« La grande vague de micro et nano-plastiques est en train d’arriver »

23 janvier 2024 par Sophie Chapelle

La pollution plastique est partout, dans l’eau, les aliments, nos maisons, et nos organismes. « Aucun être vivant n’a les outils biologiques pour digérer ce plastique », alerte la chercheuse Nathalie Gontard. Des alternatives existent.

Publié dans Écologie

  • Temps de lecture :7 minutes

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Campagnes solidaires.

Sophie Chapelle : Quand on pense à la pollution plastique, on visualise les mers de plastique qualifiées de « septième continent ». Pourquoi le danger est-il davantage dans le plastique que l’on ne voit pas ?

Nathalie Gontard : Le danger est très souvent assimilé aux déchets plastiques assez gros pour qu’on les voit. Leurs conséquences ne sont pas négligeables – en quantité, ils assèchent les sols et étouffent des espèces qui les ingèrent. Mais le plastique devient vraiment dangereux lorsqu’il n’est plus visible, c’est à dire lorsqu’il est fragmenté en micro et en nano-plastiques. Il multiplie alors d’autant ses propriétés d’interactions et de nuisances. Il a la capacité de transformer, d’absorber des molécules essentiellement hydrophobes, c’est à dire tous les polluants (pesticides, etc) présents dans l’environnement.

Portrait de Nathalie Gontard
Nathalie Gontard Directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Autrice de Plastique, le grand emballement (Stock, 2020), elle travaille notamment sur la substitution des produits du pétrole dans l’agroalimentaire.

Les micro et nano-plastiques peuvent transporter ces molécules – par voie d’eau, d’air et de terre – et s’introduire dans tous les organes des êtres vivants, en passant les barrières biologiques. On en retrouve assimilés dans le pancréas des crevettes, notre sang, nos poumons, notre foie… partout !

Or, aucun être vivant n’a les outils biologiques pour digérer ce plastique, le dégrader complètement. Le résultat est une accumulation de corps étrangers qui entraine des dysfonctionnements d’ordre biologique, métabolique, etc.

Cette vague de micro et nano-plastique est-elle devant nous ?

Nous avons accumulé neuf milliards de tonnes de plastiques sur Terre depuis les années 1950 dont certaines se sont déjà dégradées en micro et nano-plastiques mais qui, pour la grande majorité, sont en cours de dégradation, notamment dans nos décharges, mais pas seulement.

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Car il n’y a pas que les plastiques à usage unique qui posent problème mais aussi ceux avec un usage long, dans les constructions ou les vêtements par exemple. À partir du moment où ils sont produits, les plastiques commencent à s’user, se dégrader et à produire des micro et nano-plastiques délétères. Les micro-plastiques dans le lac Léman [50 tonnes s’y accumulent chaque année, ndlr] viennent des vêtements en fibre synthétique toujours en cours d’utilisation et émis lors des lavages.

« Des vrais matériaux biodégradables de substitution aux fibres plastiques existent »

Les micro plastiques au fin fond des glaces de l’Arctique viennent de l’usure de bâtiments, isolés avec des plastiques et toujours en cours d’usage. Les microplastiques dans l’air viennent majoritairement de l’usure des pneus et des routes que nous sommes en train d’utiliser. La pollution plastique, c’est d’abord celle que l’on ne voit pas et émise au cours de l’utilisation.

La grande vague de micro et nano-plastiques est en train d’arriver. On parle de « bombe à retardement ». Quand on produit 1 kg de plastique aujourd’hui, ce sont les générations à venir qui vont devoir affronter tous les micro et nano-plastiques qui en résulteront.

Dans quelle mesure le plastique a t-il envahi le secteur de l’agriculture et de l’alimentation ?

Sur la totalité des plastiques qu’on utilise, 40 % relèvent de la fabrication, du transport et du conditionnement de nos aliments, donc de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Dans ce secteur, les usages du plastique sont parfois très courts, avec une espèce d’emballement sur son utilisation. On en est arrivés à consommer des aliments emballés sous plastiques alors qu’on n’en a absolument pas besoin ! L’un des objectifs de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (en vigueur depuis 2022) est précisément d’éliminer tous ces emballages inutiles, notamment les emballages plastiques des fruits et légumes frais. Mais les lobbies industriels cherchent à retarder la mise en place de ces mesures.

Quel regard portez-vous sur les films de paillage plastique dits biodégradables développés depuis les années 2000, notamment en cultures légumières et dans le maïs ?

Dans l’agriculture comme dans tous les autres domaines, de nouvelles technologies sont développées à grand renfort de plastique. On utilise par exemple des plastiques à déposer sur les sols pour limiter l’utilisation de pesticides ou l’arrosage, on cultive sous serre pour augmenter la productivité … Elles sont présentées comme des technologies de transition écologique. C’est vrai dans la mesure où elles permettent de réduire notre empreinte carbone.

Par contre, elles augmentent notre empreinte plastique – c’est à dire sa capacité à perdurer pendant des milliers d’années sous forme de micro et de nano-plastique. L’empreinte plastique n’est pas comptabilisée dans les analyses de cycle de vie. C’est ainsi que certaines stratégies reposent entièrement sur le recyclage, alors que le recyclage du plastique n’existe pas ! [1]

Le plastique peut-il être biodégradable ?

Des plastiques ont été développés pour être biodégradables. Une partie malheureusement a été développée à base de PLA (acide polylactique) et n’est pas biodégradable en conditions naturelles : ils ne présentent donc aucun intérêt par rapport au plastique conventionnel.

« Les industriels continuent d’investir dans de monstrueux complexes pétrochimiques »

Des vrais matériaux biodégradables de substitution aux fibres plastiques existent, sauf que leur production et leur propriété ne permettront de remplacer qu’une infime partie des plastiques utilisés. Cela tombe bien puisque les trois quarts des plastiques que l’on utilise ne sont pas utiles !  

On peut faire autrement dans la grande majorité des cas et apprendre à s’en passer. Au lieu de focaliser notre attention sur les plastiques et matériaux de substitution, ou les procédés de recyclage – ce que je fais dans mon laboratoire – notre priorité au niveau de la société devrait être de réduire notre consommation, et donc de parler de cette réduction !

Vous avez coordonné le projet « No-Agro Waste » (pas de déchet dans l’agroalimentaire) entre l’Europe et la Chine. Où en est-on ?

Il nous paraissait incontournable de travailler sur la pollution plastique en impliquant l’un des plus gros producteurs au monde. Ce projet se poursuit à travers « Agri-Loop ». Le travail est mené sur l’ensemble de la filière, avec une approche systémique de substitution des produits du pétrole. On cherche à valoriser les résidus agricoles qui ne sont utilisés ni pour l’alimentation humaine, ni pour l’alimentation animale, en les transformant à l’aide de procédés biologiques.

L’idée est de substituer les plastiques utilisés actuellement pour la production agricole et dans la transformation des aliments (emballages). On a développé par exemple des barquettes qui peuvent se substituer à celles en polypropylène ou en PET (polyéthylène téréphtalate) pour l’emballage de divers aliments (humides ou secs). Notre objectif premier n’est pas de produire des plastiques biosourcés mais bien biodégradables en conditions naturelles. C’est la garantie que le matériau se comportera comme n’importe quelle matière organique : il va réintégrer le cycle biologique du carbone organique et ne s’accumulera donc pas pendant des siècles dans notre environnement comme le fait le plastique.

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Nous travaillons aussi sur l’utilisation au juste nécessaire, en remettant à plat les pratiques des différents acteurs économiques (agriculteurs ou industriels) pour leur permettre de vraiment limiter leurs utilisations de matériaux de type plastique au strict minimum.

À partir du moment où un plastique, même biodégradable, est inutile, ça n’a pas de sens de l’utiliser. Chacun·e doit avoir conscience que la production de plastique continue d’augmenter. Les industriels continuent d’investir dans de monstrueux complexes pétrochimiques. Il faut réduire notre empreinte plastique et pour cela, nous devons réduire notre consommation.

Recueillis par Sophie Chapelle

Photo : CC0 Domaine public

Cet entretien est extrait de Campagnes solidaires, la revue mensuelle de la Confédération paysanne qui a publié en décembre 2023 un dossier sur le thème : « Agriculture : sortir de l’âge du plastique ».

Notes

[1« Le vrai recyclage – c’est-à-dire produire un objet similaire à celui d’origine – concerne moins de 2% du plastique, les bouteilles en plastique en PET » précise Nathalie Gontard dans un entretien au Parisien. Pour le reste, Nathalie Gontard préfère parler de « dé-cyclage » : il faut toujours réinjecter du plastique vierge, et le nouveau produit est toujours de moindre qualité. Ce dernier continuera ensuite de se dégrader à domicile, à la décharge ou dans la nature et viendra grossir le réservoir des micro et nanoplastiques.

https://basta.media/Grande-vague-micro-nano-plastiques-arrive-pollutions-sante-bombe-retardement

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