Trois mois : c’est le temps qu’il reste à près de 3 000 étudiantes et étudiants précaires, logé·es dans les résidences du CROUS, pour faire place nette avant les JO. Leurs studios doivent être réquisitionnés pour accueillir des fonctionnaires. Un collectif de jeunes concernés s’est formé, tandis qu’un recours en justice initié par le syndicat Solidaires Étudiant-e-s donnera lieu à une série d’audiences. La première se tient ce vendredi 29 mars.
Un chèque de 100 euros et… deux billets d’entrée pour les Jeux Olympiques et Paralympiques. Voici ce qui est proposé à près de 3 000 étudiantes et étudiants précaires forcés de quitter, avant le 30 juin, leurs studios dans leurs résidences CROUS (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires). Pas moins de 3 263 logements étudiants doivent être réquisitionnés dans le cadre des JO, pour y accueillir des policiers, pompiers, ou encore du personnel médical, à proximité des sites sportifs.
« Ces deux places pour les JO, j’ai trouvé cela assez irrespectueux », dénonce Lisa*, hébergée dans un CROUS parisien qui fait partie des 12 résidences concernées. « Déjà, beaucoup d’entre nous travaillerons ou serons en stage à cette période. Ce n’est pas tout le monde qui va aux JO. Et puis, quel est l’intérêt d’aller voir la cérémonie d’ouverture, si l’on est relogé très loin ? C’est comme nous donner un os, pour nous apaiser… Nous, on veut juste que l’on ne nous expulse pas. »
En cette fin mars, des étudiant·es ont déjà commencé à quitter leurs logements. Dans la résidence de Lisa, ils sont trois ou quatre. « Une trentaine d’étudiants seront relogés à compter de la semaine prochaine », annonce le CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires), sollicité par Rapports de Force. Les déménagements promettent de s’intensifier courant mai, et encore plus en juin, juste avant cette date butoir du 30.
Si 3263 étudiant·es sont concerné·es, le nombre de départs contraints « sera bien moindre, en particulier parce que certains étudiants quitteront de manière anticipée leur logement avant l’été 2024, n’ayant plus besoin d’un logement CROUS dans la suite de leur parcours », nuance le CNOUS. Dès juillet, les fonctionnaires et personnels impliqués dans l’organisation des JO doivent pouvoir s’installer à leur place dans les studios. Et ce jusqu’à la fin du mois d’août.
Une série de recours en justice contre les expulsions des étudiants pendant les JO
L’annonce de ces réquisitions était tombée à l’été 2023. « Les étudiant.es ne peuvent pas être une marge d’ajustement des Jeux Olympiques », avait réagi Solidaires Étudiant-e-s en août 2023. Le syndicat avait alors sollicité l’avocate Marion Ogier pour lancer un recours en justice auprès du tribunal administratif de Paris. Celui-ci avait suspendu la procédure, dans la mesure où les CROUS n’avaient pas consulté leurs conseils d’administration sur le sujet. Par la suite, les CROUS se sont mis en conformité, en convoquant ces conseils d’administration pour valider les réquisitions.
Dans l’intervalle, le Conseil d’État, saisi sur la question, s’est également prononcé. Dans son jugement du 29 décembre 2023 il affirme que rien ne s’oppose en droit au principe de réquisition des logements pour un autre public. Mais « si le droit l’autorise, nous défendons le fait que le CROUS s’est écarté de sa mission qui est la sienne. À savoir, assurer les meilleures conditions d’études qui soit. Et donc, qu’en prenant cette décision, il commet une “erreur manifeste d’appréciation” », expose Marion Ogier, l’avocate de Solidaires Étudiant-e-s.
À partir de ce constat, une série de nouveaux recours en justice vient d’être lancée, à laquelle l’UNEF s’est jointe, aux côtés de Solidaires. Ce vendredi 29 mars, une première audience concernera le CROUS de Créteil. Le 4 avril, une deuxième audience visera le CROUS de Versailles. Enfin, une troisième audience pour le CROUS de Paris devrait se tenir courant mai.
Les modalités de mise en oeuvre des réquisitions, validées dans les délibérations des conseils d’administration, sont également attaquées en justice. Dans tous les CROUS, elles sont « rédigées dans les mêmes termes : en réalité, elles ont été écrites en haut, au niveau ministériel », avance Marion Ogier. Premier problème selon elle : les possibilité de relogements y sont conditionnées à l’existence de logements vacants au sein d’autres résidences CROUS. Le relogement n’est donc pas une obligation ni une garantie pure et simple. Ensuite, « la décision du CROUS ne doit pas engendrer de conséquences préjudiciables, notamment sur le plan financier. Or, là, on a un chèque de 100 euros et deux places pour les JO : ce n’est pas suffisant ! », explique encore l’avocate.
Dans un communiqué datant d’août dernier, suite à la décision du tribunal administratif de Paris, le CNOUS se voulait rassurant sur ces deux points. « Il ne sera jamais question de priver un étudiant de logement pendant les Jeux Olympiques de Paris 2024. (…) Les étudiants qui pourraient être amenés à changer provisoirement de logement afin d’assurer la sérénité du fonctionnement des résidences universitaires pendant la période des Jeux bénéficieront d’un relogement à proximité, sans surcoût, et d’une prise en charge des coûts de déplacement ».
« On n’est pas assez riches pour gérer un déménagement aussi brutal »
Pourtant, aujourd’hui, du côté des étudiantes et étudiants, c’est bien l’inquiétude qui domine. D’abord sur l’aspect financier : 100 euros, « c’est dérisoire », commente Lisa, qui habite depuis deux ans dans son logement CROUS. « Certains voisins habitent là depuis trois, quatre ans. On a une accumulation de choses qu’il faudrait bouger. On est dans des situations de précarité : on n’est pas assez riches pour gérer un déménagement aussi brutal ».
Y aura-t-il donc des aides supplémentaires ? « Les CROUS franciliens mettront à disposition des étudiants tout le matériel nécessaire pour réaliser le transfert (cartons, scotch, etc.). En fonction des besoins des étudiants, les CROUS pourront également mettre à disposition, sur des plages horaires dédiées, des solutions collectives de transport des effets personnels vers les nouveaux logements », indique la communication du CNOUS.
Mais pas d’enveloppe financière égale partout : chaque CROUS décidera des moyens à allouer. « Tout est laissé à la libre volonté des CROUS », déplore Esther, porte-parole de Solidaires Étudiant-e-s.
Autre inquiétude : déménager, mais pour aller où ? Le flou demeure, à seulement trois mois de l’échéance. « Les étudiants ne savent pas où ni comment ils seront expulsés », résume Esther. « C’est hyper stressant », conclut Lisa. « Devoir réviser des partiels, des examens, tout en pensant à un déménagement qui se fait de manière très rapide… Ce n’est pas normal de devoir penser à autant de choses, alors que l’on devrait avoir le droit d’étudier comme tout le monde ».
Pendant les JO, la moitié des étudiants ont besoin d’être relogés « à proximité immédiate » de son lieu de vie
Selon les résultats d’un questionnaire envoyé en janvier à tous les résidents concernés, 61 % des étudiants ont exprimé un besoin de relogement. « Cela montre bien que la vie étudiante ne s’arrête pas pendant l’été, après la fin des cours », souligne Esther. « Il y en a qui travaillent, d’autres qui ont des stages, d’autres encore qui ont des formations. Si l’on nous éloigne de notre cadre de vie, avec tous les problèmes de transport qu’il y aura pendant les JO, ça va être deux mois très compliqués », s’inquiète Lisa.
La moitié des étudiants souhaitent ainsi être relogés « à proximité immédiate », révèle encore ce questionnaire. Le CNOUS affirme qu’il est « trop tôt » pour être précis dans les solutions qui leur seront apportées. Mais promet en même temps que ces demandes seront « satisfaites ». Les étudiants procèdent actuellement à leurs dossiers de renouvellement pour l’année universitaire : « au fur et à mesure que leurs souhaits remontent, les CROUS peuvent ainsi identifier progressivement les logements susceptibles d’être libérés durant l’été et qui permettront de reloger les étudiants », avance ainsi le CNOUS.
Sauf qu’il reste encore une marge : certains étudiants n’ont pas encore répondu au questionnaire, et pas moins de 49 % des étudiants ont indiqué n’être pas sûrs de leurs réponses à ce stade. « Effectivement, beaucoup d’entre nous seront dès le mois de mai-juin en recherche de master, d’école ou de stage, ce qui nous empêche de nous prononcer dans l’immédiat », indique la ResCrous à ce sujet. La ResCrous est un collectif d’étudiants concernés par ces réquisitions, fondé en tout début d’année. Des représentants ont été élus pour chaque résidence.
Lisa en fait partie. Elle raconte le porte-à-porte effectué, depuis, par des membres du ResCrous comme elle dans les résidences. À cette occasion, elle réalise que « plusieurs étudiants étrangers ont découvert qu’ils allaient être expulsés. Il y a la barrière de la langue, et il est rare que le CROUS traduise ses mails en anglais… C’est grave : on est presque en avril, et ces étudiants commencent juste à être au courant. »
Après les JO, la peur que la pratique des expulsions d’étudiants « se pérennise »
Le CNOUS promet un suivi individuel de chaque jeune, d’ici juin. Pour l’heure, Lisa n’a reçu qu’un seul appel téléphonique, d’une fonctionnaire du CROUS. « Elle était très insistante. Elle me disait : “quand est-ce que vous comptez partir ? Il faut partir maintenant, sinon ça va être compliqué“… Je lui ai demandé : “si je pars en juin, est-ce que j’aurai un logement à Paris ?” Elle ne savait pas quoi répondre, elle cherchait ses mots. Elle m’a laissé entendre que plus je partirais tôt, plus j’aurais de chance d’en avoir ».
« On a peur que cette pratique se reconduise », alerte Esther, de Solidaires Étudiant-e-s. « C’est toujours comme ça avec les JO : on commence à faire jurisprudence, et cela se pérennise ensuite. Cette année, ce sont les JO : que se passera-t-il les années suivantes ? », s’inquiéte Esther. En attendant le déroulé des audiences en justice, un rassemblement est prévu par la ResCrous et Solidaires Étudiant-e-s le 6 avril devant le ministère des Sports.
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