Conseil lecture : “Dissoudre”

À voir / lire / écouter, État d’urgence, Gouvernement


«Dissoudre», Pierre Douillard-Lefevre, Éditions Grevis, 2024.


La couverture du livre "Dissoudre", de Pierre Douillard-Lefevre

L’été dernier, le gouvernement annonçait son intention de dissoudre les Soulèvements de la Terre, le plus grand mouvement écologiste de France, comptant des centaines de comités et des milliers de membres de tous horizons. C’était une attaque sans précédent contre les formes collectives d’organisation, qui faisait suite aux procédures lancées notamment contre le média Nantes Révoltée, le collectif antifasciste lyonnais le GALE ou un groupe de Gilets Jaunes à Nancy.

Aucun gouvernement n’avait autant lancé de dissolutions de collectifs et d’associations que celui de Macron. Entre 2017 et 2023, le président avait déjà engagé la dissolution de 34 associations et collectifs en seulement 6 années de pouvoir, un record absolu sous la Cinquième République. Comme l’explique l’auteur, «la dissolution est la continuation du retour à l’ordre, elle accompagne la violence physique. Pendant que les forces de répression frappent les corps, la dissolution neutralise les organisations collectives».

Car derrière les attaques contre les organisations de gauche, d’autres, plus nombreuses et peu médiatisées, frappent depuis des années les organisations musulmanes ou anti-colonialistes. Les associations de lutte contre l’islamophobie ou de soutien à la Palestine ont d’ailleurs été les premières cibles des dissolutions du gouvernement Macron.

Pourtant, cette procédure n’a rien d’anodin. C’est en 1936 que le gouvernement français avait créé les procédures de dissolutions, en pleine montée du fascisme. Alors qu’Hitler est au pouvoir en Allemagne et que Mussolini règne en Italie, la République était menacée par des groupes d’extrême droite armés qui voulaient instaurer un régime semblable en France. C’est dans ce contexte précis qu’une loi d’exception permettant de dissoudre les «milices de combat» et les «groupes armés» était votée. Et quelques groupuscules fascistes démantelés.

Loin de se limiter à la «défense de la République», cette loi avait été utilisée dès les années 1930 contre les groupes anti-colonialistes en Algérie et au Maroc, puis contre le Parti Communiste. Après guerre, les dissolutions ne disparaissent pas, elles s’étendent… Jusqu’à Gérald Darmanin qui, en 2021, vise toutes les associations soupçonnées de «séparatisme». Il ne s’agit plus de dissoudre des «milices» armées, mais n’importe quel «groupement» qui ne respecterait pas les valeurs de la République ou qui «inciterait» à s’en prendre aux biens. Autrement dit, tout syndicat ou association, même une bande d’amis peut désormais être visée. Les dissolutions servent aujourd’hui à réprimer des idées plus que des actes. D’une loi d’exception contre le danger fasciste, les dissolutions visent désormais les antifascistes et les minorités. C’est un retournement total.

C’est de ce retournement dont il est question dans l’ouvrage, qui examine à la fois l’histoire de cette procédure, mais aussi la destruction du langage et des repères politiques par le gouvernement actuel, qui manie les symboles contradictoires. Nous l’avons vu avec la Panthéonisation du résistant Manouchian célébrée avec l’extrême droite, quelques semaines après une «loi immigration» reprenant les grandes lignes du programme lepéniste. C’est dans cette grande inversion que la «République» et la «laïcité» sont désormais brandies pour écraser les luttes sociales et les catégories opprimées de la population.

Les dissolutions sont aussi un moyen de mettre au pas toutes les organisations collectives. L’auteur rappelle que Gabriel Attal félicitait les Restos du Cœur pour leur «rentabilité» en déclarant : «Si c’était des permanents payés au SMIC par l’État, ça serait plus de 200 millions d’euros par an». Dans le même temps, le gouvernement menace de couper les subventions de certaines associations qui lui sont inutiles voire hostiles.

Ainsi, derrière la loi «séparatisme», le gouvernement met sous pression toutes les organisations collectives, pour ne garder que celles qui sont adaptées à ses politiques. C’est tout ce qui fait commun en-dehors du contrôle du pouvoir qui est menacé. Les associations sont passées du statut de contre-pouvoirs fondamentaux pour la démocratie, à celui de larbins d’un pouvoir autoritaire et bourgeois.

Nous l’avons d’ailleurs vu ces derniers jours, quand la ministre Aurore Bergé a menacé les associations féministes qui auraient des «ambiguïtés» sur la Palestine. Ou pire, à l’automne dernier, quand plusieurs députés ont réclamé la dissolution de la France Insoumise, premier parti d’opposition, pour sa dénonciation des bombardements sur Gaza. Toute structure dérangeant le pouvoir risque désormais soit la dissolution, soit l’asphyxie financière.

Ce petit livre dissèque le régime néolibéral autoritaire : c’est une démonstration implacable des dissolutions devenues programme politique – «l’objectif de ce régime n’est pas de susciter l’adhésion mais la soumission, pas de provoquer l’action mais l’apathie» – et plus largement, au-delà du strict sujet des dissolutions, l’ouvrage permet de comprendre cette époque aux horizons qui se rétrécissent.

L’auteur, qui avait déjà publié l’ouvrage «Nous sommes en Guerre» sur les violences policières en 2021, propose pour finir une série de pistes pour se protéger des dissolutions et rendre inopérantes les attaques du pouvoir. Des propositions stimulantes, à lire et à faire lire.


Le livre Dissoudre sera présenté :

  • Au Monte en l’air à Paris le 13 mars
  • Dans l’établissement Rerenga Wines à Paris le 14 mars
  • Au café Chez la Bretonne à Saint-Nazaire le 3 avril

Le livre est disponible pour seulement 10 euros dans toutes les bonnes librairies, et sur le site de Contre Attaque !

https://contre-attaque.net/2024/03/10/conseil-lecture-dissoudre/

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