Le 29 février, la CGT a obtenu de Gérald Darmanin qu’il « donne consigne aux préfectures » d’aller vers la régularisation des grévistes des Emmaüs du Nord, ainsi que de centaines d’autres travailleurs sans-papiers en lutte. La fin d’un long chemin de croix ?
C’est un piquet de grève qui a tout connu. Le froid, la pluie, les insultes, et même, un acte de malveillance raciste : le dépôt d’un cadavre de sanglier. Mais après 158 jours à « tenir », les six grévistes de la petite communauté Emmaüs de Nieppe (Nord), reçoivent pour la première fois une bonne nouvelle. Le 29 février, à l’issue d’un entretien avec Gérald Darmanin, la confédération CGT a publié un communiqué victorieux dans lequel elle déclare que « le ministre s’est engagé à donner consigne aux préfectures pour régulariser », entre autres, « les 51 grévistes des Emmaüs du Nord [ndlr : ils ne sont en réalité plus que 49, deux d’entre eux ayant déjà été régularisés] ».
Les six compagnons grévistes de Nieppe ne sont donc pas les seuls à pouvoir se réjouir. S’ajoutent à eux les vingtaines de compagnons grévistes sans-papiers des communautés Emmaüs de Grande-Synthe et de Saint-André-Lez-Lille, ainsi que des centaines d’autres sans-papiers en lutte dans d’autres secteurs d’activités. « On a une parole, maintenant on attend encore les actes. Mais on ne va pas se le cacher, on ressent de la fierté. C’est la preuve qu’on a choisi la bonne voie, celle de la lutte, et que ça finit par payer », sourit Rodrigue, porte-parole des grévistes d’Emmaüs Nieppe.
La pression de la grève
La décision du ministre de l’Intérieur n’est pas tombée du ciel. Fin octobre 2023, des salariés sans-papiers ont lancé une semaine de grèves d’ampleur, notamment sous l’égide de la confédération CGT et de ses unions départementales franciliennes. C’était l’une des plus grosses grèves de sans-papiers observée depuis 2009, où 1300 travailleurs avaient cessé le travail. Objectif : récupérer les Cerfas attestant du travail de 650 sans-papiers aux seins de différentes entreprises – dans l’immense majorité des boîtes d’intérim – pour ensuite demander la régularisation de leurs titres de séjour auprès des préfectures. La plupart des Cerfas ont été récupérés rapidement. Cette démarche s’est doublée d’une demande de rencontre avec le ministre de l’Intérieur, dans le but de faire accélérer le traitement des dossiers des sans-papiers grévistes par les préfectures.
La rencontre a finalement eu lieu le 29 février. La CGT en a profité pour demander la régularisation des 502 intérimaires grévistes dont les dossiers avaient pu être complétés à l’issue de la grève d’octobre. Mais elle a également exigé la régularisation d’autres salariés sans-papiers en lutte comme les 49 grévistes du Nord, les 7 grévistes d’Amazon en Seine Maritime, ou encore les 60 saisonniers agricoles de la Marne « pris dans un réseau de traite d’êtres humains et accompagnés par la CGT », précise le communiqué du 29 février.
Vers la régularisation des grévistes d’Emmaüs ?
Pour autant, le long chemin de croix vers la régularisation est-il terminé ? Pas si simple. L’engagement du ministre de l’intérieur consiste avant tout à faire remonter les dossiers des sans-papiers grévistes soutenus par la CGT sur le haut de la pile des régularisations. Mais il souligne que la décision finale sera prise dans l’enceinte des préfectures.
Le ministère de l’Intérieur a précisé auprès de l’AFP que Gérald Darmanin avait seulement « rappelé les règles en matière de régularisation à la suite de la loi immigration : ne pas avoir troublé l’ordre public et avoir déposé un dossier individuel et non collectif ». Une déclaration qui n’engage pas à grand chose. Interrogée sur le contenu précis de cette lettre et sur l’avenir des grévistes d’Emmaüs, la préfecture du Nord a refusé de répondre à Rapports de force.
Ainsi, difficile de savoir à quel titre, et dans quel délai, les grévistes des Emmaüs du Nord pourraient être régularisés. A la différence des sans-papiers salariés des boîtes d’intérim, leur activité au sein des communautés Emmaüs n’est pas considérée comme un emploi. Ils ne peuvent donc pas prétendre à une régularisation par le biais de la circulaire Valls, qui permet, à un salarié embauché en CDI, à partir de cinq ans de résidence sur le sol français (trois ans dans certaines conditions) et d’un certain nombre de mois travaillés, d’obtenir une carte de séjour temporaire d’un an. Les compagnons grévistes pourraient en revanche bénéficier de la loi immigration du 10 septembre 2018. Cette dernière donne la possibilité aux compagnons sans-papiers d’Emmaüs d’obtenir une carte de séjour s’ils peuvent justifier de 3 années d’activité ininterrompue au sein d’un OACAS (organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires). Mais toutes les communautés Emmaüs en grève ne bénéficient pas de ce statut, ce qui était d’ailleurs une des principales raisons du conflit entre les compagnons et leurs directions (voir nos articles précédents).
C’est pourquoi, à la CGT du Nord, on reste convaincu que de nombreux éléments se règleront lors de négociations avec les préfets et que les signaux envoyés par le gouvernement sont positifs. « Il y a un saut qualitatif évident. Au départ, le préfet du Nord [ndlr : qui a changé depuis le début de la grève dans les Emmaüs] ne voulait même pas recevoir les grévistes et leurs soutiens. Désormais, on est reçus Darmanin donne la consigne de bien nous écouter » explique Stéphane Vonthron du bureau de l’Union départementale CGT du Nord, également membre du collectif sans-papier 59. Pour ce syndicaliste, l’enjeu demeure d’obtenir la régularisation immédiate des grévistes d’Emmaüs, sans examen individuel des dossiers. « C’est quelque chose qu’on pouvait obtenir il y a quelques années encore, c’est une question de rapport de force. », soutient-il. En attendant les prochains rendez-vous à la préfecture, les grévistes d’Emmaüs Nieppe continuent de tenir le piquet.
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