26 mars 2024 par Augustin Campos
Arboriculture, brebis, épicerie, boulangerie, herboristeries… Dans la Drôme, la ferme bio des Volonteux a misé sur le collectif et la diversité des activités. En Scop, elle fait travailler 22 personnes sur une petite surface.
Publié dans Alternatives
Au premier coup d’œil, elles semblent là pour le décor, les 80 brebis broutant entre les pêchers et les poiriers dégarnis, à proximité du jardin pédagogique. Mais en réalité, elles ont une mission dans l’écosystème de la ferme bio des Volonteux, installée dans un coin de plaine en périphérie de Valence, dans la Drôme. Une mission qui demande chaque semaine plusieurs heures de travail, afin de déplacer et nourrir cet élevage pourtant non « rentable ».
Aujourd’hui, à l’orée du printemps, elles iront débroussailler une nouvelle parcelle, non loin des rangées bleutées de poireaux, derrière les très angulaires serres arboricoles. Surtout, dans cette coopérative aux nombreuses activités, brebis, agneaux et vaches fournissent du fumier pour les cultures.
« Cet élevage n’est pas un outil de production, mais il fait partie du cercle vertueux de la ferme et nous permet d’être quasi autonomes sur la partie fumure pour nos cultures », dit Rémy Léger, l’énergique fondateur de la coopérative agricole, qui exploite en fermage depuis 2009 la trentaine d’hectares de terres familiales. « On n’en tire aucun bénéfice en apparence, mais en réalité c’est du gasoil et du temps d’utilisation du tracteur en moins, et à la fin, ça se quantifie », complète David, pépiniériste installé sur la ferme depuis neuf ans.
Ici, l’élevage côtoie entre autres l’arboriculture, le maraîchage, la pépinière, les céréales et la boulangerie, l’épicerie ou encore la fripe. Dix entrepreneurs-salariés et douze salariés au régime des 35 heures – entre 15 et 20 postes équivalent temps plein selon les périodes – composent cet écosystème fragile mais pérenne, et garant d’une protection sociale pour tous ses membres.
Égalité salariale
Le principe de l’égalité salariale prime. Tous et toutes, associés ou salariés, commencent à la ferme au Smic, avec une prime de 20 euros mensuels en plus par année d’ancienneté pour les seuls associés. Les associés, qui ne sont pas aux 35 heures et font souvent des semaines de plus de 50 heures, ont aussi droit à l’équivalent de 300 euros de nourriture par mois sur tout ce qui est vendu dans l’épicerie. Les salariés bénéficient d’un panier par semaine de fruits et légumes de la ferme.
Au sein de cette ferme établie sur 30 hectares de terres, la diversification et la complémentarité des activités sont aussi vitales. Occupé à rempoter du thym, David, entrepreneur-salarié, est un convaincu de la première heure de la nécessité de ce modèle égalitaire et pluriel. « Il n’y a pas si longtemps, on nous traitait encore d’utopistes, et aujourd’hui on se rend compte que même les plus gros éleveurs porcins de la Beauce, qui ont 1000 hectares, mais qui n’arrivent parfois pas à s’en sortir, commencent à regarder nos modèles en disant : comment vous faites pour fonctionner à plus de 20 salariés sur 30 hectares ? C’est la diversification qui permet ça ! »
Établie dans la serre bi-tunnels voisine, équipée d’ouvrants qui s’activent au gré de la chaleur ou du vent, la pépinière en est un bel exemple. Lancée en 2017, elle n’est pas rentable, mais joue cependant un rôle primordial : elle permet d’essayer les nouvelles semences et de renforcer l’autonomie de la ferme. Aujourd’hui, l’activité, qui repose principalement sur la vente de plants aux particuliers et les visites pédagogiques, fournit un quart des plants de l’activité maraîchage. À terme, elle devrait en assurer 80 %. « C’est un maillage de différentes activités interdépendantes », précise David, qui parle avec enthousiasme « d’économie circulaire ».
Face aux nombreux aléas, notamment climatiques, auxquels est confronté un monde agricole ayant manifesté sa colère et son inquiétude comme rarement ces dernières semaines, Rémy, l’inépuisable gérant et responsable des pôles arboriculture et élevage, est convaincu de la nécessité de développer ce type de modèle, qui aspire à l’autonomie. « Cette organisation sociale et cette diversité de pratiques amènent une résilience économique, dans un monde hostile économiquement et qui va devenir de plus en plus dur écologiquement », explique l’agriculteur, qui s’appuie sur le modèle ancien des fermes polyculture élevage du début du 20e siècle. Une organisation économique et sociale inspirante pour cette âme motrice dans la coopérative. Lui qui, dans son large sweat à capuche gris, il y a encore 15 ans, ne connaissait l’agriculture qu’à travers l’expérience de ses grands-parents paysans.
Une épicerie, une boulangerie, un tiers-lieu
« Ce que je trouve intéressant dans la structure coopérative c’est de ne pas être centré uniquement sur l’agriculture. Mes grands-parents me racontaient que les vanniers italiens venaient faire les chaises, d’autres laver le gros linge, et les gens du coin chercher les légumes et le fromage. Cela créait une raison d’exister localement », explique Rémy. Il déplore « le manque de soutien économique à ce type de structures, et notamment de la Politique agricole commune européenne », dont la coopérative ne perçoit que « 3000 euros par an ».
« Une résilience économique dans un monde hostile économiquement »
L’esprit de ses grands-parents transparaît dans la coopérative avec l’herboristerie, lancée il y a moins de deux ans, la fripe, lieu d’échange de vêtements de seconde main ouvert en 2020, et le tiers-lieu, créé il y a quelques mois, qui accueille conférences, ateliers et concerts – et « qui n’aura que peu de charges ».
Depuis 2011, l’épicerie est le gage de stabilité de la structure. Elle est comme le cœur de la ferme. Cet « outil autonome » destiné à « créer de la performance », selon Rémy, propose des prix accessibles tout en générant 60 % des 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires de la ferme. « La vente sur place d’une grosse partie de notre production, ça n’a pas de prix », lâche Malcolm, comptable associé de la ferme.
Dans la continuité du magasin, un imposant hangar abrite les tracteurs, le moulin à farine, des caisses de carottes récemment cueillies et, au fond à droite, le discret fournil de la coopérative. Florent, 34 ans, paysan-boulanger, s’occupe des 15 hectares de céréales bio – dont de nombreuses variétés anciennes – et de la boulangerie. La journée, épaulé par une salariée, il moud le grain et pétrit le pain qui, après avoir reposé toute la nuit dans la chambre froide, sera cuit le lendemain matin et vendu à l’épicerie à partir de 9h.
Une Scop qui investit
La totalité des investissements dans le fournil depuis qu’il a été créé s’élève à une « centaine de milliers d’euros », d’après Rémy. Avant l’installation récente de la chambre froide et du four électrique, le pain arrivait en milieu d’après-midi. Un problème en zone périurbaine. Pour y remédier, la capacité d’investissement de la Scop a joué un rôle déterminant dans l’amélioration des conditions de travail et de commercialisation. La clé : la mutualisation des moyens matériels (tracteurs, outils, serres, pelleteuse, etc.), financiers, et des investissements, qui régit le fonctionnement de la coopérative.
« On baisse la charge individuelle de l’activité grâce à la mutualisation, et une fois que la coopérative tourne, on crée une capacité à investir qui est bien supérieure à une personne seule », détaille Rémy. Car les circuits de commercialisation, les terres, le bâti, les systèmes d’irrigation, les outils de production, etc., sont déjà là. Lancer une activité, ou la reprendre, est alors plus facile. « Si j’avais eu un projet de boulangerie comme celui-là, il aurait fallu que je mette 200 000 euros sur le tapis, que je fasse des emprunts, et que je passe un diplôme agricole, que je n’ai pas », raconte, lucide, Florent, les mains dans le pétrin. Avant de reprendre l’activité d’un ancien associé il y a trois ans, ce jeune père a vu « plusieurs boulangers seuls avoir du mal et devenir aigris ».
Le nouveau bâtiment en bois consacré à l’autonomie énergétique, qui vient tout juste d’être construit pour un coût total de 400 000 euros, est un autre exemple de cette capacité de financement rendue possible par la mutualisation. Mais le cheminement vers la mutualisation de toutes les ressources de la ferme a été long et éprouvant. Avant 2019, chaque activité payait un loyer et une contribution, et les moyens de production et de commercialisation étaient communs.
« C’est une lutte au quotidien de dire : pensons différemment, n’allons pas au plus facile »
Pas le reste. Salaires, décisions d’embauche et d’investissements : chaque entrepreneur-salarié décidait seul. « On ne mettait pas son nez chez les autres, et la réalité c’est que, s’il y avait un gros trou, ce qui est arrivé, c’est le collectif qui payait, raconte Rémy, marqué par les deux années précédant cette réforme de la coopérative. C’était un peu aberrant. » Une période qui a vu cinq associés quitter le navire, pour certains avec fracas.
Mutualisation totale
Depuis, une charte a été signée, consacrant la mutualisation totale, y compris des embauches. « Cela demande énormément de confiance dans les autres, notre travail on le fait au plus juste pour nous tous », juge David, le pépiniériste. « C’est un risque que prend la ferme en intégrant une nouvelle activité. On doit savoir que tout ce qu’on fait pèse aussi sur toute la ferme, et donc avoir une vision plus globale de l’ensemble », complète Charlotte, 41 ans, associée en charge de l’herboristerie.
Aujourd’hui pour devenir associé, après une période de trois mois de découverte, il faut passer par un an de « contrat d’aide au projet d’entreprise ». Pendant cette période, le nouvel entrant ne perçoit pas de revenus et alterne entre les pôles d’activité, afin d’acquérir une vision globale de la coopérative, d’évaluer la compatibilité des projets, des visions et des valeurs. Il faut également contribuer au capital à hauteur de 5000 euros, récupérables après cinq ans dans la ferme, période minimum d’installation espérée. Ces garanties sont nécessaires pour pérenniser l’harmonie de la coopérative, qui n’a rien d’une évidence.
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« C’est une lutte au quotidien de dire : pensons différemment, n’allons pas au plus facile, résume Rémy, en perpétuelle quête d’amélioration, à propos des débats et remises en question régulières qui traversent la ferme. Ce modèle capitaliste dans lequel on a grandi ces 150 dernières années, il est tellement envahissant dans chacun de nos actes, qu’on en est fortement imprégnés. » Les mains fourrées dans la terre aux côtés de ses collègues Ségolène et Romain, tous trois salariés trentenaires, Alex loue cet idéal égalitaire : « Malgré des choses qui sont encore en construction, j’aime bien cette idée d’efforts, d’essayer de faire une mini société au sein d’une ferme et de la rendre la plus juste possible. »
Augustin Campos
Photo de une : Rémy, fondateur de la ferme coopérative, au milieu des moutons de la ferme pédagogique/©Augustin Campo
https://basta.media/on-nous-traitait-d-utopistes-experience-reussie-ferme-bio-cooperative
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