● Capitalisme● Ecologie● Gouvernement
Chère Agnès Pannier-Runacher,
Quelle semaine !
À peine reconduite au gouvernement, une fois de plus dans de nouvelles fonctions puisque vous êtes désormais ministre de la Transition écologique après avoir été successivement, depuis 2018, secrétaire d’État à la Reconquête industrielle, ministre déléguée à l’Industrie, ministre de la Transition énergétique et ministre déléguée à l’Agriculture, quel talent, quelle abnégation et quelle polyvalence, vous êtes au cœur de l’actualité.
Il faut dire que vous êtes devenue l’une des incarnations de cette curiosité politique et intellectuelle que certains commentateurs facétieux s’obstinent à nommer « aile gauche de la macronie » : « L’aile gauche de la macronie tente de peser après la nomination de Michel Barnier », titrait par exemple, le 7 septembre, le Figaro, journal de référence de l’aile gauche de l’extrême droite.
Du fait de la composition de la nouvelle équipe ministérielle, les facétieux vous classent même désormais à « l’aile gauche du gouvernement ». Une étiquette qui doit vous ravir puisque vous affirmez vous-même être une « femme de gauche », comme vous l’avez encore récemment soutenu avec fermeté sur BFM-TV face à des journalistes qui semblaient, les cuistres, en douter : « Je suis de gauche, pardon, je suis désolée, le NFP n’a pas le monopole de la gauche ».
Et c’est à ce titre que vous avez accepté d’être ministre, ainsi que vous l’avez expliqué afin de justifier, alors que vous aviez répété cet été que « la France n’est pas à droite » et qu’il fallait « un Premier ministre issu de la gauche », votre participation à un gouvernement dirigé par un membre des Républicains : « Le portefeuille qui m’a été proposé est un vrai marqueur de gauche : l’écologie, la lutte contre l’effondrement de la biodiversité, la lutte contre le dérèglement climatique. »
Difficile, dès lors, de comprendre les réticences des organisations de défense de l’environnement lorsqu’elles sont questionnées sur les appétences écologiques du nouvel exécutif et sur votre prétention à construire, en son sein, « une écologie ambitieuse et populaire ». N’ont-elles pas conscience du fait que vous êtes en réalité la Greta Thunberg du gouvernement ?
Les évidences sont pourtant là, à commencer par la préoccupation que vous avez de préserver l’avenir de la jeunesse, en premier lieu celui de vos enfants, pour lesquels vous avez ainsi signé en 2016, alors qu’ils étaient âgés de 5, 10 et 13 ans, des documents leur permettant de devenir actionnaires d’une entreprise créée pour l’occasion par votre père qui y a injecté 1,2 million d’euros, leur offrant ainsi une jolie donation exonérée de tous droits de succession.
Lorsque l’on sait que cet argent provenait de fonds spéculatifs domiciliés à Guernesey, en Irlande et au Delaware — l’aile gauche des paradis fiscaux — et liés à des investissements de la firme Perenco, numéro 2 du pétrole en France, que votre père a dirigée, le doute n’est plus permis : en vous associant à cette généreuse opération, ce n’est pas seulement de l’argent mais aussi — et surtout — des valeurs de gauche, sociales et écologiques, que vous avez voulu transmettre.
Car vous savez que l’argent ne fait pas tout, bien au contraire, et vous l’aviez prouvé dès 2018 en quittant votre emploi dans le privé pour tenter l’aventure ministérielle, acceptant de diviser vos revenus par cinq. En véritable Louise Michel du gouvernement d’Édouard Philippe, vous avez ainsi renoncé aux 413.000 euros annuels que vous versait votre employeur ainsi qu’à plus de 100.000 euros de jetons de présence dans divers conseils d’administration pour vous contenter du frugal revenu de secrétaire d’État : 114.000 euros annuels (1).
Vivre sobrement, telle est en effet la clé pour la préservation de l’environnement, et votre récente déclaration de patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) démontre que vous êtes cohérente avec vos remarquables ambitions écologiques : la présence de la somme de 415.090 euros sur votre compte courant à la Société générale — l’aile gauche des banques — ne témoigne-t-elle pas du fait que vous dépensez peu d’argent, vous appliquant à vous-même, dans votre vie quotidienne, un louable principe de sobriété ?
Sobriété également lorsqu’il s’agit justement des déclarations à la HATVP, dans lesquelles vous aviez pudiquement omis, chère Rosa Luxemburg, la confortable donation de votre père à vos enfants, et sobriété toujours face aux questions des journalistes concernant la valeur de la société dont vos rejetons sont alors devenus actionnaires : « Ce patrimoine ne me concernant pas personnellement, je n’ai pas à vous communiquer ces montants. »
Cette modestie témoigne de votre enracinement, y compris moral, à gauche, à l’instar de votre carrière dans le privé qui confirme de surcroit l’ancrage de vos préoccupations écologiques et promet, comme vos liens familiaux, de passionnantes situations de conflits d’intérêts (une habitude chez vous) : directrice de la division clients de Faurecia (équipementier automobile), administratrice chez Eiffage (construction et autoroutes) et chez Bourbon (services à l’offshore pétrolier), directrice générale déléguée de la Compagnie des Alpes (domaines skiables, dont La Plagne, Tignes-Val-d’Isère, Méribel, Les Arcs ou Serre-Chevallier — l’aile gauche des stations de ski), etc.
Sachant tout cela, comment douter de la profondeur et de la cohérence de vos convictions de gauche et de vos aspirations écologiques, a fortiori lorsque l’on sait que vous serez secondée par Olga Givernet, dite « Olga la Rouge », ministre déléguée à la Transition énergétique, passée par le Modem avant de rejoindre LREM, et qui fut quant à elle cheffe de projet pour la compagnie Air New Zealand puis ingénieure dans la maintenance des jets privés à l’aéroport de Genève ?
« J’ai bien conscience que j’appartiens dorénavant à un gouvernement où je peux apparaître isolée en tant que femme de gauche », déclariez-vous le 23 septembre (2). Un isolement qui pourrait inquiéter, mais souvenons-nous que, macroniste depuis 2016 et ministre depuis 2018, vous avez assumé la poursuite de la destruction du droit du travail, la loi sécurité globale, les cadeaux fiscaux aux plus riches, la répression des mouvements sociaux, les violences policières dans les quartiers, les 49.3 à répétition, l’accélération de la saignée des services publics, le soutien aux grands projets inutiles et au productivisme, la loi asile-immigration, le blocage des salaires, la loi séparatisme ou la « réforme » des retraites. Le tout en demeurant, bien sûr, une « femme de gauche » : voilà qui résulte du miracle, peut-être même de la magie-han.
Chère Agnès Pannier-Runacher, après avoir évoqué votre « isolement », vous questionniez votre possible appartenance à « une espèce en voie d’extinction ». Rassurez-vous, ce n’est pas le cas. Vous êtes en effet, paradoxalement, une preuve du fait que l’espèce que vous prétendez représenter ne risque pas de s’éteindre pour la simple et bonne raison qu’elle n’existe pas : le « macronisme de gauche » est une fiction et, pour affirmer le contraire après sept ans de pouvoir macronien, il faut être inculte, de mauvaise foi ou éditorialiste pour chaîne d’information — les trois ne s’excluant pas. À ce titre, votre parcours, votre système de valeurs, votre morale, vos discours, vos actions et vos solidarités politiques sont explicites : vous n’avez rien à voir, ni de près ni de loin, avec la gauche. Vous êtes une femme de droite, issue d’un parti de droite, dans un gouvernement de droite adoubé par l’extrême droite, et ce n’est pas une posture critique vis-à-vis du RN, le port d’un pin’s arc-en-ciel ou des déclarations sur l’AME qui y changeront quoi que ce soit.
Cordialement,
Jules Blaster
(1) Montants bruts.
(2) À 27’25
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret
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