De la misogynie à l’islamophobie
par Sebastien Fontenelle
21 septembre 2021
Omniprésent et de plus en plus. A l’heure où Eric Zemmour, prétendument victime de « censure », parcourt les plateaux télé, il est temps de se replonger sur la carrière de ce singulier éditocrate, probablement très prochainement candidat à l’élection présidentielle. L’occasion de revenir sur certains fondamentaux du personnage, un anti-féminisme ultra violent, un racisme de plus en plus brutal, une vision de l’histoire très particulière, notamment pour ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. Nous republions donc cet texte particulièrement utile de Sébastien Fontenelle, publié dans le tome 2 des Editocrates, excellent livre à lire et à relire.
Soudain, le 26 mai 2017, Éric Zemmour succombe à un accès de proféminisme. Quelques jours plus tôt : des habitantes du quartier Chapelle-Pajol, à Paris, ont mis en ligne une pétition qui dénonce les harcèlements de rue dont elles sont victimes. Le sang de Zemmour ne fait qu’un tour : il se précipite, dans Le Figaro, où il officie depuis 1996, au secours de « ces femmes qui n’ont plus droit de cité » dans leur propre ville [[Pour voir les références de tous les extraits cités, voir le livre]. Et cela surprend ceux qui le connaissent, car il peut arriver qu’il se montre moins attentionné.
« Le masculin est lié au pouvoir »
C’est « un pamphlet hétérosexiste involontairement comique », Le Premier Sexe, qui a permis à Éric Zemmour, en 2006, de passer de l’ombre relative dans laquelle il végétait à l’éclatante lumière où baignent dans la France d’aujourd’hui les essayistes réactionnaires.
Il y dénonçait, d’une plume trempée dans la testostérone, la dévirilisation d’un monde qui selon lui souhaite faire des hommes « des femmes comme les autres » – et va jusqu’à les obliger, dans ce sinistre dessein, à changer parfois les couches-culottes de leurs jeunes enfants.
En mars 2013, sept ans après la publication de cette somme, il fait cette réponse à la journaliste Ruth Elkrief, qui trouve « amusant » de « parler » avec lui du fait que plusieurs femmes se sont portées candidates à la mairie de Paris : « Je pense qu’il y a un lien – alors là on remonte à la nuit des temps – entre le pouvoir et la virilité. Je pense que, en fait, les hommes ont inventé le pouvoir. »
Comme son interlocutrice, faussement étonnée, lui rétorque que « le pouvoir ne doit pas rester seulement dans la main des hommes », il reprend : « Les femmes […] ne l’expriment pas, le pouvoir. Elles n’incarnent pas le pouvoir. C’est comme ça. Je vous dis, le pouvoir s’évapore dès qu’elles arrivent. Attention, il y a des exceptions, hein ? Comprenez bien ce que je dis :je parle de dominants. De domination. C’est-à-dire du féminin et du masculin. Ça serait plus exact de le dire comme ça : le masculin est lié au pouvoir. Il peut y avoir des femmes qui exercent un pouvoir, parce qu’elles ont des valeurs masculines. Et quand le féminin domine, elles sont incompatibles avec l’incarnation du pouvoir. Et alors évidemment, il y a beau coup d’hommes – vous aurez remarqué qu’aujourd’hui, en fait, les hommes politiques, pour la plupart, sont dans l’ordre du féminin, vous comprenez bien : ils sont dans l’ordre du social. En fait aujourd’hui, les hommes politiques sont des grandes assistantes sociales. »
Quatre ans après cet exposé, il ne s’est toujours pas guéri de son « exécration » – le mot est de lui – du féminisme. Le 5 avril 2017, il lance – crache- à la journaliste Gaël Tchakaloff, venue présenter son livre dans l’émission qu’il coprésente avec Éric Naulleau sur la chaîne Paris Première : « Vous êtes l’incarnation paroxystique et caricaturale de ce que j’appelle le journalisme féminin. Vous ressentez, vous aimez, vous sentez, vous embrassez, vous cajolez, vous pénétrez ou vous êtes pénétrée, que sais-je, […] et ce ne sont qu’émulsions sentimentales et psychanalytiques à foison. Votre livre, c’est tout ce que je déteste. »
Puis d’ajouter, dans un nouveau surcroît de dignité : « ]e les connais un peu mieux que vous, les politiques. Mais moi, je ne couche pas avec. »
Il étonne donc, lorsqu’un mois après avoir expectoré cette délicate profération il se mobilise pour que des Parisiennes victimes de harcèlement de rue retrouvent un « droit de cité » .
D’où lui vient cet accès de considération ? La réponse est en vérité d’une confondante simplicité : son propos, lorsqu’il se mobilise ainsi pour ces habitantes du quartier Chapelle-Pajol, n’est au fond pas tant de leur garantir ce droit que d’instrumentaliser leur pétition pour s’adonner, une fois de plus- c’est chez lui une addiction -, à la fustigation des étrangers et des musulmans.
Selon Zemmour, en effet, le harcèlement de rue est le fait de « migrants » qui ont trouvé là « un moyen efficace pour occuper l’espace public, le conquérir, l’islamiser, le purifier de sa mécréance ».
Et cela est faux, évidemment : les signataires de la pétition, ulcérées par ces récupérations, ont d’ailleurs tenu à faire une mise au point soulignant qu’elles ne cautionnaient « absolument pas les articles et reportages faisant de rapides amalgames visant à stigmatiser une population’ ».
Mais de cette salutaire précision, le collaborateur du Figaro ne dira mot.
En revanche, et comme pour mieux souligner a posteriori que cet élan lui était surtout dicté par un sordide opportunisme, il revient, le 22 juin 2017, moins d’un mois, donc, après avoir déploré que des Parisiennes n’aient plus « droit de cité » dans certaines rues de la capitale, à l’étiage ordinaire de son machisme, pour s’offusquer, après des élections législatives à l’issue desquelles 223 femmes ont été élues, qu’elles aient acquis ce droit de siéger à l’Assemblée en nombre presque – presque – égal à celui des députés.
« Les battus, mauvais perdants, tous ces mâles de plus de 50 ans qui osent dauber sur la médiocrité de leur vainqueur, sont passés à la guillotine médiatique », raille-t-il à l’antenne de RTL, où il tient une chronique depuis 2009. Puis d’ajouter :
« Les féministes se plaignaient que les femmes fussent confi nées dans le privé en raison de leur nature. Cet essentialisme leur était intolérable. Elles estiment désormais que les femmes doivent être députés uniquement en raison de leur nature. Peu importent leurs valeurs, leurs compétences, leurs convictions, leurs idées. Cet essentialisme retourné comme un gant ne les choque plus. »
« T’appartiens à la race blanche »
Flashback : un an après la publication de l’opuscule sexiste qui lui a permis de se faire dans la presse et les médias une réputation de “bon client”, Éric Zemmour, conscient, peut-être, que les harangues réactionnaires font dans le nouveau siècle un plus court chemin vers la célébrité que la banalité habituelle du journalisme politique qu’il pratiquait jusque-là, s’installe dans son personnage d’imprécateur de droite.
L’époque lui est d’un sûr secours : elle résonne déjà des prosopopées identitaires de l’éditocratie, dont le choeur se montre très accueillant à qui se coule dans ce nouveau code.
Mais lui ne va pas se contenter de suivre ce mouvement général – et va très vite prendre la tête du peloton des chauvins.
Le 23 septembre 2007, il déclare, dans le cours d’un débat télévisé consacré à l’immigration, et du ton assuré de qui aurait sérieusement enquêté sur le sujet : « La réalité des mariages aujourd’hui, c’est un nombre incalculable de mariages arranges pour obtenir des papiers à des gens en Algérie, en Afrique. » Cette vilenie émeut jusqu’au président de SOS-Racisme, Dominique Sopo, qui constate, dans une tribune publiée par Le Monde, que, « pour M. Zemmour, un immigré qui se marie n’est pas amoureux, il est fraudeur », et pointe dans cette essentialisation le « symptôme » du « retour sur le devant de la scène des peureux, des rancis et des paranoïaques, tous ceux qui, depuis vingt ans, ont souffert le martyre de l’antiracisme »
Zemmour, piqué, fait dans Le Monde une réponse qui confirme la justesse de ce diagnostic, et qu’en effet l’anti racisme lui est insupportable : « Sopo ne sait pas qu’on a lu Pierre-André Taguieff ; on a bien compris que le progressisme antiraciste n’était que le successeur du communisme, avec les mêmes méthodes totalitaires mises au point par le Komintern dans les années 1930. « Tout anticommuniste est un chien », disait Sartre. Tout adversaire de l’antiracisme est pire qu’un chien. »
Ce credo n’est pas nouveau : en 2001, un autre subtil rhéteur – Henri de Fersan, militant d’extrême droite – a déjà théorisé que « l’antiracisme » serait « le communisme du xxi » siècle ». Après lui, Alain Finkielkraut, publiciste réactionnaire, a, dans le cours d’une interview publiée en 2005, répété mot pour mot cette sentence : « L’antiracisme est le communisme du XXI’ siècle. »
Cela lui a valu d’être chaleureusement remercié par son « ami » Renaud Camus, promoteur du concept de « grand remplacement » – des Français « de souche » par des populations d’origine non européenne – pour qui l’antiracisme « détruit des vies » des « individus » et des « peuples », et qui a donc trouvé cette assertion « extrêmement éclairante et féconde ».
Éric Zemmour n’est donc pas seul à considérer et proclamer que les antiracistes sont les continuateurs des « méthodes totalitaires mises au point » dans la Russie stalinienne des années 1930. Il récolte là une leçon écrite par d’autres, mais qui lui permet, plutôt que d’assumer sa logorrhée pour ce qu’elle est, de se poser, au mépris absolu de la mémoire des suppliciés du stalinisme, en victime d’une persécution entièrement imaginaire.
Après cela, Zemmour se démultiplie.
Le 13 novembre 2008, il se désole, dans le cours d’une émission de télévision « impertinente » consacrée ce jour-là au métissage, et dont l’animatrice – Isabelle Giordano – a jugé utile de lui réserver une place : « À la sacralisation des races de la période nazie et précédente a succédé la négation des races. […] Qu’est-ce que ça veut dire que ça n’existe pas ? On voit bien que ça existe ! »
Puis il lance à l’une de ses interlocutrices – Rokhaya Diallo : « ]’appartiens à la race blanche, vous appartenez à la race noire ! »
« Une inquisition revisitée par le totalitarisme soviétique »
Ces saillies, de plus en plus odieuses, mais qui reflètent si parfaitement la xénophobie des temps, lui gagnent de nouvelles offres d’emploi. Lorsque parait, en 2010, son livre Mélancolie française, dans lequel il revisite pour la première fois « l’histoire de France », il n’émarge plus seulement au Figaro magazine : il est également éditorialiste à RTL, coanimateur de « On n’est pas couché » sur France 2, et de l’émission politique « Ça se dispute » sur iTélé.
Il exhibe dans cet ouvrage, qui se vendra tout de même à 60 000 exemplaires, quelques-unes de ses craintes -ou peut être s’agit-il de névroses – les plus intimes :il redoute notamment que les Français « de souche » (et « de race blanche », comme disait, rappelle-t-il goulûment, le général de Gaulle) ne soient « submergés » par les « nouveaux « barbares » » de « l’immigration arabo-africaine ».
Il déplore que « le mot « race » » soit « devenu dans notre société le tabou suprême, comme le sexe au XIXè siècle », et que, tout comme « le puritain voyait le sexe partout ; l’anti raciste moderne » voie « des racistes partout ». Puis il revient à des considérations moins immatérielles, pour estimer que, « en Seine-Saint-Denis, la proportion de jeunes d’origine étran gère est passée de 18,8% à 50,1% en trente ans »- et que ce « processus de substitution » d’une population (arabo-africaine et tragiquement islamisée) à une autre produit le triste résultat que, dans ce département, les « non-immigrants », épouvantés, « fuient leurs quartiers ».
Il assure aussi que « la population musulmane en France double actuellement tous les quinze ans>> – de sorte qu’ « il y aura, explique-t-il, plus de 40 millions de résidents musulmans au milieu du xxiè siècle, soit la moitié de la population française de l’époque ».
La même année : il excrète, dans le cours d’une autre des émissions où ces péroraisons lui valent d’être continuellement invité, que les « Français issus de l’immigration » sont « plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes. »
Poursuivi par des associations antiracistes, l’« icono claste » Zemmour, que ses nombreux amis de la presse et des médias présentent volontiers comme un courageux franc-tireur solitaire, reçoit, parmi d’autres, le soutien de Renaud Camus. Le polémiste d’extrême droite lui « apporte son appui total et sans réserve […] face aux attaques et aux menaces, aussi bien juridiques que médiatiques, dont il fait l’objet de la part de diverses officines de collaboration à la contre-colonisation en cours et au Grand Remplacement à l’œuvre ».
L’éditocrate Ivan Rioufol, quant à lui, se scandalise de ce que son « confrère » du Figaro soit ainsi persécuté par des « censeurs » de type « soviétoïde » qui attentent à sa « liberté d’expression ».
Surtout, plusieurs dizaines de députés de la droite dite
« républicaine », dont le chef- Nicolas Sarkozy- trône alors à l’Élysée, s’offusquent publiquement de ce qu’on veuille « faire taire un journaliste qui exprime une opinion, qu’elle soit vraie ou non, parce qu’elle dérange », et dénoncent, dans un français un peu heurté, la « dérive qui conduit à bâillonner la liberté d’expression par les tyranneaux de la pensée unique de l’antiracisme ».
Depuis son bâbord, Jean-Luc Mélenchon, qui mettra quelques longues années à revenir de cet avis, déclare, quant à lui : « Je connais Zemmour. Il ferait mieux de dire qu’il a dit une bêtise. Ce type n’est pas un raciste. C’est un brillant intellectuel, mais comme tous les intellectuels, il est têtu comme une mule. »
L’intéressé, de son côté, se pose alors, dans l’hebdomadaire réactionnaire Valeurs actuelles, en victime d’ « une logique d’inquisition revisitée par le totalitarisme soviétique ». Il rapporte, à la fin de documenter cette extravagante assertion, l’anecdote suivante : « Au Salon du livre, une lectrice m’a dit : « Je suis d’origine russe et j’ai retrouvé dans votre affaire ce qu’on vivait en URSS, où on ne savait jamais ce qu’on pouvait dire avec qui. » »
De nouveau, donc, Zemmour, trois ans après qu’il a pour la première fois décrété que le « progressisme antiraciste » était le « successeur du communisme » stalinien, suggère, décidément inaccessible à la simple décence, qu’il endure, dans la France de 2010, une persécution de même nature que celle que le régime soviétique infligeait naguère à ses sujets trop indociles.
La vérité, bien sûr est un peu différente : dans la période précise où il laisse dire qu’il serait la cible d’une censure d’essence totalitaire, il occupe en réalité, à lui seul, un – très – vaste espace médiatique.
Du lundi au vendredi, il intervient, chaque matin, à l’antenne d’une importante radio périphérique : RTL. En sus de quoi, tous les samedis matin, Le Figaro magazine publie ses chroniques. En sus de quoi, tous les samedis après-midi, il coanime, sur !Télé, une émission de débat. En sus de quoi, tous les samedis soir, il coanime, sur France 2, avec Laurent Ruquier, « On n’est pas couché » – l’une des émissions de divertissement les plus regardées du paysage audiovisuel français, devant laquelle se retrouvent alors jusqu’à deux millions et demi de téléspectateurs.
Et lorsqu’il profite de cette exceptionnelle omniprésence pour distiller son venin, il est immédiatement soutenu, on l’a vu, par des représentants du parti au pouvoir, en même temps que par Jean-Luc Mélenchon : cela fait de lui, décidément, un dissident particulier.
Enhardi, peut-être, par ce rassérénant constat, Zemmour, dès lors, ne va plus cesser d’approfondir le sillon fangeux qui lui vaut de si larges magnanimités.
P.-S.
Les éditocrates. Le cauchemar continue est paru aux éditions la Découverte.
https://lmsi.net/Eric-Zemmour-ou-le-dissident-omnipresent-Premiere-partie
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