Article mis en ligne le 17 juin 2024
par F.G.
Au soir d’une élection où le score de Bardella (31,37 %), en dynamique avec la brune tendance européenne à noyer les « migrants » en mer, confirmait ce que nous serinent depuis belle lurette les sondeurs de vérités profondes et l’infâme caste médiatique qui fait (et défait) les réputations, les attentes se portaient sur les scores de la liste de la pitoyable Hayer (14,60 %), de l’insupportable Raph la banane (13,83%), de l’insoumise Manon Aubry (10 %), de la flottante Marie Toussaint (5 %) et, pour les plus vicelards, dans mon genre, de celle soutenue par l’ineffable Cadet Roussel (2%), un étiage dont ce lynx est finalement coutumier. Du classique quoi, pimenté certes par le score de l’inconsistant second de Madame Fille de son père, mais sans conséquence immédiate. Il était temps d’aller se coucher.
Mais c’était sans compter sur le « premier de la classe », le Jupiter aux petits pieds qui, de but en blanc, annonça, d’un coup d’un seul, comme ça, en mode automate et costard bleu nuit, que la situation exigeant clarté et détermination, il prononçait la dissolution de l’Assemblée. Boum ! De quoi réveiller tout le monde. Et, en premier lieu, les commentateurs mainstream qui visiblement n’avaient rien senti venir ni même prévu – ce qui prouve bien qu’ils ne sont que des commentateurs – et, oubliant le résultat des élections européennes pour ne plus parler que du « taré » – comme dira Ruffin sur BFM qui, d’un coup, se mettait à parler comme Mélenchon ne parlerait pas en de telles circonstances. Car une telle qualification, corrigée dès le lendemain sur la matinale de Rance-Inter, ne permettait pas de comprendre ce qui se jouait sous nos yeux et les questions qu’une telle dramatisation présidentielle posaient ou éludaient. En quoi l’indiscutable percée extrême-droitarde au Parlement européen aurait quelque chose à voir avec l’aquarium du Palais-Bourbon, où le même Macron, servi par Braun-Pivet, aussi irascible avec LFI que câlineuse avec les fachos à costard qui le lui rendent bien ou encore avec ce cintré de Meyer Habib qui passe son temps à hurler contre des antisémites imaginaires ? Pourquoi dissoudre l’Assemblée quand il eût été plus compréhensible – et suivi de vivats aux balcons – que l’intéressé se dissolve lui-même en démissionnant ?
On sait désormais que la manœuvre aurait été élaborée bien en amont dans un cabinet noir, probablement avec Kohler et quelques proches du Clausewitz du Touquet. Une manœuvre à l’épate, moralement infâme, mais cela n’est pas fait pour gêner un immoral de son genre, qui, si elle fonctionnait, aurait pour premier effet de désintégrer pour longtemps une gauche divisée et, de l’autre, provoquerait, de facto, par nécessité institutionnelle, une cohabitation Macron-Bardella dans trois semaines. On notera que, dans ce cas de figure, le facteur temps, très resserré, est déterminant. Car, même avec les meilleurs sentiments du monde et l’envie d’y parvenir, personne, et surtout pas ces stratèges de bunker feutré, n’imaginait autre chose que, prise dans cette seringue, la gauche pût en sortir par le haut en si peu de temps.
À la manœuvre de ce moment machiavélien, celui-là même – plus « Moi Je » que « taré », même si on peut être les deux – qui, tout seul, s’était imaginé, avec le résultat qu’on connaît, pouvoir convaincre Poutine à l’hiver 2022 de ne pas aller trop loin. Là, l’idée est plus construite. Prévoyant le tsunami électoral de l’élection européenne – tsunami qu’il organisa pour partie en désignant une brêle comme tête de liste et en conférant au tictoqueur Bardella le rôle enviable d’opposant majuscule –, c’est l’après qu’il préparait, notre maintenant en somme. Pour résumer, un coup de poker menteur : dissoudre le soir même du résultat de l’élection, histoire d’effacer l’ardoise (14%, tu parles d’un socle), de renvoyer une gauche puzzle aux poubelles de l’histoire en en récupérant quelques résidus sociaux-traîtres, de satelliser sa droite supposément républicaine (LR, donc) et de placer le fascisme à costard suffisamment haut pour qu’il se voie dans l’obligation (institutionnelle) de cohabiter avec le tictoqueur qui monte, en se promettant de le démonter sur la durée en l’obligeant à afficher son incompétence.
La question reste ouverte de savoir qui aura donc soufflé une telle manœuvre au Généralissime aux petits pieds. Hypothèses : 1) un obscur cacochyme ex-mitterrandien végétant à l’EPHAD Conseil constitutionnel lui ayant rappelé comment le Grand François avait cisaillé Chirac en le nomment Premier ministre cohabitant ; 2) un chiraquien de la vieille époque et du même EPHAD lui ayant vanté la manière dont le triste Jospin cohabitant avait été baladé par le même Chirac devenu président qui, au bout du bout, épuisa tant Jojo qu’il implosa en vol lors de la campagne électorale de 2002 pour laisser le farceur Chirac triompher haut la main du père de Madame Fille. Déjà. Putain de dynastie nauséeuse !
« Taré » ou pas, le petit homme se prend, lui, pour un pur génie. On commence à en douter dans son entourage – et même dans certaines télés mainstream à sa botte –, mais personne ne le lui dit. C’est qu’il est rancunier le Clausewitz du Touquet, ça reste un minable théâtreux de salle de classe, mais aussi narcissique que le sont ceux du haut de l’affiche, un narcissique pathologique, excessif jusqu’au grotesque, qui ne supporte pas que la haute idée qu’il se fait de lui-même soit ne serait-ce qu’écornée. En fait, il court depuis tout petit derrière le premier rôle. Ça se traite sur un divan, mais non, il ne veut pas. Donc on se le traîne comme un boulet. Depuis sept ans. Putain, c’est long sept ans, surtout quand on pense qu’après lui on risque d’avoir, grâce à lui, les rassemblés de la haine et leurs baqueux survoltés, surarmés et sur-couverts par un État à la façade repeinte en brun. Ce qui change, et vite, toujours grâce à lui, le Sachant Suprême qui n’en perd pas une pour tester ses foireuses intuitions : on aura eu Castaner l’Éborgneur et Darmanin le Casqué à l’Intérieur, Blanquer le Sabreur à l’Éduc. Nat., Dati la Sarkoziste à la Culture, Attal le Caporal sur tous les fronts. Ça et toute la cohorte des crétin.e.s patenté.e.s, sous-ministres et parlementaires, choisies par Sa Majesté en chef d’un État de police au nom de ses seules intuitions. Incroyable, quand on y pense, cette constance dans la foirade, non ?
Jusqu’à cette dernière manœuvre qui, l’air de rien, risque de nous plonger pour longtemps dans la honte d’être nés quelque part, c’est-à-dire dans cette France déjà ravagée par un État séparé du réel et – peut-être – bientôt livrée aux postfascistes. On comprend mieux, désormais, de quoi, sous son masque, le macronisme était le nom : une infinie glissade vers le pire chaque jour recommencé. Enfin quand je dis « on », je m’entends, c’est d’ « eux » dont je parle : les castors du vote utile, les décérébrés diplômés, les ni-de-gauche ni-de-droite, les cohn-benditisés devenus glucksmaniens et tous les autres. Macron-la-Honte les a tous niqués. Reste à savoir si son hubris n’est pas en train de le perdre pour avoir tenté le coup de trop, son dernier.
Les médiocrates naviguent à vue, et ça se voit. Après avoir tenté, des mois durant, de diaboliser Méluche avec cette constance dans la haine qu’on leur connaît, mais sans réel succès au vu du résultat – finalement honorable – de la liste LFI-Nupes aux européennes, on les sent désormais douter quant à la santé mentale de l’Astre élyséen. Se pourrait-il que le Disruptif en chef ne soit rien d’autre qu’un Cintré majuscule ? Ça se sent dans les mimiques d’Apathie, dans les froncements de sourcils réprobateurs d’Apolline de… Ça se sent, oui : ça tangue dans la caste des chiens de garde. Tout ça pour ça : des tonnes de panégyriques sur le meilleur d’entre tous, l’extralucide, le si beau, le si jeune et tout et tout… Restent les invariantes groupies Cabana et Elkrief, mais bon, le doute est là : et si, en confisquant l’élection européenne à son seul « profit » de capitaine d’escadron et en tentant un banco à long terme, était le pas de trop de sa stratégie du chaos ? Car il est des claques qui réveillent. Et des trouilles qui montent, et pas seulement de notre côté.
Écrite à chaud, cette digression risque d’être démentie dans les trois semaines qui viennent. C’est le jeu. Mais pour l’instant, on sent la Macronie fébrile et les fachos en costard se chier dessus à l’idée de devoir sortir des catacombes pour entrer dans l’histoire – les vrais, eux, les durs, les nazillons, trépignent d’impatience à l’idée de pouvoir ratonner en toute légalité). Quant à la gauche, plutôt preste à aligner ses troupes derrière ladite ruffinesque – mais originellement mélenchonienne – proposition de « Front populaire », semble assez globalement ravie de son coup. Ça vaut ce que ça vaut, bien sûr, ça durera ce que ça durera, mais ça crée à l’évidence une dynamique d’espérance, dans la jeunesse notamment – les rues de Paris en attestent chaque soir –, mais aussi chez celles et ceux qui auraient beaucoup à perdre avec une Assemblée verrouillée par les racialistes d’extrême droite. À bien y penser, là encore, le Clausewitz du Touquet, aussi inspiré qu’un Chirac jouant, en 1997, la dissolution pour accroître sa majorité et se retrouvant à poil, a peut-être eu tort de mettre le feu à la plaine. D’autant que, pour l’éteindre, il faudra qu’ils rament, les petits bras macronistes.
Au bilan d’aujourd’hui, Macron a tapé dans une bouse qui lui a sauté à la gueule. Il est merdeux, et ça se voit. La droite, avec laquelle il pensait faire alliance, est en train de finir en capilotade après le ralliement de Ciotti et de sa bande au parti fondé par des waffen-SS – ce qui fait désordre pour un « gaulliste », même de petite taille comme l’immoral niçois. Philippe (Edouard), qui a déjà perdu ses cheveux, ce qui ne l’empêche pas de s’en faire, ne voit plus d’horizon que dans l’appel aux hollandistes pour rallier la liste de la « majorité » présidentielle et affaiblir celle du « Front populaire », ce qui est d’autant plus grotesque que c’était déjà leur choix. Quant au Clausewitz du Touquet, invariablement optimiste (en apparence), il tape comme un sourd sur les mêmes frontistes-populaires au prétexte qu’ils seraient dans la pogne de « l’antisémite » Méluche. C’est la preuve que lui et ses sinistres suiveurs sont prêts à tout, y compris à salir la nécessaire lutte contre l’antisémitisme en galvaudant, par inconscience ou infamie, ce que cette qualification précise signifie précisément, mais aussi qu’ils ont la trouille au ventre et qu’ils ont raison de l’avoir.
Macron est comme ça, hautain, teigneux et dominateur. Il aurait pu continuer à détisser la toile de nos solidarités sociales et humaines en laissant matraquer toutes les dissidences avant d’embaucher chez BlackRock en 2027. Mais non, il veut disrupter, c’est même sa marque de fabrique, une manie consubstantielle au personnage, comme sa vanité. Du coup, il dissout. Pour gagner – ce qui n’est pas gagné – ou pour cohabiter avec Bardella, c’est-à-dire avec le pire qu’il nous réserve. Le problème avec Macron, c’est qu’il ignore ses propres limites, ce qui atteste qu’il est surtout bête à manger du foin.
Le plus marrant, dans cette période pas drôle, c’est que, par une de ces étranges pirouettes dont l’histoire a le secret, il pourrait se retrouver dans la situation un peu bêbête pour un stratège de génie, où pris à son propre piège et submergé par la dynamique du « Front populaire », il se voit obligé de cohabiter avec le « Diable », le vrai, le seul pour lui, dont je tairai le nom.
Avouez que ce serait drôle comme fin de règne…
Freddy GOMEZ
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