COP28 : La grande messe pour le climat dans le temple du capitalisme

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<span class="caps">COP28</span> : La grande messe pour le climat dans le temple du capitalisme

Dubaï, qui accueille la COP28 jusqu’au 12 décembre, est l’incarnation des effets délétères du capitalisme, qu’ils soient climatiques, environnementaux ou sociaux.

L’information a de quoi choquer : Dubaï, ville des stations de ski créées ex nihilo, des travailleurs migrants surexploités et des influenceurs en quête de soleil et d’exil fiscal, accueille jusqu’au au 12 décembre la vingt-huitième conférence internationale pour le climat. L’occasion pour la première ville des Émirats arabes unis (EAU), sixième pays le plus riche au monde par habitant, d’être sur le devant de la scène internationale.

De quoi mettre en exergue, aussi, la capacité jamais démentie du capitalisme à incorporer à sa sauce, de façon cynique, les valeurs au nom desquelles il est critiqué. Bien que symbolique du néolibéralisme dans tout ce qu’il a de plus délétère, c’est Dubaï et un président qui est aussi PDG d’une compagnie pétrolière qui accueillent des négociations cruciales pour l’avenir de la planète et de ceux qui y vivent.

Version paroxystique du système capitaliste

Sans grande surprise, la nouvelle a suscité de vives critiques et des appels au boycott dans le monde occidental. Et ce, alors que cette ville de trois millions d’habitants n’est que la version paroxystique du système capitaliste porté par les dirigeants des pays occidentaux.

Officiellement née en 1833 et dirigée depuis par la dynastie al-Maktoum, Dubaï est à l’origine un petit village de pêcheurs pratiquant entre autres le commerce de perles. Selon l’historien et sociologue William Guéraiche, la ville, « cosmopolite dans son ADN », a ainsi « toujours été un vecteur de communication entre les aires culturelles perse et arabe : elle a toujours eu des relations avec l’Iran, par exemple ». Sous colonisation britannique depuis 1892, elle a obtenu son indépendance en 1971 en devenant l’un des sept émirats de la fédération des EAU.

L’Expo City, bâtie pour l’exposition universelle de 2020, accueille à présent la COP28. Flickr / CC BY 2.0 Deed / IAEA Imagebank

Entre-temps, Dubaï s’est énormément développée : en 1958, des gisements pétroliers ont été découverts. À partir des années 1980, quand les ressources en pétrole sont venues à manquer dans la ville — mais pas dans le reste du pays, toujours aujourd’hui l’un des premiers producteurs mondiaux d’or noir — l’émir Rachid ben Saïd al-Maktoum a décidé de diversifier les activités économiques du territoire. « La famille régnante a réinvesti les dividendes de l’industrie pétrolière dans des infrastructures lourdes relevant d’une ville globale de capacité mondiale, par exemple en construisant le port de Jebel Ali, le plus grand du Moyen-Orient », note William Guéraiche, également professeur en relations internationales à l’université de Wollongong, à Dubaï.

Dès lors, la ville exporte ce que l’on nomme le « modèle Dubaï » aux autres émirats, puis au reste du Golfe persique. « Elle est l’héritière d’une tradition bédouine de la survie à un environnement hostile, ce qui définit un univers mental particulier, ajoute l’historien. Le fil conducteur de Dubaï, mélange de modernité et de tradition, est de changer très vite, de trouver les bons créneaux économiques, des créneaux de niche, comme les nanotechnologies ou l’intelligence artificielle, pour permettre à la ville de survivre et de prospérer. Le tout mâtiné de ce que l’on peut faire de pire dans le monde libéral : c’est le marché qui a toujours raison. »

Aucun impôt sur le revenu

Pour attirer des touristes — en 2022, la ville était la deuxième destination la plus visitée au monde — mais aussi des investisseurs internationaux, Dubaï a ainsi recours dès les années 1980 à des « techniques de marketing d’entreprise » et de « nation branding ». Son allure évolue rapidement : des îles artificielles sont construites grâce à l’extraction de 100 millions de tonnes de sable, des immenses gratte-ciel sortent de terre — notamment Burj Khalifa, la plus haute tour du monde culminant à 828 mètres — les hôtels de luxe se multiplient, dont le Burj al-Arab qui propose, pour 25 000 euros la nuit, sa « suite royale » et ses toilettes en or 24 carats.

Tout cela s’accompagne d’un mode de vie guère durable : selon le Global Carbon Project, en 2021, les EAU étaient le vingt-septième pays le polluant au monde, alors même que leur population n’est que de 9,5 millions d’habitants. Un habitant y émet en moyenne 20,3 tonnes de CO2 par an, contre par exemple 13 aux États-Unis et 4 en France.

Dans le même temps, pour inciter l’installation d’entreprises étrangères, Dubaï instaure une politique fiscale extrêmement avantageuse, sans impôt sur le revenu et avec la création de zones franches. De quoi devenir, comme révélé par Le Monde, l’un des centres financiers les plus opaques de la planète et un lieu idéal pour « l’argent sale des oligarques et des criminels ». « On est dans la libéralisation extrême du marché et de l’emploi : on ne protège pas les employés, mais les employeurs », indique William Guéraiche, qui souligne comment Dubaï a accompli ce que « tous les États libéraux aimeraient mettre en place ». « Si on regarde bien, en France, le gouvernement Macron ne souhaite pas autre chose », ajoute-t-il.

« Toute voix dissidente est réprimée »

Ainsi, comme l’écrivait dès 2007 le géographe Mike Davis dans Le Stade Dubaï du capitalisme (Les Prairies Ordinaires/Amsterdam), l’émirat est parvenu « au stade de l’hyper-capitalisme », soit une « synthèse “parfaite” de consommation, de divertissement et d’urbanisme spectaculaire à une échelle absolument pharaonique ». « Dubaï est la parfaite expression des valeurs néolibérales du capitalisme contemporain : une société entièrement conforme à l’imaginaire des “Chicago boys” [et] l’incarnation du rêve des réactionnaires américains. Une oasis de libre-entreprise sans impôts, sans syndicats et sans partis d’opposition », ajoute-t-il.

Comme le souligne François Graas, coordinateur des campagnes et du plaidoyer chez Amnesty Belgique, « toute voix dissidente est réprimée » aux EAU. La situation des droits humains dans le pays est « catastrophique » : opposants incarcérés, restrictions aux droits à la liberté d’expression ou d’association… En outre, les droits des personnes migrantes y sont « bafoués ». « Les EAU, dont près de 90 % de la population est étrangère, emploient des travailleurs migrants en très grande quantité, notamment dans le secteur du BTP ou du travail domestique. Leurs conditions de vie sont très difficiles, avec des inégalités de traitement flagrantes par rapport aux nationaux », assure François Graas, qui note ironiquement que « les tours gigantesques de Dubaï ne sont pas construites par les locaux ».

Des milliers de travailleurs migrants ont été exploités lors de la construction des bâtiments de Dubaï. Flickr / CC BY-NC-ND 2.0 Deed / Jake Brewer

Les infrastructures de la COP28 ont elles aussi été bâties, dans des conditions inhumaines, par des migrants souvent originaires de pays asiatiques vulnérables au réchauffement climatique.

La cité hôte de l’événement affiche en tous cas l’objectif de devenir la ville la plus durable au monde d’ici à 2050. « Les EAU, conscients de la pénurie prochaine de pétrole, voient depuis vingt ans la transition verte comme un domaine prometteur, dans lequel il faut investir », indique William Guéraiche. Mais quand bien même le pays s’est engagé à tripler sa production d’énergies renouvelables d’ici 2030, il est accusé de greenwashing à grands coups de technosolutionnisme et d’écoquartiers réservés aux riches.

Un président sous le feu des critiques

D’autant que c’est Sultan al-Jaber, ministre de l’Industrie et patron de la compagnie pétrolière nationale Adnoc, qui prévoit d’étendre sa production de pétrole et de gaz, qui a été désigné pour présider la COP28.

À l’heure où les ONG entendent se saisir de la conférence pour réclamer la fin des énergies fossiles, un tel choix de présidence relève du « conflit d’intérêts » pour Gaïa Febvre, responsable de la politique internationale au Réseau action climat. « La société civile doit se saisir de la situation pour exiger des mesures contre les conflits d’intérêts dans les COP, où l’on constate une augmentation de la place des lobbyistes », argue-t-elle.

Pour l’heure, ce n’est pas gagné : selon la BBC, Sultan al-Jaber a profité d’échanges avec des dirigeants politiques, officiellement pour causer climat, afin de passer des marchés pour ses propres entreprises dans les énergies fossiles.

https://reporterre.net/COP28-La-grande-messe-pour-le-climat-dans-le-temple-du-capitalisme

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