Publié le 8 mai 2024
Juif·ve·s et décoloniaux·ales
Pour une parole juive décoloniale
Tsedek ! est un collectif de juifs et juives décoloniaux·ales luttant contre le racisme d’État en France et pour la fin de l’apartheid et de l’occupation en Israël-Palestine. Nous sommes en rupture avec les discours promulgués par les institutions juives censées nous représenter et par la majeure partie des collectifs juifs antiracistes français. Il est grand temps de faire entendre notre voix et de construire ensemble un front juif antiraciste et décolonial. Ce manifeste en est le premier jalon.
En tant que militant·e·s juifs·ve·s décoloniaux·ales, nous comprenons à quel point notre société est structurée par son histoire coloniale et raciale. En tant que juifs et juives, nous n’oublions pas que c’est aux États-nations européens que nous devons notre destruction, celle de nos histoires et de nos cultures. Que ce sont eux qui ont fait du Juif un parasite, un corps étranger à l’État, justifiant les persécutions et l’extermination des juifs et juives d’Europe. Eux encore qui ont causé l’arrachement des juif·ve·s des pays arabo-musulmans aux sociétés qui étaient les leurs, par la mise en concurrence des colonisé·e·s et le soutien qu’ils ont apporté au projet nationaliste et colonial sioniste.
Aujourd’hui, l’État français et sa politique assimilationniste continuent d’abîmer les juif·ve·s. Ni trop visibles, ni trop barbares, nous sommes acceptables à condition de rester des victimes éternelles, pour permettre à l’État de se rêver comme notre protecteur. En réalité, il continue de fabriquer les conditions de notre disparition par son racisme et son rapport identitaire à la laïcité, la mise en avant d’une prétendue culture « judéo-chrétienne », et l’association des juif·ve·s français·es à l’État d’Israël – faisant de nous des citoyen·ne·s à part.
Être juif·ve et le rester – L’histoire des communautés juives a donné naissance à des rapports multiples au judaïsme, à la judéité et aux non-juif·ve·s. Cette pluralité s’est heurtée aux murs de l’identité blanche des États-nations européens, qui ont fait des juifs l’une des premières figures de l’altérité. Né de cette modernité européenne, le sionisme a fabriqué une version réductrice, anhistorique et ethno-nationale de l’identité juive. Avec le soutien des pays occidentaux, il s’est constitué comme le prolongement du judaïsme, voire comme son incarnation, et a transformé notre expérience de la judéité en France.
En faisant du discours religieux un discours nationaliste, le sionisme détruit et déforme les fondements du judaïsme et adopte précisément les structures à partir desquelles les juif·ve·s ont été historiquement exclu·e·s de la société occidentale : État-nation, colonialisme et race.
Tsedek ! rassemble des juives et juifs de différentes origines, croyant·e·s et athé·e·s, aux parcours divers. Pour nous, la création d’une ethnocratie n’est pas la condition préalable à l’émancipation et à l’autodétermination des juif·ve·s. Nous nous réapproprions une identité juive en la conjuguant à la lutte antiraciste et en proposant une alternative culturelle, qui met en avant la préservation des cultures juives et la solidarité avec d’autres minorités et groupes historiquement opprimés. Notre judéité se décline autour de traditions partagées, de joie, de poursuite de la justice sociale et de la réparation du monde qui repose sur trois piliers : justice, paix et vérité.
Pour un militantisme internationaliste contre le colonialisme, le fascisme et l’impérialisme – Nous voulons nous battre aux côtés de celles et ceux qui luttent contre la violence économique, politique et symbolique que continue d’exercer la France néocoloniale sur le monde, notamment dans les outre-mers et en Afrique. Les politiques françaises et européennes de l’immigration et le traitement xénophobe des exilé·e·s ne sont que d’autres manifestations de la colonialité occidentale. De Calais à Lesbos, les frontières, les murs et les barbelés tuent, et nous nous tenons aux côtés des migrant·e·s et des travailleurs·euse·s sans-papiers.
Contre le racisme d’Etat
La lutte contre l’antisémitisme est une lutte pour l’égalité, qui s’inscrit aux côtés d’autres combats antiracistes – Nous sommes en rupture avec les institutions étatiques et les organisations qui prétendent combattre l’antisémitisme en le définissant comme un racisme exceptionnel, à part, et en le réduisant à des comportements individuels et anhistoriques. Ce qui devrait être une lutte pour un monde plus juste, partout et pour tous·tes, se voit instrumentalisé au profit d’une entreprise moralisatrice et trop souvent détourné comme un outil de gouvernance raciste ou de défense du projet colonial sioniste.
Refuser d’identifier les forces structurelles qui produisent le racisme empêche la convergence des luttes antiracistes, protège les intérêts de l’État, et offre un boulevard à l’autoritarisme. Comme tout racisme, l’antisémitisme contemporain est un phénomène politique. Bien qu’ayant ses spécificités historiques et étant façonné par diverses mutations, il reste un produit du nationalisme et de la suprématie blanche, qui nourrit les idéologies réactionnaires. Notre réponse doit donc aussi être politique. Nous refusons de séparer la lutte contre l’antisémitisme des autres combats antiracistes, et souhaitons participer à la construction d’un projet politique de justice pour tous·tes.
Dépasser l’instrumentalisation de l’antisémitisme – En France et ailleurs, des organisations conservatrices pro-Israël et des institutions étatiques qui prétendent lutter contre l’antisémitisme perpétuent l’amalgame « juif = sioniste » en présentant toute critique du sionisme, de l’occupation, ou de l’apartheid israélien comme intrinsèquement antisémite. Nous refusons que la lutte contre l’antisémitisme soit détournée de son objectif égalitaire pour devenir un outil de gouvernance autoritaire qui cible en particulier les musulma·ne·s, la gauche, et les organisations des droits humains. Nous refusons d’être la caution morale d’un État qui a persécuté et exterminé les nôtres. La sécurité ou les droits des juif·ve·s ne doivent servir à justifier des politiques discriminant d’autres minorités ou limitant la liberté d’expression, comme nous l’avons vu avec l’interdiction de manifestations en soutien au peuple palestinien, la déprogrammation de militant·e·s lors de conférences publiques, ou bien encore l’expulsion d’imams.
Contre l’islamophobie d’État – C’est l’islamophobie qui structure aujourd’hui les nationalismes européens et c’est la figure du Musulman qui représente l’altérité et l’intru. La théorie du grand remplacement, de plus en plus normalisée, légitime la persécution des populations de l’immigration post-coloniale, des réfugié·e·s et demandeur·euse·s d’asile non-blanc·he·s. Les théories du complot caractéristiques de l’antisémitisme sont désormais aussi mobilisées contre les personnes musulmanes, accusées de vouloir déstabiliser et diviser nos sociétés. La mémoire collective ne doit pas fermer les yeux sur les analogies entre l’islamophobie actuelle et l’antisémitisme du siècle passé, ni sur la façon dont la fixation sur un « islamo-gauchisme » imaginaire fait écho au judéo-bolchévisme de la première moitié du XXe siècle. Face au racisme d’État, nous luttons aux côtés de nos camarades ciblé·e·s par l’islamophobie.
Pour la fin de l’apartheid et de l’occupation en Israël-Palestine
L’État d’Israël est une émanation du colonialisme européen et doit son existence à la dépossession des Palestinien·ne·s et à la négation de leurs droits – Ni « conflit religieux », ni « lutte civilisationnelle », mais une situation coloniale en Israël/Palestine. L’oxymore « démocratie juive » ne désigne rien d’autre qu’une démocratie de façade, réservée exclusivement aux juif·ve·s. De fait, seul un véritable processus de décolonisation répondra à un objectif de justice et d’égalité. Aujourd’hui, deux blocs aux forces et aux moyens radicalement inégaux s’opposent : d’un côté un État suprémaciste et colonial qui bafoue le droit international et bénéficie du soutien des puissances occidentales, de l’autre une population colonisée, opprimée et dispersée, dont tout acte de résistance est perçu comme illégitime. Nous nous tenons aux côtés des palestinien·ne·s et des israélien·ne·s qui se battent pour une alternative réellement démocratique, qui accordera les mêmes droits à tous·tes les habitant·e·s de la région, de la Méditerranée au Jourdain.
Le combat antiraciste ne peut qu’être antisioniste – Le sionisme intègre et prolonge les logiques raciales de la modernité européenne. Il cherche à faire des juif·ve·s des blancs comme les autres, à les émanciper avec les mêmes mécanismes qui ont fait d’elles et eux des opprimé·e·s. Dans ce processus, les personnes juives non-européennes ont un statut de candidates à la blanchité, et les Palestinien·ne·s constituent un corps étranger et non assimilable. Nous ne fermerons pas les yeux sur le racisme de l’entreprise sioniste – qui compte aussi des victimes juives – car nous pensons qu’il est important de substituer à la lecture juif·ve/non-juif·ve, discours qui bénéficie au régime israélien, une lecture du rapport colon/indigène.
De nombreuses voix juives au sein des milieux antiracistes français cherchent à concilier antiracisme et sionisme, en le présentant comme un mouvement de libération compatible avec des valeurs dites « progressistes ». Le sionisme est un projet raciste colonial et ethno-nationaliste, dont les liens structurants avec l’antisémitisme sont de plus en plus apparents. Nous le voyons notamment avec le soutien inconditionnel des mouvements d’extrême droite à travers le monde pour la politique israélienne de colonisation et d’apartheid. Les systèmes coloniaux produisent et renforcent le fascisme, la suprématie, et le racisme, y compris l’antisémitisme. Le sionisme n’a pas sa place au sein des luttes antiracistes et anticoloniales, ni dans le combat pour les droits humains. Une voix juive antiraciste ne peut qu’être antisioniste.
Juifs et juives contre l’apartheid israélien – Nous constatons avec inquiétude que pour de nombreuses personnes juives, le judaïsme et le sionisme ne font qu’un, que les juif·ve·s et l’État d’Israël ne font qu’un. Cette articulation traverse tous nos espaces, qu’ils soient familiaux, communautaires ou institutionnels. Ainsi, pour beaucoup de juifs et juives, les appels à la libération de la Palestine sont perçus comme une menace pour notre sécurité. Nous refusons que l’histoire douloureuse de l’antisémitisme soit utilisée pour jouer avec la peur des nôtres et légitimer une entreprise coloniale qui nie les droits des Palestinien·ne·s. Nous pensons au contraire, comme d’autres militant·e·s juif·ve·s antisionistes – d’hier ou d’aujourd’hui, d’Israël ou d’ailleurs – que la sécurité des juif·ve·s, y compris celle des Israélien·ne·s, ne peut passer par la colonisation et l’oppression du peuple palestinien. Nous savons aussi que la colonisation détruit le colon et son humanité. Elle l’expose à la violence conjoncturelle du colonisé, tout comme à celle de son propre système.
Tsedek ! soutient les Palestinien·ne·s dans leur lutte pour la liberté et pour le respect de leurs droits, notamment à travers la campagne BDS (Boycott, Divestment, Sanctions). Tant que le « droit à l’autodétermination des juif·ve·s » se fera au détriment des droits des Palestinien·ne·s, il ne sera pas légitime et nous ne pourrons connaître une paix juste.
En tant que juif·ve·s français·e·s nous ne sommes pas responsables de la politique israélienne, mais celle-ci est menée en notre nom. Nous avons donc la responsabilité de la changer. Solidaires de collectifs juifs antiracistes, anti-occupation et antisionistes dans le monde entier, comme de groupes palestiniens et israéliens, notre combat n’est pas solitaire, il s’inscrit dans un soulèvement international.
P.-S.
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Des membres lyonnais.e.s de Tsedek étaient présents au sein du cortège antifasciste et antisioniste aux côtés de @ReseauAfaLyon
et la Fosse au Lyon.
« La culture de la mémoire est insuffisante ».
Extrait du discours de Wieland Hoban, président de l’organisation allemande
@JSNahost, lors de la table ronde « Décoloniser la lutte contre l’antisémitisme » au Meeting International du 30 mars.
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Extrait du très beau discours de Michèle Sibony de
@contactujfp au Meeting International du 30 mars 2024.
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