Pierre de coubertin, le seigneur des anneaux

Jean-Marie Brohm

paru dans lundimatin#419, le 11 mars 2024

Ah Paris 2024… les jeux, les anneaux, la compétition et toutes ces nations qui se retrouvent autour d’une bonne partie de tir-à-l’arc. Si beaucoup a déjà été dit et écrit sur ces prochains jeux olympiques, Jean-Marie Brohm, sociologue critique du sport, revient sur l’histoire et l’idéologie de l’inventeur des anneaux et du CIO : le baron Pierre de Coubertin. On y apprend que ce qui lui importait, ce n’était pas seulement de participer… mais aussi de créer une machine de guerre sportivo-spectaculaire qui puisse propager la bonne parole réactionnaire, coloniale et nationaliste.

Le sociologue Jean-Marie Brohm, principal fondateur de la Théorie critique du sport et de l’olympisme dans le milieu des années 1960, se propose de démystifier la figure emblématique de Pierre de Coubertin, à la lumière de ses écrits qui témoignent de ses obsessions : le sport et la guerre, le sport et la colonisation, le sport et les inégalités sociales ou raciales, le sport et l’hygiène individuelle et sociale, le sport et la morale anti sexuelle, le sport et les femmes, le sport contre le socialisme, le sport facteur de paix sociale et le rebronzage des Français, les Jeux olympiques et le régime hitlérien.
« Le néo-olympisme, que Coubertin a explicitement conçu comme un mouvement “religieux“ ou “philosophico-religieux“, est une idéologie au sens fort du terme, c’est-à-dire une “fausse conscience“ qui travestit ou occulte la réalité. » Trois contradictions la traversent : ses prétentions universalistes et les déclarations nationalistes de Coubertin, la prétendue aspiration à la paix entre les peuples et les conceptions ouvertement ethnocentrismes, racistes et colonialistes, le fossé entre l’idéal olympique et la réalité corrompue du sport de compétition. Il se considère, par ailleurs, comme un « colonial fanatique » et défend l’inégalité des races. Adepte d’une hiérarchie naturelle des performances physiques, il n’hésite pas à transposer sur le corps social sa vision et compte sur le sport pour « faire supporter aux classes populaires l’inégalité sociale par le truchement de l’égalité sportive formelle ». Il accorde également à celui-ci une mission morale, assimilant l’effort à un « nationalisme sportif militant ».
Jean-Marie Brohm entreprend ensuite de passer au crible de sa critique la contribution personnelle de Coubertin à l’idéologie olympique : l’essence belliqueuse et la légitimation « sportive » des régimes totalitaires de son temps notamment. « Tout au long de son histoire (et aujourd’hui encore évidemment), le mouvement sportif a servi à légitimer la domination de classe de la bourgeoisie, à inculquer aux classes subalternes le sens de l’ordre, de la hiérarchie, de la soumission au système politique établi, à établir le consensus social, à renforcer en dernière instance l’État bourgeois et ses agences idéologiques et culturelles, que Louis Althusser a appelé les “appareils idéologiques d’État“ (famille, école, église, médias, etc.). »
L’analyse de la collaboration entre le CIO et les dignitaires nazis pour l’organisation des Jeux olympiques de Berlin de 1936, permet à Jean-Marie Brohm de mettre en lumière les « fonctions politiques du sport de compétition en tant qu’instrument massif d’asservissement idéologique ». Il démontre que ces Jeux ne furent nullement une « parenthèse malheureuse » ou une « fausse note » comme certaines réévaluations révisionnistes tendent à le laisser entendre, mais que le CIO fut « complice du début à la fin du scénario imaginé par les nazis pour aligner les cérémonies olympiques sur la mobilisation protocolaire du nationalisme allemand » : « l’olympisme en tant que religion athlétique constitue en effet une vision du monde qui véhicule objectivement les mêmes valeurs élitiste, mystiques et réactionnaires que l’anthropologie fasciste. » Il rapporte des propos de Coubertin, lequel considère que « l’athlète moderne exalté sa patrie, sa race, son drapeau » et que l’olympisme est « une aristocratie, une élite ». Dans Les Assises philosophiques de l’olympisme moderne, il affirme : « Je n’approuve pas personnellement la participation des femmes à des concours publics, ce qui ne signifie pas qu’elles doivent s’abstenir de pratiquer un grand nombre de sports mais sans se donner en spectacle. Aux Jeux olympiques leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs. » L’auteur insiste sur l’importance fondatrice de cet événement. Sa conclusion est sans appel : « Les Jeux de Berlin et l’olympisme des années 1930 permettent de mieux comprendre le refoulé du sport : sa “collaboration“ à l’édification d’un système occidental de domination extrême, sa participation à la mystification politique de “la paix entre les peuples“, sa complicité enfin avec les États qui allaient précipiter l’Europe ancienne dans une nouvelle guerre. Les Jeux de Berlin permettent surtout de comprendre le rôle du sport de masse dans les États capitalistes contemporains : un moyen de contrôle social de propagande politique et d’asservissement idéologique au compte d’une mystique nationale et d’une entreprise d’aliénation culturelle. »
Jean-Marie Brohm consacre ensuite un dernier long chapitre à des extraits de textes et de déclarations de Coubertin, thématique par thématique, lesquels viennent confirmer ; s’il en était besoin, que ceux utilisés jusqu’à présent ne l’étaient pas hors contexte.

Lecture indispensable pour prévenir la monotonie des sons de cloches des mois à venir. À offrir, à disséminer dans les boîtes à livre, à oublier dans les trains et sur les bancs publics.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

PIERRE DE COUBERTIN, LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
Aux fondements de l’olympisme
Jean-Marie Brohm
190 pages – 15 euros
Éditions Quel sport ? – Alboussière (07) – Novembre 2023
www.quelsport.org/qs-editions/coubertin-le-seigneur-des-anneaux/

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