Nouvelle-Calédonie, France et valeurs européennes

Arthur Colin

26 mai 2024

Lettre d’instructions du 19 juillet 1972 de Pierre Messmer, Premier ministre, à son secrétaire d’État aux DOM-TOM Xavier Deniau :

« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants.

Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire. La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.

À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants.

Afin de corriger le déséquilibre des sexes dans la population non autochtone, il conviendrait sans doute de faire réserver des emplois aux immigrants dans les entreprises privées. Le principe idéal serait que tout emploi pouvant être occupé par une femme soit réservé aux femmes (secrétariat, commerce, mécanographie).

Sans qu’il soit besoin de textes, l’administration peut y veiller.

Les conditions sont réunies pour que la Calédonie soit dans vingt ans un petit territoire français prospère comparable au Luxembourg et représentant évidemment, dans le vide du Pacifique, bien plus que le Luxembourg en Europe.

Le succès de cette entreprise indispensable au maintien de positions françaises à l’est de Suez dépend, entre autres conditions, de notre aptitude à réussir enfin, après tant d’échecs dans notre Histoire, une opération de peuplement outre-mer. »

Les débats sur les maux de la Nouvelle-Calédonie font souvent appel, au-delà des énormes disparités économiques, sociales et éducatives, aux racines de la prise de possession. Cette lettre d’instructions, que l’on peut sans excès qualifier d’abjecte, illustre la vision de l’Etat du fort mouvement d’émigration vers l’île initié par la fin de la guerre d’Algérie. Elle précède de 16 ans (soit proche de la vision d’un « nouveau Luxembourg » de Pierre Messmer) le point d’orgue d’Ouvéa, qui s’inscrit donc non seulement dans une histoire immémoriale mais aussi dans une réalité politique immédiate.

Elle date de 1972, soit un an avant l’élargissement au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark. Elle intervient donc en pleine période d’expansion et de consolidation démocratique de l’Europe. A ce titre, elle nous interpelle non seulement par rapport aux valeurs humanistes qu’a toujours voulu porter la République, mais aussi par rapport aux principes fondateurs de l’Europe.

Le Président de la République vient de déclarer, en arrivant ce dimanche à Berlin : « Je suis convaincu que c’est l’Europe qui permet de défendre la démocratie, l’absence d’hégémonie sur notre continent. »

En 2018, il avait su, à Ouvéa, trouver les gestes et les paroles pour fermer les plaies.

La circulaire Messmer de 1972 reste une blessure ouverte pour le peuple Kanak qui n’a jamais été officiellement refermée, même si le préambule de l’accord de Nouméa de 1998 dit « la décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie ».

Il n’appartient pas à Sauvons l’Europe de s’immiscer à 20 000 km de distance, dans les débats et les conflits qui secouent l’ensemble des communautés, au demeurant fort complexes, de la Nouvelle-Calédonie. Il ne nous appartient pas davantage d’avoir la présomption d’indiquer les voies pacifiques permettant de retrouver les chemins du dialogue et de la paix civile. Qu’il nous soit simplement permis de dire que la lettre de Messmer mérite d’être frappée d’indignité nationale et européenne.

https://www.sauvonsleurope.eu/nouvelle-caledonie-france-et-valeurs-europeennes/

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