Main arrachée d’un gilet jaune, la justice siffle la gendarmerie

David Dufresne

Gilets Jaunes Violences Policières

Lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, en 2019, Sebastien Maillet a vu sa main arrachée par une grenade de la gendarmerie. Pour la justice, le lancer de la GLI-F4 était ni nécessaire ni proportionné. Il y a faute de l’Etat. Révélation de Blast.

Le 9 février 2019, c’est l’acte XIII des Gilets Jaunes. L’itinéraire parisien est dûment déclaré en Préfecture, autorisé par la même, et le cortège fait halte devant l’Assemble nationale. Plusieurs pelotons de gendarmerie sont positionnés, dont celui de Lodève. Les grilles avant du Palais Bourbon sont recouvertes de planches, pour cause de travaux. Sur les planches, de grandes photographies vantent les lieux ; un graffiti demande «où est l’entrée ?» ; un autre répond «le débat, c’est dans la rue». On entend des cris, des slogans, et des chants. Quelques projectiles volent, et c’est le festival de gazage. Des lacrymos en pagaille.

Sebastien Maillet, plombier, 29 ans, vient de perdre sa main droite

Soudain, à la hauteur du passage piéton qui mène du pont de la Concorde vers l’Assemblée, une explosion déchire les airs. Et d’autres cris, mais différents — des cris de douleur et d’effroi. Sebastien Maillet, gilet jaune d’Argenteuil, est emmené à l’abri, au pied des jardins de l’Assemblée. Ce jour-là, Sebastien ne porte pas son gilet, mais un brassard, car enfiler le gilet jaune à Paris, c’est désormais s’assurer des contrôles à répétition. Des street medics prennent immédiatement en charge Sébastien. On lui fait un garrot, encore des cris, une femme demande qu’on se pousse, « écartez vous, écartez vous », répète-t-elle. Plusieurs vidéastes saisissent la scène et au moins deux lives la retransmettent. Sebastien Maillet, plombier, 29 ans, vient de perdre sa main droite. Une grenade explosive a tout déchiqueté: la paume, les doigts — et son avenir.

Lors du seul mouvement des gilets jaunes, la grenade offensive GLI-F4, contenant 26 grammes de TNT, cataloguée arme de guerre dans le Code de sécurité intérieure, depuis retirée des dotations de la police, mais remplacée dans le même temps par une autre, a coupé cinq mains et au moins un pied. Sébastien, c’est également la dernière scène d’Un pays qui se tient sage.

Plus de deux ans après le drame, la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) affirme, le 10 juin 2021, que le tir effectué par le lieutenant L., commandant du peloton d’intervention, n’était ni proportionné, ni nécessaire — les deux piliers du maintien de l’ordre. Et donc, qu’il y a faute. De l’État. La CIVI octroie 8000 € à Sébastien, en guise de provisions, sur les 100 000 demandés, en attente d’expertises ultérieures. Blast révèle sa décision:

Dans le jugement du tribunal judiciaire de Paris, la CIVI rappelle que « Sébastien Maillet n’exerçait pas de violence ou de voie de fait à l’encontre des forces de l’ordre juste avant les faits » et constate « que la grenade lacrymogène instantanée a été lancée à un endroit […] qui n’était pas vide de manifestants, alors que le lancer s’est déroulé dans des conditions de visibilité peu satisfaisantes puisqu’il avait été fait usages de plusieurs bombes lacrymogènes. En outre, le lancer doit être considéré comme ni nécessaire, ni proportionné à la réalité des violences subies par les forces de l’ordre ».

Fac similé de la décision de la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI), 10 juin 2021

C’est bien fait pour sa gueule

Le jour du drame, Yves Lefebvre, alors secrétaire général d’Unité SGP Police-FO, déclare sur C-News que « c’est bien fait pour sa gueule ». Il affirme, sans preuve, que Sebastien a voulu ramasser la grenade ; ce dernier a toujours expliqué avoir voulu s’en protéger (sa version est celle retenue par la CIVI, après «avoir étudié les différents témoignages et les films vidéos »). La sentence du représentant syndical, majoritaire chez les gardiens de la paix, sera un tournant. Depuis, c’est le flot de paroles detestables à jet continu sur les chaînes d’info en continu.

Le soir même, l’IGGN, équivalent de l’IGPN chez les gendarmes, se précipite au chevet de Sébastien Maillet. Son avocat, Arié Alimi, raconte: « des gendarmes voulaient entendre Sébastien alors même que, complètement sédaté, il était dans un état qui ne lui permettait pas de répondre ». Les couloirs de l’hôpital Pompidou, dit-on, se souviendraient encore de la passe d’armes entre l’avocat et les pandores. Dans d’autres affaires, la précipitation à entendre telle ou telle victime de violences policières masquait mal l’envie de faire dire, et d’orienter les investigations à venir… Début mars 2019, Emmanuel Macron, interpellé sur les mutilés parmi les manifestants, déclare: « Ne parlez pas de violences policières ni de répression, ces mots sont inacceptables dans un état de droit ». Et le 19 mai 2021, c’est exactement carrefour, au pied de la même Assemblée nationale, que le secrétaire général d’Alliance, Fabien Vanhemelryck, lancera: « le problème de la police, c’est la justice !». Sous les acclamations de dix mille policiers-manifestants, et d’une poignée d’élus. Images saisissantes d’écharpes tricolores, les yeux tournés vers le toit-terrasse du car des patrons syndicaux, comme un symbole de soumission du législatif à l’exécutif.

On a de plus en plus d’instructions qui aboutissent

Pour Arié Alimi, la décision de la CIVI constitue « une véritable victoire alors que l’instruction n’est pas terminée ». Selon lui, la justice aurait dorénavant « conscience que la question des violences policières a pris une ampleur démocratique. On a de plus en plus d’instructions qui aboutissent, de poursuites à l’encontre de policiers et, maintenant, d’indemnisations ». Concernant Sébastien Maillet, l’enquête pénale est en effet en cours. Aucune date de clôture de l’instruction n’est avancée. Comme pour Jérôme Rodriguez, éborgné place de la Bastille, ou Gwendal Leroy, idem, à Rennes, et une dizaine d’autres. Quant au dossier IGGN de l’affaire Maillet, il comporte moultes expertises et auditions, dont certaines soulignent la dangerosité de la GLI-F4, et son caractère aléatoire.

Officiellement, les GLI-F4 ont été retirées de l’arsenal des gendarmes en 2020, pour être remplacées par les GM2L, censées être plus sûres. Côté police, les GLI-F4 ont été détruites à Limoges, au Centre logistique de la Police nationale. Des milliers, à 40 euros pièce. Selon de bonnes sources à l’Intérieur, quelques-unes auraient néanmoins été conservées, ici ou là, « à titre de démonstration », environ 1% du stock restant. Quant au centre d’entraînement de Saint-Astier, en Dordogne, plaque tournante du maintien de l’ordre chez les gendarmes, il aurait, lui, multiplié ces derniers mois les expertises sur leur remplaçante, les GM2L. Pour laisser entendre que celles-ci ne seraient pas si fiables. Indiscrétion recueillie par Blast ce samedi matin, alors qu’à Redon, un jeune tefeur de 22 ans a perdu la main, lors d’affrontements avec la gendarmerie (une enquête a été ouverte).

Quant à Sébastien, aujourd’hui, il porte une prothèse. Elle a coûté une vie de plombier, qu’amputé, Sébastien ne peut désormais plus connaître : près de 30 000 euros. Avec ce qui lui reste de muscles, Sébastien peut ouvrir et fermer la main mécanique. Avec l’application qui la pilote, il peut soulever, pincer, ramasser. Lors des entretiens d’embauche, dès que la conversation glisse sur le pourquoi de cette main qui manque, les visages se crispent, avec des rictus qui disent que personne-ne-veut-avoir-affaire-avec-la-police. Sébastien essuie refus poli sur refus poli. Pour lui, cette décision de la CIVI, c’est tout sauf une question d’argent, mais bien de reconstruction: « C’est la première reconnaissance de ce qui m’est arrivé. Jusqu’ici, on me cataloguait coupable. Maintenant, c’est à l’Etat de répondre ».

Sebastien Maillet
Un pays qui se tient sage / Bureau films

https://www.blast-info.fr/articles/2021/main-arrachee-dun-gilet-jaune-la-justice-siffle-la-gendarmerie-jbb-TsWPQoeafm_yU5DcLQ

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