A Lyon, les 7 antifascistes qui passent en procès à la suite d’une bagarre avec les catholiques intégristes de Civitas lors d’une manifestation anti-passe sanitaire ont choisi de faire de leur audience une tribune politique. Ce 4 novembre, leurs avocats ont profité d’un dossier policier particulièrement vide pour dénoncer la criminalisation de leur mouvement et la bienveillance avec laquelle les mouvements d’extrême droite sont traités à Lyon. A la clef : une relaxe quasi générale.
« J’aimerais vous faire comprendre aujourd’hui, Mme la Présidente, pourquoi cette salle est pleine », expose Maître Forray d’un air grave. Dans la 16e chambre du tribunal judiciaire de Lyon, plus d’une centaine de personnes, en grande partie des soutiens des antifascistes inculpés, sont venues assister à plus de 9h de procès. L’avocat de trois des prévenus reprend : « C‘est parce qu’ils sont inquiets pour leur démocratie. Parce qu’aujourd’hui, à Lyon, on peut emprisonner des gens sous prétexte qu’ils sont antifascistes et laisser en liberté des militants racistes et antisémites. »
Les antifascistes en question, ce sont sept hommes, âgés de 22 à 55 ans, plus ou moins proches de la Gale (Groupe antifasciste Lyon et environs). Ils comparaissent ce 4 novembre pour des « violences volontaires n’ayant pas entraîné d’interruption temporaire de travail (ITT) » sur des membres de Civitas, groupuscule catholique d’extrême droite, lors d’une manifestation contre le passe sanitaire, mais également pour « groupement en vue de commettre des violences. »
6 semaines de prison « parce qu’ils sont antifascistes »
Le 23 septembre, 4 ont été placés en détention provisoire. Si l’un d’entre eux a pu sortir de prison le 12 octobre, les trois autres ne comparaissent pas libres le jour de l’audience. Des mesures de privation de liberté particulièrement lourdes comparées aux peines finalement prononcées par la juge : relaxe pour 3 d’entre eux, amendes de 300€ pour les 4 autres – dont deux écopent également d’un mois de sursis pour le refus de prélèvement ADN et celui de donner ses codes de téléphone portable.
Cette détention, ils la doivent à la procédure de comparution à délai différé dans le cadre de laquelle ils sont jugés. « On l’utilise lorsqu’un dossier n’est pas suffisamment complexe pour nécessiter une instruction mais que l’on a encore besoin de temps pour enquêter. En attendant, les prévenus peuvent être placés en détention provisoire pour une durée maximale de deux mois, avec l’accord d’un juge des libertés et de la détention », précise Maître Forray. Pour lui, la procédure a été détournée à des fins punitives. « Les éléments complémentaires qui ont été demandés, à savoir la géolocalisation des téléphones portables, n’aident en rien à l’enquête », complète-t-il.
« Certains des détenus travaillaient, avaient de bonnes garanties de représentation. On ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont reçu un traitement si dur parce qu’ils sont antifascistes », souligne Jules*, membre du comité de soutien aux 7 inculpés. Les avocats de la défense, le comité de soutien aux antifascistes et les inculpés sont d’accord : ils souhaitent se servir du procès des antifascistes de Lyon comme d’une tribune politique, l’occasion pour eux de mettre le parquet et la police lyonnaise face à leurs contradictions.
Agression ou confrontation ?
Pour la défense, le récit policier, « particulièrement à charge », illustre bel et bien la volonté de criminaliser les idées antifascistes. En s’appuyant sur des images de vidéosurveillance, ce dernier présente les 7 prévenus comme des agresseurs et les membres de Civitas comme des victimes. Or, la plupart des avocats le notent : la séquence vidéo sélectionnée par la police commence à 17h28 alors que le procès-verbal de contexte, décrivant minute par minute le déroulé des manifestations du jour, indique bien que la rixe a démarré quelques minutes plus tôt. « C’est bien tout le problème. La vidéo policière est sciemment coupée pour ne montrer que les violences des antifascistes. Or les militants de Civitas ont eux aussi porté des coups », affirme maître Forray.
C’est d’ailleurs ce qu’expliquent tour à tour les 7 prévenus. « Civitas est une organisation raciste, homophobe, antisémite. Quand je les ai vus en manifestation avec leurs stickers collés sur le corps, je leur ai demandé de partir. Ils m’ont dit d’aller me faire foutre et deux personnes m’ont saisi par les bras pendant qu’une troisième armait son poing pour me frapper. C’est seulement à partir de là que je me suis défendu », détaille A.F., un des prévenus placé en détention provisoire. De là découle une bagarre générale à laquelle tous disent avoir assisté, mais pas forcément participé. « Je n’ai porté aucun coup, j’ai tenté de m’éloigner », rapporte H.Q., étudiant de 22 ans. « Je n’ai pas tenté de me battre », affirme M.B., qui a passé trois semaines en prison, avant d’être libéré par le juge des libertés et de la détention. La juge lui reproche d’avoir « ceinturé » un membre de Civitas, ce qu’il nie.
Pourtant, si les policiers écrivent noir sur blanc qu’« aucune violence n’a été commise par Civitas », une autre vidéo (ci-dessous) vient contredire leur version. Diffusée par la Gale le jour de la manifestation anti-passe sanitaire, on y voit les militants catholiques intégristes se battre eux aussi.
https://twitter.com/i/status/1431850090319261697
Reste une autre question : pourquoi des antifascistes et des membres de Civitas étaient-ils dans le même cortège ? Pour rappel : le 28 août, les manifestants anti-passe proches de l’extrême droite, qui ont pour habitude de défiler dans le quartier des Brotteaux, décident de ne pas déclarer de manifestation.
Ils rejoignent celle des soignants, organisée par les syndicats de soignants de SUD et FO, qui part de l’hôpital Édouard Herriot à 13h et se termine place Bellecour. De son côté, la Gale appelle à une autre manifestation à 14h, notamment aux côtés de gilets jaunes. Or vers 17 heures, des manifestants issus du cortège d’extrême droite rejoignent la manifestation non déclarée. C’est à ce moment là que les militants de bords opposés se croisent.
La Gale : un « groupe ultra »
Le récit policier tente également de prouver que les prévenus appartiennent à un groupuscule dangereux. Mais là encore les preuves sont bien maigres. La juge a beau brandir des stickers antifascistes retrouvés lors de la perquisition du domicile de plusieurs prévenus, souligner que 182 vidéos et 411 images « en relation avec l’antifascisme » ont été visionnées par l’un des prévenus sur son téléphone portable, ou encore noter qu’un livre sur l’histoire de l’anarchisme a été aperçu dans une bibliothèque, elle-même semble avoir bien du mal à comprendre ce qui est concrètement reproché au « groupe ultra » (ainsi nommé par les PV policiers) la Gale.
Si tout le monde parle du procès des antifascistes de Lyon, tous les prévenus ne sont même pas des membres de la Gale. T.S., la cinquantaine bien tassée et quelques mentions au casier judiciaire, sort amaigri par 6 semaines de détention provisoire. Ce n’est pas un dangereux antifasciste mais un gilet jaune habitué des manifestations lyonnaises. Il reconnaît avoir frappé une fois un membre de Civitas et jeté un projectile… qui a manqué sa cible. « J’ai vu que c’était un fasciste, je lui ai mis une patate ». En prison, il raconte qu’il a perdu son logement. Mais le rouleau compresseur police-parquet ne semble pas se soucier des dommages collatéraux entrainés par la procédure de comparution à délai différé.
Enquête policière « en roue libre »
Cet enfermement, ils le doivent également à l’inhabituel zèle dont a fait preuve la police lyonnaise tout au long de cette histoire, avec le soutien du parquet. Le 30 août, les services de la BREC (brigade de répression des cambriolages) décident d’enquêter sur des faits de violences ayant eu lieu dans la manifestation anti-passe sanitaire du 28 août et demandent à consulter les images de vidéosurveillance.
« Pourquoi ces policiers spécialisés dans les cambriolages se mettent-ils soudainement à enquêter sur des manifestations ? Ce ne sont pourtant pas les cambriolages qui manquent à Lyon », remarque, acide, Maître Forray. Impossible d’y voir plus clair dans les arcanes policières.
Pour monter le dossier, les services de police ont bénéficié de moyens hors normes. Outre les perquisitions au domicile, le juge des libertés a autorisé le contrôle des fadettes (relevés des factures téléphoniques permettant la géolocalisation) entre le 14 et le 20 septembre ou encore l’accès aux téléphones portables. « En quoi avait-on besoin de géolocaliser des gens pour une enquête portant sur des faits commis des semaines auparavant ? », tempête Maître Forray. Les policiers ont également réquisitionné les images de vidéosurveillance mais n’en ont informé le procureur que trois jours plus tard. « Alors que cela doit se faire sans délais », continue l’avocat.
Dans ce contexte, le réquisitoire du procureur est particulièrement court. Il se contente de décrire les images extraites par la police et ne fait aucune mention d’un quelconque groupe antifasciste ou du caractère éventuellement dangereux des prévenus. En conclusion, il demande des peines particulièrement lourdes allant jusqu’à un an de prison ferme pour certains prévenus.
Pourtant, ce dossier monté « en roue libre », selon les mots de la défense, empêchera finalement le parquet de faire condamner les antifascistes à hauteur de ses demandes. Deux exceptions de nullité, concernant la réquisition de la vidéosurveillance et la géolocalisation des prévenus, sont finalement retenues par la juge, annulant de nombreux procès verbaux et rendant les poursuites quasiment caduques.
A Lyon : le traitement particulier de l’extrême droite
Si ce sont bien des questions de droit qui ont permis de faire libérer et pratiquement intégralement relaxer les antifascistes, le procès a également été l’occasion pour la défense de questionner le traitement judiciaire des violences d’extrême droite à Lyon. Plusieurs avocats le diront tour à tour : l’absence des militants de Civitas lors du procès du jour est criante. Pourtant, au moins un de leurs militants a été contacté à deux reprises par les enquêteurs, le 15 et le 24 septembre. « La police estime arbitrairement que les membres de Civitas sont des victimes et les dispense de venir s’expliquer au tribunal, préservant jusqu’à leur anonymat. En agissant de la sorte, on nous prive de la vérité », souligne Amandine Fabrègue, avocate de l’un des prévenus.
La bienveillance avec laquelle la police a traité les militants de Civitas rappelle que depuis des années, la grande majorité des violences d’extrême droite à Lyon restent impunies. Attaque de la librairie anarchiste la Plume Noire, tentative d’attaque de manifestations féministes et lesbiennes et agressions de militants progressistes… à Lyon, au moins 11 faits de violences ont eu lieu cette année (voir notre décompte national).
Pourtant aucun des militants à l’œuvre n’a pour l’heure été condamné ni même inquiété par la justice, explique Maître Forray lors de l’audience. Et l’avocat de détailler la liste des classements sans suite : « La plainte déposée après l’attaque de la Plume Noire en mars 2021 a été classée sans suite pour “recherches infructueuses”. Le saccage du bar La Pinte Douce en 2019, également classée sans suite pour “infraction insuffisamment caractérisée”. L’agression de deux militants dans les pentes de la Croix Rousse à proximité de ce même local n’a “même pas été sortie du tiroir du commissariat”», nous apprend l’avocat. « Dans ces affaires, à la différence de celle qui nous occupe aujourd’hui, il existe bien des plaintes et les noms des agresseurs sont parfois même connus », argumente-t-il. Le procès des antifasciste de Lyon lui aura permis de le faire savoir : « On aurait apprécié que la police traque les violences fascistes avec la même ardeur qu’elle a tenté de faire condamner des antifascistes. »
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