prochaine, selon les scénarios, cette demande en électricité pourrait augmenter de 35 % (160 TWh en plus) à 130 % (590 TWh) ! « Soit l’équivalent d’au moins une Suède et au maximum une Allemagne » de plus dans le monde en quelques années.
Une autre étude de l’ONG Beyond Fossils Fuels est encore plus alarmiste : « Au cours des six prochaines années, l’explosion de la demande en énergie des centres de données dans l’UE [Union européenne] pourrait entraîner une hausse de 121 millions de tonnes des émissions de CO2, soit presque l’équivalent des émissions totales de toutes les centrales électriques au gaz d’Italie, d’Allemagne et du Royaume-Uni en 2024 combinées » écrit l’ONG en février 2025.

Les grandes entreprises de la tech cherchent à faire oublier leurs promesses écologiques. Selon le Financial Times, dans un article d’août 2024, les Gafam tentent de remettre en cause les règles de « zéro carbone net » qui leur permettent de compenser leurs émissions de CO2 par le financement d’énergies renouvelables (des règles déjà critiquées pour leur mode de calcul qui dissimule une grande partie de l’impact carbone réel de leurs consommation d’électricité).
« Ces géants de la technologie sont sur le point de devenir les plus gros consommateurs d’énergie de demain, dans leur course au développement d’une intelligence artificielle énergivore », écrit le média britannique. Les émissions de gaz à effet de serre de Google augmentent par exemple de 13% par an (selon des chiffres de 2023). Une hausse notamment portée par l’augmentation de la consommation d’énergie de ses centres de données. Les émissions de Microsoft ont bondi de 29 % entre 2020 et 2023.
Des investissements massifs aux dépens des populations
Les chefs d’État des États-Unis comme de la France ont pourtant annoncé des investissements massifs dans l’IA pour les années à venir. L’Union européenne, par la voix d’Ursula von der Leyen, a également annoncé un investissement de 200 milliards en partenariat avec de grands groupes.
Dans les trois cas, ces centaines de milliards d’euros sur la table serviront majoritairement à construire des centres de données pour permettre l’entraînement puis l’utilisation de ces technologies. En France, en amont du sommet de l’IA, le fonds canadien Brookfield a annoncé investir 15 milliards d’euros dans la construction de centres de données, tandis que les Émirats arabes unis ont mis entre 30 et 50 milliards sur la table pour la construction d’un centre de données géant.
Il est peu probable que cette consommation d’électricité massive ne se fasse pas au détriment des populations. En Irlande, les centres de données monopolisent une part grandissante de l’électricité du pays, ils représentent aujourd’hui plus de 20 % de sa consommation. Cette situation crée des tensions avec les habitants, qui voient leurs factures augmenter alors que la consommation des ménages n’augmente pas.
Des engagements « durables » non contraignants
Aux États-Unis, raconte un article de Vert, Microsoft va rouvrir le premier réacteur de la centrale nucléaire de Three Mile Island, site d’un accident en 1979 qui avait irradié toute cette partie de la Pennsylvanie et traumatisé les habitants. Les géants de la Tech – Google, Amazon et Microsoft en tête – cherchent également à investir dans les « petits réacteurs modulaires » nucléaires, en cours de développement, pour alimenter leurs centres de données, ce qui pose la question de la sûreté d’une multitude de petites installations nucléaires face au risque d’accidents. Autre conséquence : le retour en grâce du charbon, fortement émetteur en gaz à effet de serre. Dans l’État de Géorgie, la promesse faite il y a trois ans de fermer toutes ses centrales à charbon a été abandonnée pour répondre au pic de demande d’électricité créé par les centres de données.
Face à ces risques pour les populations locales comme pour celles les plus vulnérables au changement climatique dans le monde entier, les actions semblent faibles. Une déclaration d’intention a été signée à l’issue du sommet de l’IA, notamment avec l’Inde et la Chine. Il prévoit entre autres la création d’un observatoire de l’impact énergétique de l’IA, sous la responsabilité de l’Agence internationale de l’énergie. Il planifie également la création d’une « coalition pour l’IA durable » avec de grandes entreprises du secteur.
Ces engagements en matière d’intelligence artificielle signés par les États et les entreprises présentes ne sont pas contraignants, et ne sont pas tournés vers l’action immédiate. De plus, ni le Royaume-Uni ni les États-Unis, qui concentre un tiers des centres de données du monde, n’ont signé ce texte.
https://basta.media/l-ia-generative-a-le-potentiel-de-detruire-la-planete-mais-pas-comme-vous-le
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