Loran de Bérurier noir : «Chanter qu’on “emmerde le Front national” ne suffit pas»

Entretien — PolitiqueLoran de Bérurier noir : «Chanter qu’on “emmerde le Front national” ne suffit pas»

Loran de Bérurier noir : «<small class="fine d-inline"> </small>Chanter qu'on “emmerde le Front national” ne suffit pas<small class="fine d-inline"> </small>»

Alors que le refrain « La jeunesse emmerde le front national » est à nouveau largement entonné, Loran de Bérurier noir se confie à Reporterre. Il voit une urgence antifasciste à faire barrage, et surtout à réagir collectivement.

Dans les années 80, le groupe de punk français Bérurier noir clamait « La jeunesse emmerde le Front national ». L’ancien guitariste, Loran, aujourd’hui membre du groupe Les Ramoneurs de menhirs, affirme qu’il faut toujours lutter contre l’extrême droite, 40 ans après.


Reporterre — Avec Fanfan et Masto, les autres membres de Bérurier noir, vous vous êtes battus dès les années 80 contre la montée des idées d’extrême droite, dans vos chansons comme dans vos prises de parole publiques. Quelle est votre réaction face à la situation politique actuelle ?

Loran — Déjà, je relativise un peu. Le taux d’abstention des élections européennes a été de 48,5 %, soit environ la moitié des votants. Le Front national [1] a certes obtenu 31,37 % des voix, mais divisé par la moitié des votants, ça fait seulement 15 % des Français qui ont voté pour eux.

Ceci dit, on est en régression. Un morceau [de Bérurier noir] comme « Porcherie » [qui critique l’exploitation, la répression et l’extrême droite] a été composé il y a 40 ans, ce n’est pas normal qu’il soit toujours d’actualité. Il était déjà une réaction aux élections européennes de 1984, où le Front national avait fait 11 %. C’était la première fois qu’un parti d’extrême droite atteignait un score à deux chiffres.



Pourquoi la plupart des Français, qui craignaient l’extrême droite auparavant, sont-ils nombreux à la réclamer aujourd’hui ?

C’est le résultat de tout le travail de communication du Front national. Ils essaient de montrer patte blanche, ils ont changé de nom, en mettant « rassemblement » dedans, ce n’est pas un hasard. Ils essaient de faire croire que l’extrême droite peut être une solution, mais elle ne propose rien. Elle prend seulement le terrain qu’on leur laisse.

Si le Front national est fort, c’est parce qu’il n’y a rien en face. Si les gens étaient heureux, bien dans leurs vies, le Front national n’existerait pas. Donc il y a bien un problème. Mais je suis triste que des gens pensent que l’extrême droite est la solution. Le Front national ne réglera rien, il y aura juste du repli sur soi, du refus de la différence et de la violence.

« Un morceau comme “Porcherie”, qui a été composé il y a 40 ans, ce n’est pas normal qu’il soit toujours d’actualité. » CC BY-SA 4.0 / Jérémy Kergourlay / Wikimedia Commons

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Macron est responsable de ce qui se passe. Sa politique a été une catastrophe jusqu’ici. Il a été élu parce que les gens ne voulaient pas du Front national, et uniquement pour ça, pas pour son programme. Depuis, il a menti aux gens, il ne les a pas écoutés.

Ce n’était pas facile de prendre du temps pour aller manifester contre la réforme des retraites, mais les gens y ont été, et il ne les a pas écoutés. Un président qui n’écoute pas le peuple, alors qu’il est censé le représenter, c’est hallucinant.

« Je n’ai pas oublié la mort de Steve »

On a aussi vu la politique de Darmanin, la violence de la police dans les manifestations, la violence de la police contre les teufeurs, je n’ai pas oublié la mort de Steve [un jeune homme mort noyé dans la Loire à Nantes suite à une opération policière lors de la Fête de la Musique en 2019]. Tout a été fait pour qu’on en arrive là.

Des gens vont aussi voter pour le Front national en pensant qu’il y a un côté social, uniquement parce que la gauche n’a pas assuré jusqu’ici. Aujourd’hui, une unité de la gauche se met en place, et c’est très bien. Mais après ça, il va vraiment falloir que les choses changent. Et pas seulement en France, il y a une montée de l’extrême droite partout.



Vos paroles les plus connues, devenues depuis un slogan dans les manifestations, étaient « La jeunesse emmerde le Front national ». On voit pourtant que les 18-34 ans ont voté à plus de 30 % pour le parti de Jordan Bardella…

Oui, parce que je pense que ces jeunes-là, qui veulent le Front national, sont tout simplement vieux. La jeunesse, celle qui a les yeux qui pétillent, qui a des rêves, qui veut essayer de participer à une vie plus en harmonie avec les autres, qui veut respecter la planète, cette jeunesse-là est présente. On l’a vue à Sainte-Soline, on la voit dans les manifestations.

C’est vrai que ça me fait chier qu’une partie de la jeunesse se fasse avoir. Mais vu la désinformation, est-ce que cette jeunesse se rend seulement compte de ce que ça veut dire l’extrême droite ?

Et surtout, il y a une grosse partie des gens qui ne veulent pas du Front national ! Il faut que ces gens-là se bougent ! 31 % de 50 % des votants, ça ne fait pas tant de monde que ça non plus ! Aujourd’hui, il y a la possibilité de faire barrage au Front national et à Macron en même temps. Les gens ont la possibilité entre leurs mains de proposer autre chose. C’est aux gens d’agir.

« La jeunesse, celle qui a les yeux qui pétillent, qui a des rêves, qui veut essayer de participer à une vie plus en harmonie avec les autres, qui veut respecter la planète, cette jeunesse-là est présente. On l’a vue à Sainte-Soline, on la voit dans les manifestations. » Comme ici, à Paris, le 15 juin 2024. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Agir, c’est seulement aller voter ?

Pas uniquement ! Il y a une urgence antifasciste, il faut faire barrage, c’est certain. Après ça, il faut qu’il y ait des propositions pour que tout le monde réussisse à trouver sa place. Ce n’est pas normal que des gens aient tout et que d’autres n’aient rien. Les gens sont de plus en plus pauvres, tandis que 1 % des plus riches de la planète possèdent 43 % de la richesse mondiale ! Ce n’est pas normal d’avoir autant, c’est disproportionné. Il faut que les riches acceptent de partager.

« C’est à nous tous et toutes de faire en sorte que la vie soit autrement »

Et la solution, ce n’est pas le Front national. La solution vient de nous, de gens qui s’organisent en collectif et essaient de construire autre chose. C’est à nous tous et toutes de faire en sorte que la vie soit autrement : aider ceux qui en ont besoin, se rendre disponibles. Je sais que ce n’est pas facile, les gens perdent leur vie à la gagner donc ils n’ont même plus le temps pour être avec leurs propres enfants ! Mais il y a un tissu associatif énorme en Hexagone, et il pourrait servir à gérer la cité, la tribu.

Par exemple, les ministres ne doivent plus être des personnes nommées juste parce qu’elles ont fait des grandes écoles ou parce qu’elles ont été parachutées là. Il faut mettre des gens sur le terrain, des collectifs. Les gens qui s’occupent de loger les familles en difficulté, c’est à eux d’être au ministère du Logement ! On a besoin de ce tissu associatif, des gens qui savent vraiment ce qui se passe, qui sont dans la rue, qui sont près des gens. C’est à eux d’être dans les « ministères » — moi j’appellerais plutôt ça des « coordinations », basées sur la réflexion et l’échange. Il faut réformer la politique, et surtout fonctionner en collectif.



Pour vous, la question du collectif est vraiment au cœur des luttes…

Oui. Tout le monde court après on ne sait même pas quoi : de beaux écrans, une belle voiture, un compte en banque bien garni… Mais où est le but ? Il n’y en a pas. Ce n’est pas normal que des gens aient faim alors que nos poubelles sont remplies à gaver. On a laissé faire parce qu’on nous a donné quelques miettes, justement ces écrans et ces voitures, mais ce n’est pas ça qui va nous rendre heureux. On n’arrive pas à s’organiser, à vivre ensemble, à s’apprécier !

C’est à nous de prendre en main les choses, de nous autogérer, sans compter uniquement sur les politiques. Il faut que les gens réapprennent à consommer moins, à vivre autrement, en collectif justement parce qu’on consomme moins à plusieurs. Pour l’avenir de nos enfants, de la planète, il va falloir que les gens prennent leurs responsabilités.

Je ne veux pas faire la leçon, mais tirer la sonnette d’alarme. On est face au mur. La montée de l’extrême droite est la conséquence de toutes les merdes qu’on fait. Le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, le nombre d’insectes qui disparaît chaque jour, tout ça est une urgence. Il faut que les gens réagissent. Il ne suffit pas de chanter qu’on « emmerde le Front national », il faut que les gens réagissent. Sinon, ça va être une catastrophe.

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