Kanaky/Nouvelle-Calédonie : l’histoire se répéterait-elle ?

L’actualité de la Nouvelle-Calédonie apparaît hantée par une inquiétante étrangeté. La grande erreur de Macron et de ses équipes est d’avoir pensé qu’il était possible de manipuler l’histoire et la réalité. Prétendre que la Nouvelle-Calédonie est « un bout de France dans le Pacifique », c’est s’aveugler sur le fait colonial. Par Isabelle Merle et Francis Sitel

Association d’historien.n.e.s et d’enseignant.e.s créée en 2005 contre la loi du 23 février 2005 sur l’enseignement du « rôle positif » de la colonisation

L’actualité de la Nouvelle-Calédonie apparaît hantée par une inquiétante étrangeté.

Révoltes des Kanak, barrages, incendies. Une menace de chaos, cette fois au cœur de « Nouméa la blanche », qui alimente la grande peur de certains européens de se voir menacés dans leurs biens, voire leurs vies, par la « sauvagerie des indigènes [1] ».

Des jeunes manifestants laissent exploser leur colère, et se voient confrontés à des milices caldoches surarmées. Et à un État français qui déploie ses moyens répressifs : GIGN, RAID, blindés de la gendarmerie, contrôle du port et de l’aéroport par l’armée. Une violence toute coloniale qui ne saurait dissuader une jeunesse qui n’a pas connu les traumatismes de la fin des années 1980 de se révolter. Quitte à ne pas toujours respecter les appels des « anciens » au calme et à la modération.

Un retour du refoulé colonialiste ! (a)

Comme si les plus de 3 décennies qui ont suivi les accords de Matignon et Nouméa se voyaient subitement effacées.

Ce tableau appelle à être observé en accommodant la vision par une prise en compte des données contemporaines.

Depuis les années 1980-1990 le monde a changé, énormément. La Nouvelle-Calédonie aussi… Rappel d’une évidence qui invite à être vigilant quant aux possibles courts circuits temporels.

La politique de l’État français menée ces dernières années (au cours du premier quinquennat de Macron, avec Sébastien Lecornu ministre des Outre-mer, et à présent avec Darmanin ministre de l’intérieur en charge du dossier) obéit à une perspective stratégique. Le Pacifique, avec la confrontation entre les États-Unis et la Chine, s’affirme comme l’épicentre des rapports de force mondiaux. Une Nouvelle-Calédonie française représente un atout pour la moyenne puissance impérialiste qu’est la France. Au-delà des intérêts économiques (le nickel), susceptibles d’être défendus selon d’autres modalités qu’une mainmise directe sur le territoire, il s’agit de la zone maritime (qui représente 20 % du domaine maritime français) et de confirmer la France comme un acteur dudit Indo-Pacifique.

On peut discuter de la légitimité et du réalisme d’une telle ambition. Il paraît en revanche évident que la méthode macroniste se révèle, elle, anachronique. La politique du passage en force, l’alignement sur la droite caldoche la plus réactionnaire, le mépris affiché à l’égard du peuple kanak, ont conduit à une posture d’arrogance néocoloniale et à une multiplication de provocations. Avec aujourd’hui la répression massive et la dénonciation des organisations indépendantistes comme des groupes maffieux, voire terroristes…

Le gouvernement s’est entêté à répéter qu’en France la démocratie veut que les élections se tiennent à la date prévue (cela contre toute évidence), que le principe « un homme, une voix » doit être respecté (les exclus du droit de vote apprécieront [2])… Le confusionnisme peut faire florès ici, mais là-bas (au bout du monde !) le message a immédiatement été compris : il s’agit de renouer avec la logique de la colonisation de peuplement, de maintenir les Kanak en minorité, donc d’une volonté d’en finir avec le processus promis de décolonisation. Cela sur un fond d’inégalités et d’injustices dont les Kanaks et les autres Océaniens sont victimes, et de privilèges pour les européens et les « expatriés ».

L’histoire est vivante. Les Kanaks et les indépendantistes peuvent compter sur la solidarité d’une gauche qui dans sa diversité n’a pas totalement oublié ses engagements anti-colonialistes. Ce qui vaut confrontation avec les tropismes colonialistes réactivés à l’extrême droite et une bonne partie de la droite.

La grande erreur de Macron et de ses équipes est d’avoir pensé qu’il était possible de manipuler l’histoire et la réalité. Prétendre que la Nouvelle-Calédonie est « un bout de France dans le Pacifique » (b), c’est s’aveugler sur le fait colonial. Les Kanak ne peuvent l’accepter, et aucune composante de la société calédonienne ne peut ignorer qu’il ne saurait y avoir de perspective d’avenir fondée sur un tel déni.

Démonstration faite que la connaissance du passé ne saurait être méprisée lorsqu’on affronte le présent et qu’on ambitionne de proposer un projet d’avenir. Une condition certes insuffisante, mais nécessaire.

Nous pouvons donc affirmer que jamais l’histoire ne se répète ; elle se contente de perdurer dans ses erreurs.

(a) : Carine Fouteau, « Nouvelle-Calédonie : le dramatique retour du refoulé colonial », Mediapart, 16 mai 2024.

(b) : Cf. l’éditorial du Figaro le 18 mai 2024 : « Ce bout de France qui doit le rester ».

[1] Perception classique, raciste et apeurée, que suscitent chez les colons les révoltes des colonisés. Cliché qui n’est pas sans écho dans la situation présente…

[2]  Il s’agit ici des immigrés de longue date qui sont privés du droit de vote (y compris aux élections locales)  faute de nationalité française reconnue. Une revendication ancienne toujours pas satisfaite…   La question est utilisée de manière polémique par certains de manière inversée : les mêmes qui demandent le droit de vote pour tous les résidents ici, le refusent à tous les résidents en Nouvelle-Calédonie

https://blogs.mediapart.fr/cvuh/blog/290524/kanakynouvelle-caledonie-l-histoire-se-repeterait-elle

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