2 mai 2024 par Sophie Chapelle
Le programme du Rassemblement national est parsemé de contradictions, évoluant au fil des mobilisations agricoles et des sondages. Les revirements s’opèrent parfois du jour au lendemain, notamment sur les thématiques environnementales. Illustrations.
Publié dans Démocratie
Des pesticides qui « empoisonnent » puis sont indispensables
« Je considère que Monsanto est une entreprise criminelle. Ces entreprises qui, en toute connaissance de cause, empoisonnent notre santé et celle de nos enfants. » Le 28 novembre 2017, Marine Le Pen dénonce sur le plateau de RMC le renouvellement de l’autorisation du glyphosate par la Commission européenne. « Voyez les pesticides, herbicides et autres phytosanitaires, dont le résultat économique est sans aucun doute négatif, une fois pris en compte tous les effets secondaires », ajoute t-elle. Celle qui est alors présidente du Front national se livre à un plaidoyer en faveur des normes et des contrôles. Les parts de marché de l’agriculture française dans le monde viennent de « l’excellence sanitaire agricole et environnementale de nos produits », affirme t-elle encore.
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Or, ces derniers mois, le Rassemblement national (RN, ex Front national) fait la guerre à ces mêmes normes environnementales et sanitaires. Ce parti considère désormais que la baisse de l’usage des produits phytosanitaires nuirait aux capacités de production des filières, et ne mentionne plus leurs effets délétères à long terme.
En février 2023, des député·es RN ont même déposé une proposition de loi en faveur d’une réautorisation des pesticides néonicotinoïdes pour le traitement des betteraves à sucre. Le 22 novembre 2023, le groupe RN – comme l’ensemble de son groupe d’extrême droite au Parlement européen – s’est prononcé contre un projet de règlement visant à réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030 et de 65 % pour les plus dangereux d’entre eux.
Le livret thématique du RN sur l’agriculture, affirme aujourd’hui qu’ « il n’y aura désormais plus d’interdiction de substances actives sans solution équivalente et économiquement soutenable ». Le parti reprend là les termes du syndicat agricole majoritaire FNSEA.
L’agriculture bio soutenue dans le programme, pas lors des votes
Lors de la campagne présidentielle de 2022, Marine Le Pen promet dans son programme « un plan de soutien pour l’agriculture biologique ». C’est précisément l’objet du volet agriculture du Pacte vert européen (« Green Deal ») qui prévoit une hausse de 25 % de surface cultivée en bio.
Mais dans l’hémicycle européen, le RN vote systématiquement contre la stratégie dite « de la ferme à la fourchette » – la déclinaison du Pacte vert pour l’agriculture – et s’oppose à tous les textes qui en découlent, notamment sur la montée en puissance de l’agriculture biologique.
Dans le livret thématique agriculture actuellement en ligne sur le site du RN, le parti assure pourtant continuer à défendre un « plan de soutien de cinq ans propre à l’agriculture biologique », tout en votant le contraire au niveau européen. Le RN dit aussi vouloir « contraindre les cantines à utiliser 80% de produits agricoles français », mais n’apporte aucune précision sur la qualité de ces produits ni sur leur mode de production.
Il s’affiche contre la bétonisation mais s’oppose à préserver les terres agricoles
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Depuis les protestations des agriculteurs et des agricultrices en début d’année, un nouveau visuel du RN réclame de « garantir la préservation des terres agricoles face à l’urbanisation excessive ». Pourtant, quelques mois plus tôt, à l’été 2023, le groupe RN à l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité pour l’assouplissement de la loi zéro artificialisation nette (ZAN). Ce texte visait justement à ralentir drastiquement l’artificialisation des sols.
Le RN communique sur la défense des revenus agricoles puis s’abstient sur le sujet
Un jour, un avis. On pourrait résumer ainsi la position du RN sur les prix planchers pour les agriculteurs. L’idée est de fixer un prix en dessous duquel l’industriel ou le distributeur ne peut descendre lors de l’achat d’une matière première agricole. Fin février, Jordan Bardella, président du RN, s’y oppose. « Au niveau français, c’est une trappe à pauvreté parce que précisément, on ira se fournir sur le marché européen », estimait-il. Il défendait pourtant cette même mesure la veille. Il aurait suffi d’une discussion avec le président des Jeunes Agriculteurs pour qu’il fasse volte-face.
Deux jours plus tard, Marine Le Pen a affirmé, à l’inverse de son bras droit, avoir toujours défendu l’idée d’« un prix garanti par l’État, qui intervient comme arbitre ». Le 5 avril, le parti s’est finalement abstenu à l’Assemblée nationale lors de l’examen d’une proposition de loi des députés écologistes prévoyant d’instaurer des prix planchers.
Le RN veut rompre avec la Pac puis la défend, au profit des plus gros
En 2019, Jordan Bardella affirme que la Politique agricole commune européenne, la Pac, « doit laisser place à la politique agricole française, pour protéger le savoir-faire et l’excellence agricole nationale ». Mais le 23 novembre 2021, son parti vote finalement au Parlement européen le règlement général de la nouvelle Pac 2023-2027, qui continue de verser les primes à l’hectare et demeure aveugle au changement climatique. Interrogé à ce sujet lors du dernier salon de l’agriculture à Paris, Jordan Bardella tente de se défendre : « La Pac, c’est mieux que rien : je l’ai votée parce que ça va dans le bon sens ».
Un an plus tôt, en octobre 2020, un amendement vise à plafonner les aides de la Politique agricole à 60 000 euros par an par exploitation. L’objectif pour les eurodéputés écologistes est d’assurer une meilleure distribution des subventions, et de ne pas laisser sur le côté les petites fermes. L’ensemble de l’extrême droite s’y est opposé. Selon les données de l’Union européenne, 80 % des paiements de la Pac sont allés aux 20 % d’exploitations les plus lucratives en 2019.
Sophie Chapelle
Photo : Marine Le Pen au Parlement européen/CC BY-NC-ND 2.0 European Parliament via flickr.
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